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Macron, Le Pen, Mélenchon : une vague populiste majoritaire ?

 

 

Que s’est-il passé aux présidentielles ? Seule une analyse des mouvements en profondeur de l’opinion permet d’expliquer les transformations en cours. Je fais ici l’hypothèse que nous avons affaire à une vague populiste de grande ampleur, qui se manifeste sous différentes formes, et s’est épanouie à la fois au sein des votes Macron, Le Pen et Mélenchon, mais qui se nourrit d’une même énergie. C’est donc de la division, ou de la réunion, ou de l’abstention, de cet électorat populiste sociologiquement majoritaire, que découlera la dynamique de la vie politique française dans les mois et les années à venir.

 

 

Il est temps, maintenant que le tourbillon des présidentielles est derrière nous, de commencer à faire un bilan de cette période, qui restera sans doute comme les plus mouvementée de la Vème république.

 

Que s’est-il passé ? Quelle est la nature des transformations en profondeur qui ont affecté l’opinion publique et le corps électoral ?

 

Je pars du principe ici que seule une analyse des mouvements en profondeur de l’opinion permet d’expliquer les transformations en cours. Le politique fait toujours mine de diriger un mouvement qu’il ne fait qu’accompagner, voire suivre avec un temps de retard. Je soutiens aussi que le politique qui comprend le mieux ces mouvements souterrains puissants sera celui le mieux à même de construire une stratégie appropriée.

 

Dans une démocratie, c’est toujours le peuple qui fait l’opinion et ce sont ses mouvements qui l’animent qui finissent toujours par déterminer les évolutions politiques. Lorsque les élus l’oublient, ils prennent le risque d’une rupture. C’est d’ailleurs en partie ce qui s’est passé en ce printemps 2017.

 

Partons des faits, c’est à dire des chiffres dans toute leur simplicité. Au premier tour des élections présidentielles, les candidats de la « rupture », "hors des partis traditionnels", "ni gauche, ni droite",  obtiennent 65% des exprimés. C’est le total des voix d’En Marche (24%), des Insoumis (19%), du FN (22%).

 

Peut-on ranger ces trois mouvements dans la même catégorie ? Non, car ils n’ont à l’évidence pas le même programme politique. Oui, car une partie importante de leurs électorats respectifs ont exactement la même caractéristique et expriment les mêmes sentiments. Ce que la sociologie politique distingue (les programmes, les hommes qui les portent), la sociologie électorale peut le rassembler.

 

Qu’est-ce qui serait donc commun à ces trois électorats (sans compter celui qui s’abstient) ? Je fais ici l’hypothèse que nous avons affaire à une vague populiste de grande ampleur, qui se manifeste sous différentes formes, mais qui se nourrit d’une même énergie.

 

 

Avant d’aller plus loin, et comme ce terme est utilisé dans des sens parfois très différents, je voudrais définir très rapidement ce que j’entends ici par « populisme ».

 

  • Populisme n’est pas un terme péjoratif – il y a des excès du populisme, parfois catastrophiques, mais par nature, c’est une des formes prises par le politique en démocratie

 

  • Populisme ne définit pas un contenu politique – il peut être de gauche, de droite, ou même neutre de ce point de vue

 

  • Populisme désigne un cadrage qui distingue entre le « peuple » et les « élites » et oppose ces deux réalités

 

  • Populisme renvoie à un « peuple » que l’on peut définir et délimiter de différentes façons – le peuple peut être défini par l’appartenance à une culture, ou à une origine, ou à une pratique commune (le peuple des « français », le peuple des « travailleurs », le peuple des « jeunes, des optimistes et des entrepreneurs »)

 

  • Populisme définit une « élite » qui capterait à son profit l’énergie du peuple, qui prétend le représenter alors qu’elle ne défend que ses propres intérêts (journalistes, élus, enseignants, prêtres, magistrats) et n’évolue que dans son propre monde – c’est dans sa fonction de médiation que les « élites » auraient trahi le peuple.

 

  • Populisme renvoie à un désir de « démocratie directe » : tirage au sort, référendum, approbation directe, assemblée générale, au détriment de toutes les formes de représentations politiques par des intermédiaires élus.

 

Si l’on veut bien admettre, ne serait-ce qu’un instant, que ces différentes définitions ont une quelconque pertinence, on peut voir qu’elles rendent assez bien compte de la situation électorale que nous venons de connaître et notamment de la vague populiste qui a submergé l’électorat.

