. . . . OVIPAL - OBSERVATOIRE DE LA VIE POLITIQUE EN ALSACE . . . .

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Une approche économique de la réforme territoriale et du redécoupage régional

 

I - Les déterminants du redécoupage régional sont principalement exogènes

 

Comme c’est assez souvent le cas pour les phénomènes régionaux, les évolutions qui déterminent les transformations qui les affectent, sont en grande partie exogènes aux besoins exprimés par les régions et leurs populations. Avant de formaliser les conséquences d’une situation considérée comme acquise et d’analyser la portée d’une éventuelle fusion des régions Alsace et Lorraine ou Alsace, Lorraine et Champagne-Ardenne, il est  essentiel de s’interroger sur les mobiles et sur les finalités de cette réforme. La très grande variété des propositions de redécoupage et des rationalités sous-jacentes (politiques, économiques, culturelles, démographiques, historiques, etc.) démontre une faible compréhension des véritables enjeux qui ont poussé la Présidence de la République et le gouvernement à procéder à la refonte de la carte des régions.

 

En posant des questions et avec la volonté de ne pas s’en tenir à des réponses de principe qui ne fournissent qu’une explication en surface (comme par exemple : « réaliser des économies », « simplifier le millefeuille territorial », « gagner en visibilité et en lisibilité », « atteindre une taille européenne », etc.), on peut entrevoir la possibilité d’une mutation territoriale de très grande ampleur. Nous pourrions assister à l’émergence d’une nouvelle conception des territoires infranationaux et à une redéfinition des fonctions et des missions premières des collectivités locales.

 

Pour comprendre les recompositions territoriales envisagées il est souhaitable (mais c’est difficile) d’englober dans une même réflexion : la réforme de l’administration territoriale de l’Etat (RéATE), la réforme de 2010 des collectivités territoriale (Sénat 2011), la stratégie européenne (Europe 2020) ainsi que le Traité européen sur la stabilité, la coopération et la gouvernance (TSCG), le statut actuel des politiques publiques dans leur rapport à la sphère économique, les mutations spatiales en cours. Depuis une trentaine d’année l’analyse économique a mis en exergue l’importance de l’organisation territoriale comme facteur de croissance et de développement. Il ne fait pas de doute que ce sont principalement des considérations de nature économique qui président à cette nouvelle transformation institutionnelle

 

II – Des déterminants essentiellement économiques

 

Les arguments officiellement avancés pour légitimer cette réforme territoriale sont donc souvent de nature économique (réduction des dépenses publiques, taille critique à l’échelle européenne, intensification des relations intra régionales). S’il convient de les interroger pour en apprécier la pertinence, il faut surtout les contextualiser.

 

La question des frontières administratives les plus adaptées à la satisfaction des besoins des populations et à l’organisation de la vie économique remonte en France aux travaux de François Perroux. Convaincu de la nécessité de dépasser le cadre de la Nation pour rendre l’action publique plus efficace, François Perroux a proposé une typologie des régions (régions homogènes, polarisées, ou de programme) qui ne repose plus sur l’histoire et les vicissitudes des rattachements successifs des régions à l’ensemble national  par le hasard des batailles gagnées ou perdues, mais sur des considérations objectives de nature économique comme la dispersion des caractéristiques socioéconomiques régionales, la convergence des flux (déplacements domicile-travail, flux économiques, transferts) ou l’élaboration de programmes de développement. Si plus récemment, au fil des rapports, des propositions  et des réformes (rapport Auroux 1998, Rapport du Comité Balladur 2007 ;  Rapport Attali 2008 ; réforme des collectivités territoriales 2010, etc.) des considérations politiques se mêlaient encore aux arguments économiques et financiers, pour justifier une réforme territoriale, c’est désormais la politique régionale européenne et plus largement la nouvelle stratégie de l’Union européenne qui a réactualisé le débat sur l’importance de l’organisation territoriale infranationale pour les performances des économies nationales, notamment en termes d’attractivité et de compétitivité, qui ont directement inspiré la réforme 2014 des collectivités territoriales. 

 

III - Les nouvelles fonctions des régions selon l’approche néolibérale du territoire

 

Désormais, en effet, la réorganisation territoriale fait partie des politiques structurelles exigées des Etats membres au même titre que la réforme du marché du travail ou la réduction des dépenses publiques. Les Etats membres pressés par l’UE de reconduire les nouvelles orientations de la stratégie européenne dans les « cadres de référence stratégiques nationaux » (conditionnalité pour bénéficier des fonds structurels 2014-2020), exigent qu’elles soient également transposées à échelon régional. Il suffit de se pencher sur les documents régionaux de politique économique (diagnostics territoriaux,  feuilles de route stratégiques, schémas régionaux d’aménagement et de développement durable du territoire, contrats de projet Etat-région) comme ceux des autres collectivités, notamment des métropoles, pour s’apercevoir qu’ils sont très souvent alignés sur un modèle unique de développement qui privilégie une démarche économique qualifiée par Gilles Ardinat de « gouvernance compétitive ».

