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Les Waffen SS d'Oradour seront bien sur le "mur des noms"

On le voit bien à travers les polémiques qui s’amplifient maintenant, la première conséquence de ce « mur des noms » est de réveiller inutilement les souffrances, alors même que son éventuelle construction n’a pas commencé. C’est bien l’existence de ce projet, qui est en question. Deux faits nouveaux éclairent ce débat et montre le risque qu’il y a à tout amalgamer : d’une part les noms de Waffen SS alsaciens impliqués dans le massacre d’Oradour seront bien gravés sur ce mur, et, d’autre part, la mention de l’appartenance à la Waffen SS de tous les enrôlés de force a tout simplement disparu du fichier des noms, au prix d’une révision de l’histoire.

 

Il faut le répéter, mettre ainsi, côte à côte, le nom de « toutes les victimes alsaciennes » du dernier conflit mondial, sans tenir compte de l’histoire de chacun, sans tenir compte de leurs actes, sans demander l’avis aux familles, est un mélange des mémoires jugé insupportable pour beaucoup. C’est en tout cas le sentiment que j’ai eu, au vu des nombreux courriers et interpellations reçues à cette occasion, suite à l’alerte que j’ai lancée dans les colonnes des DNA, ainsi que dans celles du quotidien Le Monde.

 

Oui, sur ce mur figureront à côté de celui d’autres victimes, le nom de Waffen SS enrôlés dans des unités qui ont commis de nombreux crimes atroces.

 

Oui, sur ce mur figureront les noms de Waffen SS alsaciens impliqués par exemple dans les actions de la « SS-Sturmbrigade Dirlewanger ». Cette unité, l’une des plus sauvages du régime nazi, est responsable du massacre de milliers de juifs sur le Front de l’Est. Elle s’est spécialisée dans la « chasse » aux maquisards et aux familles juives réfugiées dans les forêts de Pologne. Elle a contribué à la destruction de Varsovie et au martyre de ses habitants.

 

Oui, sur ce mur figureront les noms de Waffen SS alsaciens impliqués dans le massacre d’Oradour, notamment comme membres de la deuxième section de la troisième compagnie (régiment Der Führer - division Das Reich). Cette section a notamment participé au rassemblement de la population et a fourni les volontaires de plusieurs pelotons d’exécution. Ces alsaciens sont morts un peu plus tard dans les combats contre les américains en Normandie.

 

Ces faits sont vérifiables, comme je l’ai fait, en croisant la liste des noms devant figurer sur le mur, consultable sur le site de la région, avec les éléments issus des archives des malgré-nous.

 

Mais le public, lui, ne le saura pas, car cette fameuse liste des noms qui figurerait sur ce « mur » dissimule l’appartenance à la Waffen SS de ceux qui y seront inscrits. Les Waffen SS n’y figurent pas comme tel, mais sous la seule catégorie « incorporés dans la Wehrmacht ». L’appartenance d’alsaciens aux Waffen SS a tout simplement disparu, comme si cela n’avait jamais existé !

 

Cette dissimulation est une véritable révision de l’histoire. On a peine à croire que les membres de la « commission » mise en place par Monsieur Richert, aient prêté leur concours à une telle opération. Peuvent-ils ignorer que la Wehrmacht, armée régulière, dans laquelle ont été versés de force la plupart des malgré-nous alsaciens et mosellans, n’a rien à voir avec les Waffen SS, extension armée de la fameuse milice politique du régime nazi, chargée notamment de la terreur contre les civils et de l’extermination de masse ?

 

En dernière instance, pressé sur ce dernier point par un journaliste, Monsieur Richert soutient que tout cela n’a pas d’importance, puisque même les Waffen SS alsaciens ont été déclarés « mort pour la France ».

 

Cette mention « mort pour la France » a été en effet l’objet d’un décret de 1947. Elle concerne systématiquement tous les français morts sous l’uniforme allemand sans avoir été volontaires. Son attribution peut être considérée comme justifiée, car ils ont été enrôlés sous la menace, mais elle n’exclut en aucune manière que des crimes aient pu être commis par certaines des personnes concernées, même si elle n’avait aucune sympathie pour le nazisme. Aucune enquête n’a d’ailleurs été diligentée pour vérifier si ces personnes n’ont pas commis de tels faits. Cette mention n’annule pas les faits, pas plus que l’amnistie de 1953 n’a annulé les faits reprochés et jugés (l’amnistie n’est qu’un changement du cadre juridique d’appréciation des mêmes faits).

 

Mais arrêtons-là cette sinistre analyse, que nous oblige à faire, hélas, ce projet insensé de mur de « toutes les victimes ».

 

La présence effective, côte à côte, sur ce mur, de noms de Waffen SS alsaciens impliqués dans les tueries d’Oradour avec, par exemple, le nom des victimes alsaciennes de ce même massacre ne va pas de soi. Le faire en le dissimulant, grâce à de déshonorants tours de passe-passe, l’est encore moins. Il faut sur ces questions un véritable débat, et en attendant, suspendre la réalisation de ce projet contesté.

 

Ce débat n’aura pas lieu tant que toutes les associations de victimes n’auront pas été consultées, ce qui n’est pas le cas. Il devra tenir compte de l’indignation de grandes figures morales, comme celle de François Amoudruz.

 

Il ne peut pas faire l’impasse sur l’immense malaise de nombreux membres de la communauté juive alsacienne, dont l’un des principaux dirigeants strasbourgeois déclarait à ce sujet lors d’une interview donnée à la radio, que ce projet le choque, que « chacun a droit à sa mémoire propre » et « qu’il ne faut pas faire de mélange des genres », chaque drame humain devant « être sanctuarisé et ne pas être mélangé à d’autres ». Sages paroles…

 

Ce débat doit se tenir dans la transparence et la sérénité, en dehors de la ruse, de l’invective et de l’insulte, comme celles dont j’ai été l’objet, qui puisent dans la vieille thématique antisémite, en affirmant que toute contestation de ce projet de ma part serait motivée par « la pitance victimaire et l’appât du gain » (point de vue de Gérard Michel dans les DNA du 11 mars dernier).

 

Ce débat doit entendre que de nombreuses familles souhaitent chercher la résilience dans l’intimité de l’espace privé et non, publiquement, sur un mur publiquement contesté. Que se passerait-il demain, si ce mur devait être réalisé, et qu’une famille, informée après coup, demandait, légitimement, l’effacement d’un nom gravé dans la pierre, pour cause de proximité non souhaitée ?

 

Chacun a le droit à la reconnaissance de sa souffrance spécifique, de son histoire propre, de la complexité de son destin. Chacun a droit à un espace mémoriel qui restitue sa propre vérité. Ce projet de « murs des noms » va à l’encontre de cette simple exigence.

 

Philippe Breton

ovipal

version du 22 mars 2017

 



21/03/2017
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