 

Le Front National a effectué un virage très serré pour capter ce sentiment populiste. L’opposition du peuple et des élites est devenue, au fil de la campagne, le leitmotiv de Marine Le Pen. Sa progression électorale est le fruit de cette connexion forte avec la vague populiste. Analyser cette progression en termes d’extrême droitisation de l’électorat me paraît une grave – et naïve - erreur d’analyse. L’électorat du FN aujourd’hui est composé d’une petite minorité d’électeurs authentiquement proches des thèmes de l’extrême droite nationaliste classique et d’une large majorité d’électeurs qui combinent un profond sentiment populiste et une vision du peuple liée à la Nation française.

 

Le mouvement des Insoumis, c’est à dire Jean-Luc Mélenchon, a lui aussi effectué un virage qui lui a garanti une progression fulgurante. Ni de gauche ni de droite, mais peuple, lui aussi contre les élites qu’il faut « dégager ». Un peuple réuni sous la bannière du travail. L’électorat de Jean-Luc Mélenchon comporte, notamment en ville, un noyau d’électeurs de gauche et d’extrême gauche mais aussi de larges pans d’électeurs (notamment dans le monde ouvrier péri-urbain) en « sécession sociale », qui peuvent aussi voter Le Pen ou s’abstenir, sans avoir le sentiment de renier une quelconque cause.

 

Il y a donc une perméabilité importante de l’électorat de Le Pen et de celui de Mélenchon et, sociologiquement, ce qui les rapproche est plus important que ce qui les divise. Un des enjeux des législatives est d’ailleurs la question de savoir lequel de ces deux dirigeants réussira à capter à son profit l’électorat populiste et à se positionner ainsi comme le véritable leader de l’opposition.

 

Reste le cas d’En Marche. Ce mouvement a, à mon sens, une base partiellement populiste, notamment grâce à la contestation du rôle des partis politiques et des « élus de gauche et de droite ». Populiste jusqu’à l’absence de programme et la fascination pour une démarche plus… dynamique. La sorte d’union nationale qu’il développe aujourd’hui sur le plan politique relève bien de cette catégorie. Il s’appuie sur une sorte de « populisme new age », fait de contestation des règles et de libertarisme entreprenarial. Son handicap tient à la définition qu’il a du peuple, très réductrice, et pour tout dire, assez étroitement circonscrite à la petite bourgeoisie individualiste, « jeuniste » et branchée des villes, liée à l’innovation et aux nouvelles technologies. La base électorale du nouveau Président est assez faible et ne dépasse guère 20 % des inscrits. Il n’a du sa majorité politique qu’au renfort de l’éternel, et irréel, réflexe anti extrême droite.

 

On sait le sort des deux grands partis contestés par la vague populiste. Le PS n’y a pas résisté, car son électorat initial, qui s’est détaché de lui, notamment les classes populaires et particulièrement celles issues de d’immigration, est le plus sensible à la contestation des élites. Les Républicains ont, quant à eux, une base électorale plus solide car sociologiquement homogène et très proche des dites élites.

 

Se dessine donc pour l’avenir un électorat, et une opinion publique, répartie en trois pôles :

 

  • Un électorat classiquement de droite, assis sur une base sociologique homogène, solide mais minoritaire – les législatives nous en diront plus, mais je fais le pari qu’il résistera

 

  • Un électorat « macroniste », à la fois new age et légitimisme, captant les classes moyennes modernistes avides de bousculer les vieilles élites et ce qui reste de la gauche sociale-démocrate – électorat probablement prompt à la déception, individualiste, peu homogène sociologiquement et en tout cas minoritaire, que la composante populiste lâchera rapidement au vu de la probable reconstitution d’une « élite » à base de technocratie

 

  • Un électorat populiste, sociologiquement majoritaire, que se disputent ardemment le FN et les Insoumis – électorat partagé donc entre des influences politiques en partie contradictoires, et de ce fait en difficulté pour traduire sa majorité sociologique en majorité politique. La fragilité de cet électorat tient à la réaction de défense qu’il met régulièrement en place grâce à des comportements de « sécession sociale » et d’abstention.

 

Une fois que la fascination, très française, mais toujours provisoire, pour la capacité du nouveau président à se couler dans les ors du pouvoir se sera éteinte dans l’opinion, c’est donc de la division, ou de la réunion, ou de l’abstention, de cet électorat populiste, en fonction des stratégies des deux partenaires qui se le disputent (FN et Insoumis), que découlera la dynamique de la vie politique française dans les mois et les années à venir.

 

Philippe Breton

Ovipal

17 mai 2017

 

coquilles corrigées à 14h29

 



17/05/2017
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