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Endiguer le Front national Grandeur et misère d’une stratégie

            Les régionales de 2015 constituent à maints égards le prolongement de celles de 1998. Au lendemain des régionales de 1998, le Front national, qui avait eu moins de 20% des voix dans la quasi-totalité des régions, s’était retrouvé en position d’arbitre pour l’accès à la présidence de régions dans les 6 régions où ni la majorité plurielle (les socialistes et leurs alliés) ni l’ensemble UDF-RPR n’obtenaient à eux seuls la majorité absolue des sièges. Pour éviter que ce genre de situations ne se reproduise, le mode de scrutin avait été modifié à partir des régionales de 2004, afin de permettre à une liste ayant eu la majorité simple des voix au second tour d’avoir la majorité absolue des sièges. Et, ironie de l’histoire, c’est avec ce mode de scrutin, mis en place pour endiguer l’influence du Front national, que celui-ci semblait, à l’issue du premier tour des régionales de 2015, être en mesure de l’emporter dans plusieurs régions et de les diriger seul. En retirant certaines de ses listes pour le second tour et en adoptant la stratégie « tous contre le FN », le parti socialiste a réussi à éviter un tel scénario. Mais il n’est pas certain que cette stratégie soit payante sur le long terme.

 

            Dans la plupart des pays européens, les partis anti-système (dont certains développent des thématiques proches de celle du Front national français) intègrent le jeu politique de façon progressive, sous l’effet notamment d’un mode de scrutin proportionnel (ou à forte dose de proportionnelle). La digue à franchir par ces partis pour être représentés aux parlements (nationaux et régionaux) est en général constituée par la barrière des 5% des voix qu’il faut atteindre pour avoir des élus. Par ailleurs, dans certains de ces pays ayant des traditions de gouvernements de coalition, il arrive que ces partis participent aux gouvernements. Bien qu’indispensables pour constituer la coalition, ils sont dans une situation où ils doivent composer avec les autres membres de la coalition. Ce fut le cas du parti de la liberté autrichien (de Jörg Haider), qui de 1999 à 2006, participa à un gouvernement de coalition avec le parti populaire autrichien (parti conservateur). Ce fut également le cas du parti pour la liberté néerlandais (de Geert Wilders), qui de 2010 à 2012, soutenait le gouvernement de coalition Rutte (coalition libérale-chrétien-démocrate) sans participer au gouvernement. Et en Finlande, le parti des Vrais Finlandais participe au gouvernement avec les centristes et les conservateurs depuis les élections d’avril 2015. Et il arrive également que ces partis participent à l’exécutif au niveau régional ou local, mais là également dans le cadre de coalitions (le parti de la liberté en Carinthie). Ce contact avec l’exercice du pouvoir peut constituer une épreuve redoutable pour ces partis, tiraillés entre leurs reflexes de parti anti-systèmes et leur rôle de parti de gouvernement (cf. les dissensions internes au parti de la liberté en Autriche pendant sa participation au gouvernement).

 

            En France, la stratégie adoptée depuis les années 1980 par les partis de gouvernement à l’égard du Front national a été la stratégie de l’isolement et de l’endiguement, si l’on excepte l’alliance en 1983 aux municipales de Dreux entre l’UDF-RPR et le FN, considérée depuis cette date comme le péché originel ayant permis son émergence électorale ou l’adoption du scrutin proportionnel aux législatives de 1986. Cette stratégie, confortée par les déclarations sulfureuses et provocatrices dont Jean-Marie Le Pen s’était fait une spécialité, s’appuie d’une part sur l’utilisation des modes de scrutin –scrutin majoritaire à deux tours pour les législatives et les cantonales – scrutin proportionnel avec prime pour la liste arrivée en tête aux régionales et aux municipales - complétée le cas échéant par la pratique du « Front républicain » (tous contre le Front national). Cette stratégie a permis aux partis de gouvernement (RPR-UDF et leurs successeurs, PS) de tenir le Front national à l’écart de l’ensemble des exécutifs aux niveaux régional, départemental municipal, et bien sûr national (à l’exception de quelques mairies). Elle a également pour effet une quasi-absence du Front national du Parlement (Assemblée nationale et Sénat). Dans l’histoire politique de la France des 150 dernières années, aucun parti politique, parvenu à un niveau électoral aussi élevé, n’avait été tenu à l’écart sur une période aussi longue de la représentation électorale.

 

            Au fur et à mesure cependant que le Front national progresse en voix, cette stratégie se rapproche de ses limites. En effet, la logique du scrutin majoritaire repose sur le principe du «tout ou rien ».  S’il franchit un certain seuil électoral, le Front national est en mesure de l’emporter seul. C’est ce qui a failli se passer aux régionales de 2015 dans 3 régions. Une digue permet d’autant mieux de contenir les flots qu’elle est élevée. Mais si elle s’effondre, l’inondation  n’en est que plus importante.

 

 

 

Le 13 décembre 2015.

 

                                                                                                         Bernard Schwengler

                                                                                                         OVIPAL  



14/12/2015
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