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Les islamistes radicaux sont brutaux parce ce que les gens brutaux tendent à devenir des islamistes radicaux

Après la publication sur les réseaux sociaux de propos brutaux et d’appels au meurtre de la part d’un ancien infographiste de la Mairie de Schiltigheim, Youssoup Nassoulkhanov, il faut s’interroger sur les ressorts profonds de ceux qui, sur le terrain, à l’instar des frères Kouachi ou d’Amedy Coulibaly, commettent les vagues d’attentats subies par de nombreux pays, notamment occidentaux. S’agit-il uniquement d’individus « endoctrinés par une religion » ? Ne faut-il pas réfléchir à un cadre d’analyse plus global, qui parte de l’hypothèse que beaucoup d’entre eux étaient déjà prêts à tuer et qu’ils étaient, parfois sans le savoir,  en attente d’un cadre normatif qui les libère de l’interdit de la brutalité et de l’homicide ?

 

La distinction entre les donneurs d’ordre et les exécuteurs

 

Il faut commencer par faire une distinction essentielle, entre les idéologues et les donneurs d’ordre d’une part, et ceux qui exécutent concrètement ces programmes meurtriers. On a vu tout au long de l’Histoire émerger des penseurs fanatiques qui veulent faire accoucher les sociétés dans la douleur. Ces idéologues, souvent en chambre, imaginent des systèmes où la dévaluation du prix de la vie humaine est la condition pour qu’une société idéale, religieuse ou politique, voit le jour.

 

La plupart d’entre eux sont restés heureusement inconnus. D’autres ont connu un triste succès, régional ou planétaire, à l’instar de Pol Pot ou de Hitler. L’islam a produit des penseurs de cette nature, notamment dans les années cinquante et soixante, autour de la mouvance des frères musulmans. Certains, à l’origine des troubles actuels, font depuis beaucoup parler d’eux, comme le médecin égyptien Ayman al-Zawahiri, véritable penseur d’Al Qaïda depuis sa création.

 

Mais ces idéologues et ces penseurs fanatisés resteraient tous dans l’ombre et leurs funestes théories sans effet, s’il ne se trouvait, sur le terrain, des hommes et des femmes pour devenir les assassins au service de leurs causes. Là est le problème.

 

Le cadre dans lequel nous analysons les motivations de ces prolétaires du meurtre est habituellement celui de l’ « endoctrinement religieux ». Les idéologues, nous dit-on, ont des relais, les imams fanatisés en l’occurrence, qui, à leur tour, recrutent, convertissent, et conditionnent des « esprits faibles », des « adolescents en perdition », pour en faire , si l’on peut dire, des moines-soldats au service de l’Islam.

 

Un autre paradigme est nécessaire

 

Les évènements récents ont cependant montré que ce cadre d’analyse n’explique pas totalement les faits. Si les attentats du 11 septembre 2001 ont été commis et organisés de façon classique, comme une action de guerre, la plupart de ceux qui ont suivi ont été de moins en moins réalisés sous l’instigation directe de donneurs d’ordre. L’initiative est venue de plus en plus de la base, c’est à dire d’hommes et de femmes qui se sont auto-proclamés soldats d’une cause, sans avoir plus de rapport que cela avec ses généraux.

 

C’est bien ce que l’on soupçonne pour les frères Kouachi, la revendication d’Al-Qaïda au Yémen fleurant bon sa récupération a posteriori. C’est aussi ce que l’on peut penser de l’action de Coulibaly, qui s’est sans doute autoproclamé bras armé de Daech. Exit donc la théorie de la manipulation, du conditionnement psychologique direct au sein d’une organisation fortement structurée et serrant de près chacun de ses membres. C’est d’ailleurs bien ce qui inquiète nos services, mieux armés pour s’en prendre à des cellules pyramidales qu’à ces nébuleuses insaisissables.

 

Ces tueurs sont-ils pour autant des « loups solitaires » ? Cette théorie, en vogue quelques temps dans la période récente, n’a plus guère d’adeptes. Les actions comme celles qui ont visé Charlie-Hebdo ou que s’apprêtait à commettre la cellule Belge démantelée quelques jours plus tard, demandent un soutien logistique local et sont coordonnées entre plusieurs groupes d’individus proches les uns des autres, amicalement ou familialement.

 

Les motivations religieuses expliquent-elles le fanatisme et la détermination des tueurs ? Tout indique que leur niveau théologique était bien faible, jusqu’à cette méconnaissance, chez Coulibaly, de la différence entre chiites et sunnites dans l’Islam… Mais ceci ne veut pas dire que le cadre religieux ne joue pas un rôle dans la perception qu’ils peuvent avoir de la légitimité de leurs actions.

