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Guerrier, prophète, gestionnaire : les paradoxes de l’élu en démocratie

La démocratie représente une rupture essentielle dans la manière de prendre les décisions concernant la cité. Historiquement elle a été soit l’alternative à la tyrannie d’un homme et de son clan qui monopolisent tout le pouvoir, soit l’alternative aux sociétés traditionnelles où c’est le mythe et son commentaire qui guide toute décision.

 

Trois fonctions

 

La démocratie est le mot donné à une autre manière de prendre les décisions, qui consiste à la transférer à une nouvelle catégorie de décideur : l’élu, censé représenter sinon l’ensemble du peuple, au moins ceux qui sont amis admis à être des électeurs.

 

Dans ce cadre, en démocratie, l’élu assume trois fonctions :

 

  • Il doit s’imposer aux autres, d’une part pour être élu d’autre part pour le rester. C’est un combat de tous les jours et il a été sélectionné pour sa capacité à combattre en permanence pour maintenir et développer sa position dans un champ hautement concurrentiel. Son lexique est celui de la conflictualité et sa compétence celui du guerrier.
  • Il a une deuxième fonction qui consiste à imaginer, et à dire, dans quelle direction les affaires publiques doivent aller. Il arbitre entre des intérêts contradictoires en fonction d’une ligne directrice, d’une politique ou d’une idéologie. Dans ce sens c’est un prophète qui dit l’avenir et les moyens d’y parvenir.
  • Sa troisième fonction consiste à gérer les ressources, à administrer les biens publics et à faire tourner au quotidien la machine des techniciens de l’administration. Dans ce sens c’est un gestionnaire.

 

 

Une forte concentration des pouvoirs

 

Guerrier, prophète, gestionnaire, quelle est la triple essence de la sacralisation de l’élu et de l’homme politique en démocratie. Si on le replace dans une perspective historique, Il concentre des pouvoirs qui étaient toujours séparés dans les sociétés traditionnelles ou les sociétés féodales.

La caste du guerrier, issue du néolithique au moment de l’invention des guerres de prédation, s’est toujours tenue à l’écart de celle des prêtres, maillon indispensable dans le lien avec l’au delà. Le guerrier, comme le prêtre d’ailleurs, s’est toujours tenu à l’écart du monde du travail, de la production comme de la gestion, jugé dégradant, jusqu’à ce que l’accumulation des richesses fasse émerger l’entrepreneur comme figure incontournable. Le passé est l’histoire de la lutte entre ces trois figures, avec un avantage certain pour le guerrier, parfois pour le prêtre.

Voilà un premier paradoxe : la démocratie est certes l’occasion de la séparation des pouvoirs notamment des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, mais de façon plus méconnue, elle reconcentre les pouvoirs dans les mains d’une seule catégorie d’acteurs : l’élu. Cette concentration est tempérée par le fait que la situation de l’élu individuellement est toujours temporaire et transitoire, au gré des électeurs, mais globalement la catégorie de l’élu politique dispose d’un pouvoir que jamais aucune autre catégorie d’acteurs n’a eu dans le passé. Ce qui en fait d’ailleurs une figure très exposée, car responsable de tous les maux.

 

L’effacement du prophète et du gestionnaire

 

Deux des fonctions de l’élu sont en train actuellement de s’affaisser. Comme prophète il n’a plus guère de crédibilité, les idéologies se sont effondrés, les utopies se sont évaporés, sa capacité à prédire l’avenir s’est réduite à une peau de chagrin. Les deux seuls récits qui osent aujourd’hui parler de l’avenir sont dépolitisés : c’est d’une part l’utopie des nouvelles technologies qui permettrait de fonder de nouveaux modes de gouvernance, et l’utopie nationaliste qui propose de rabattre l’avenir sur le sol et le sang, donc sur le passé.

 

Comme gestionnaire la fonction de l’élu est actuellement en crise. Outre qu’il ne gère plus que des dettes, l’essentiel de l’économie lui échappe car elle a été transférée à l’entrepreneur, et de plus en plus, à ce que l’on appelle le monde de la finance, monde opaque, déshumanisé au sens strict, qui n’a strictement rien avoir avec la politique.

 

La dernière fonction que l’élu peut encore incarner est celle du guerrier. Cela tombe bien : comme toutes les enquêtes d’opinion le montrent avec constance, les électeurs réclament un « chef ». C’est le paradoxe de l’opinion publique aujourd’hui : toujours marquée par la culture démocratique, elle veut des élections, mais, en panique devant les multiples crises qui l’agresse, elle veut que cet élu soit un chef. Le désamour majeur que subit l’actuel président de la république française est que son image humoristique et rondouillarde est aux antipodes de cette image virile.

 

Là où la démocratie avait instauré un modèle de décideur en rupture avec la figure du guerrier qui avait dominé les nations pendant des siècles, voilà que le désir du chef fait retour. Les démocraties sont aujourd’hui dans un processus d’oscillation, faut-il plus d’autorité, de virilité, quitte à trancher brutalement dans le vif, ou faut-il du consensus, de la souplesse, de l’harmonie, quitte à ne rien décider ? L’élu idéal doit-il être d’abord un guerrier ou un bon gestionnaire ? Reste-t-il une place pour le prophète ?

 

N’en doutons pas, les affrontements politiques de demain, et très concrètement lors des prochaines présidentielles en France, tourneront autour de cette question.

 

Philippe Breton

Ovipal

Version du 19 mai 2015



19/05/2015
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