Il s’agit bien d’une conception nouvelle et néolibérale des territoires infranationaux mis explicitement au service de finalités économiques autant exogènes qu’endogènes. Nous définissons ici le néolibéralisme comme une doctrine d’essence « marchéiste » qui place les institutions publiques et politiques sous la loi du marché concurrentiel.

 

Certes les régions, dès leur origine  (« régions Clémentel » en 1919) et tout au long de leur évolution (CAR en 1955, régions de programme en 1956, CODER en 1963,  EPR en 1972, Collectivité territoriale en 1982), les régions avaient déjà une vocation économique. A chaque phase de décentralisation elles  se sont vues attribuer de nouvelles missions économiques. Elles sont depuis longtemps des acteurs reconnus du développement (formation, emploi, innovation, infrastructures de transport, exportation, etc.)  Cependant la nouvelle conception du territoire tend à les considérer prioritairement, voire exclusivement, sous l’angle économique et non plus sous celui de l’organisation de la vie politique locale. Les régions sont aujourd’hui réorganisées pour assumer des fonctions qui étaient jusqu’ici exercées par les Etats au moyen de politiques publiques essentiellement macroéconomiques et conjoncturelles. Mais les politiques publiques nationales sont en perte d’efficacité et en fort recul et ce sont les marchés et le monde des affaires qui fixent les critères et évaluent les capacités d’action et les réponses institutionnelles adaptées des Etats et des régions. Toutes les régions d’Europe font aujourd’hui l’objet d’une évaluation permanente de leurs performances et sont placées dans une situation de concurrence généralisée (cf. Documents de la Commission européenne sur la compétitivité régionale). Dans ce contexte il ne faut pas s’étonner qu’en octobre 2012 le Président de la République ait conclu les Etats généraux de la démocratie territoriale par ces mots : « L’enjeu c’est de mobiliser, de préparer la mutation, la transition, créer des emplois, inventer un nouveau modèle de développement » ou que France Stratégie (2014), considère que la réforme territoriale est d’abord « un enjeu essentiel pour la croissance ». Le nouveau projet de loi « portant organisation de la république » (2014), est encore plus explicite : « Les régions disposeront ainsi de tous les leviers nécessaires pour assurer, aux côtés de l’Etat, dans les territoires, la responsabilité du développement économique, de l’innovation et de l’internationalisation des entreprises ». De fait l’économisme qui a pris l’initiative du redécoupage régional, pourrait bien avoir le dernier mot sur la nouvelle carte des régions.

publié le 15 septembre 2014

 

René Kahn

MdC HDR en économie à l’UdS

Quelques références bibliographiques

ARDINAT Gilles (2013), Géographie de la compétitivité, PUF/Le Monde.

 

COUR DES COMPTES (2013), Organisation territoriale de l’Etat

http://www.ccomptes.fr/Publications/Publications/L-organisation-territoriale-de-l-Etat

 

DAVEZIES Laurent (2012), La crise qui vient. La nouvelle fracture territoriale, Seuil

 

FRANCE STRATEGIE (2014), Lajudie Benoît & Hossie Gaëlle, Réforme régionale, un enjeu pour la croissance. Quelle France dans dix ans ? Rapport du Commissariat général à la stratégie et à la prospective

http://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/archives/NA-FS-Territoires-OK.pdf

http://www.strategie.gouv.fr/publications/reforme-regionale-un-enjeu-croissance

 

PROJET DE LOI portant nouvelle organisation territoriale de la République (2014), Texte soumis à la délibération du Conseil des ministres

http://www.action-publique.gouv.fr/files/pjl-notre-2014.pdf

 

SENAT (2011), Antoine Lefèvre, Rapport d’information sur la clarification de la répartition des compétences entre l’État et les collectivités territoriales.

http://www.senat.fr/notice-rapport/2010/r10-283-notice.html

 

Les territoires français au regard de la stratégie Europe 2020

http://www.europe-en-france.gouv.fr/Centre-de-ressources/Etudes-rapports-et-documentation/Preparer-la-generation-2014-2020-des-programmes-europeens-Les-territoires-francais-au-regard-de-la-strategie-Europe-2020

 

DOCUMENTS DE LA COMMISSION EUROPENNE

 

Stratégie Europe 2020

http://ec.europa.eu/eu2020/pdf/COMPLET%20FR%20BARROSO%20-%20Europe%202020%20-%20FR%20version.pdf

 

Rapports DG politique régionale sur la compétitivité régionale en Europe

http://ec.europa.eu/regional_policy/sources/docgener/studies/pdf/6th_report/rci_2013_report_final.pdf

 



15/09/2014
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