 

Des hommes déjà prêts à tuer

 

Proposons ici une hypothèse qui va à rebours du paradigme de l’endoctrinement religieux, qui, on vient de le voir, est trop faible à lui seul pour expliquer véritablement ces comportements. Les auteurs de ces attentats meurtriers n’ont pas été conditionnés à tuer, ils y étaient déjà prêts, en dehors de tout cadre religieux. Le fait que beaucoup d’entre eux aient déjà un passé de délinquance violente devrait plus attirer notre attention.

 

Prenons donc le problème autrement. Dans toute société, il existe des individus qui sont envahis par des fantasmes de violences, voire de meurtres. Ce que les sociologues ont appelé le « processus de pacification des mœurs » a permis, sur plusieurs siècles en Occident, de faire intérioriser par le plus grand nombre l’interdit de l’homicide, qui, de ce fait a considérablement décru (divisé par 100 depuis la fin du moyen âge !). Ces fantasmes sont donc pour l’essentiel contenus, même si, pour un certain nombre de jeunes, c’est au prix d’un effort psychologique couteux.

 

Or voilà qu’un groupe d’idéologues religieux vient dire publiquement – et montrer sur internet – qu’un nouveau cadre normatif existe (avec un territoire géographique, celui de l’ « Etat islamique »), à l’intérieur duquel non seulement il est permis de tuer, mais où on y est encouragé pour faire plaisir à Dieu. Dans ce nouveau cadre, toutes les violences, qui font partout ailleurs l’objet d’un interdit fort, sont encouragées : tortures, crucifixions, décapitations, mais aussi mariages forcés, utilisation d’esclaves sexuelles et viols.

 

Il ne fait pas l’ombre d’un doute que ce véritable appel est entendu par tous ceux qui contenaient à grande peine leurs fantasmes de violence et de meurtre. Ceux qui naviguaient aux marges de la délinquance comme tous les « bons garçons » qui ne faisaient pas de mal à une mouche, mais dont personne n’avaient jusque là perçu les tempêtes intérieures qui les bouleversaient. Ceci explique que certains, chrétiens de baptême, se soient convertis en un tour de main, non pas tant aux subtilités d’une religion, mais à un nouveau cadre normatif qui leur faisait entrevoir, enfin, la possibilité d’un passage à l’acte. L’appel de l’Islam radical a enfin permis de trouver un débouché à leurs fantasmes brutaux. Il n’est pas exclu que dans de telles circonstances puissent se glisser d’authentiques tueurs en série.

 

Pas besoin donc, d’endoctriner ces jeunes, ils étaient déjà prêts au meurtre. Pas besoin non plus d’une intense préparation religieuse, inutile à la réalisation de leur dessein. Pas besoin non plus de les intégrer dans une organisation structurée, par ailleurs vulnérable, l’écoute de leurs propres pulsions valant auto proclamation comme guerrier de l’Islam.

 

La responsabilité de l’Islam

 

Cette analyse, qui insiste sur l’aspect fantasmatique préalable de l’acte meurtrier, vaut-elle dédouanement de l’Islam radical, ou même de l’Islam tout court, en rabattant le problème dans le giron d’une anthropologie trop générale de la violence ? Non, car deux aspects de cette question mériteraient un développement spécifique à l’Islam.

 

D’abord, les normes sociales des différentes cultures musulmanes, même dans le cadre de l’émigration, tolèrent un niveau élevé de violence des mœurs, notamment du point de vue éducatif et dans le rapport aux femmes. Il y a là un terreau propice à la difficulté qu’éprouvent de nombreux jeunes musulmans à contenir leur violence, notamment dans le contexte normatif plus pacifié des pays d’accueil occidentaux.

 

Ensuite, la responsabilité de l’Islam radical, il faudrait dire des Islams radicaux, chiites et sunnites, reste entière. C’est une idéologie mortifère, qui se nourrit de sa propre brutalité, au grand effroi de nombreux musulmans plus pacifiques (mais du coup sensibles aux « théories du complot » qui énoncent fort opportunément que ce ne sont pas des musulmans qui commettent les attentats).

 

On pourra à cet égard paraphraser une ancienne formule [1] et conclure en disant que l’islam radical est brutal parce que les islamistes radicaux sont brutaux, et les islamistes radicaux sont brutaux parce que les gens brutaux tendent à devenir des islamistes radicaux.

 

Version du 20 janvier 2015

Philippe Breton*

ovipal

 
*Auteur sur le sujet de l'ouvrage "Les refusants, pourquoi refuse-t-on de devenir un exécuteur ?", La découverte, 2009

[1] Zygmunt Bauman, professeur de sociologie à l’Université de Leeds avait écrit il y a quelques années : "Le nazisme a été cruel parce que les nazis étaient cruels et les nazis étaient cruels parce que des gens cruels tendaient à devenir nazi » Cité par Christopher Browning, Des hommes ordinaires. Le 101e bataillon de réserve de la police allemande et la solution finale en Pologne, Tallandier, Paris, 2007, p. 246.

 

Cet article a été également publié sur le site  https://www.une-breve-histoire-de-la-violence.com

 



20/01/2015
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