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En finir avec le fantasme de la « déradicalisation »

Lors de sa dernière visite à Strasbourg, le ministre de la Justice a reconnu, en termes diplomatiques mais clairs, que nous ne savions pas comment nous y prendre en matière de « déradicalisation ». Et si le problème se posait autrement et qui fallait questionner la possibilité même d’obtenir le moindre résultat de l’action publique dans ce domaine ?

 

Ne faut-il pas en finir avec l’idée que l’on pourrait « déradicaliser » ceux qui se sont jetés, de près ou de loin, dans les bras du terrorisme ? Au mieux cette idée serait une illusion naïve, qui nous empêche de voir la réalité du phénomène. Au pire elle alimenterait le curieux sentiment de culpabilité qui inverse le rapport entre les victimes et les bourreaux. Dans les deux cas elle nous empêche peut-être d’agir efficacement sur les racines de la violence terroriste.

 

Les hypothèses les plus sérieuses nous indique que les hommes – et les femmes – concernés le sont d’abord par la violence, et seulement ensuite par le cadre de légitimation que fournit l’Islam radical. Selon la belle formule d’Olivier Roy, nous sommes bien dans une « islamisation de la radicalité ». Soutenir cela ne dédouane en aucune façon l’Islam du fond de pensée archaïque et violent dont beaucoup pensent qu’il est porteur sans discontinuer depuis le VIIIème siècle et dont en tout cas les musulmans semblent avoir le plus grand mal à se débarrasser.

 

Les motivations des penseurs et de la doctrine dans laquelle ils puisent, donc des donneurs d’ordre, sont assez différentes des motivations de ceux qui se transforment en exécuteurs.  C’est le cas de tous les crimes de masse commis dans l’histoire. On a assez insisté sur la méconnaissance crasse de la théologie ou même des simples fondements de l’Islam chez les terroristes pour qu’il ne soit pas nécessaire d’insister plus.

 

Par contre nous n’avons peut-être pas tiré toutes les conséquences du fait pourtant bien connu aussi, que tous, sauf de très rares exceptions, ont un passé violent et délinquant. L’appétence pour la violence en soi, sous ses formes les plus paroxysmiques, jusqu’à l’ultime violence que constitue le suicide en opération, montre que le cadre pour penser la radicalisation à l’échelon des individus, est moins celui de la religion que celui de l’anthropologie, plus classique, de la brutalité et du crime.

 

Dès lors la question de la « déradicalisation » se pose dans les mêmes termes pour les terroristes que pour les autres grands criminels qui peuplent les prisons depuis plus longtemps. Pourquoi un traitement particulier pour les uns plus que pour les autres ? Leurs pensées, comme leurs comportements, relèvent de la même racine. Ce n’est pas la rationalisation dont ils entourent leurs actes qui est le niveau essentiel, mais la question de savoir ce qui, dans leur destin individuel, les a conduit, au fil de leurs bifurcations biographiques à passer à l’acte violent et à y voir la solution, souvent unique, aux nombreux problèmes que pose la vie.

 

Question classique de la criminologie, qu’il faudra encore et encore poser, en se débarrassant des œillères habituelles du politiquement correct qui voudrait que la pauvreté, la discrimination et au bout du compte notre responsabilité de nantis expliquent définitivement le phénomène. En l’état actuel de nos connaissances, nous ne savons pas grand chose sur ce qu’il faudrait faire pour « déviolentiser », c’est-à-dire pour débarrasser de leur appétence pour la violence, les criminels, civils ou religieux. Mais nous savons au moins deux choses.

 

D’une part, et c’est le fond, il faut que justice passe et qu’elle mette hors d’état de nuire les criminels pour longtemps (le code pénal pourvoit bien à cette temporalité nécessaire de la répression), quels qu’ils soient. Et prendre garde que l’illusoire possibilité d’une « déradicalisation » dispenserait certains, parce que religieux, de l’application sévère des peines que leur acte appelle.

 

D’autre part nous savons qu’une fois leur peine accomplie, de nombreux criminels ne récidivent pas. On ne sait pas ce qui s’est passé exactement dans leur tête, mais au moins l’idée du passage à l’acte n’exerce plus guère d’influence sur leur comportement. Ils n’ont pourtant pas été « déradicalisé ». Les motifs de la non récidive sont obscurs et mêlent peur de retourner en prison, manque d’énergie et fatigue d’être un soi violent, désir aussi, bien humain, de changement. Remords et rédemption, parfois.

 

Ce qui vaut pour les grands criminels en prison vaut également pour ceux qui n’y sont pas encore, tout en ayant déjà grimpé quelques marches dans cette direction. Les individus violents sont nombreux dans notre société, où le tabou du sang versé – source de la pacification des mœurs en Occident -  n’est pas encore totalement généralisé.

 

Le fantasme d’une possible déradicalisation nous empêche d’évaluer les limites concrètes de notre action, qui passe pour l’essentiel par la menace et la possibilité réelle de la répression. Ce fantasme nous dédouane d’avoir à assumer cette fermeté. Il nous conduit à sombrer dans le ridicule des « stages » en tout genre, et des missions, quand elles ne sont pas sur fonds publics, confiées à des personnalités troubles aux pratiques invérifiables, secondées par d’anciens terroristes eux-mêmes, pourtant rarement qualifiés pour cette tâche.

 

Se débarrasser de ce fantasme ferait peut-être reculer la culpabilité mortifère, qui nous fait voir les bourreaux comme des victimes et les victimes comme responsables de ce qui leur arrive. Ce serait au moins ça de gagné.

 

Philippe Breton

Ovipal

18 novembre 2016



18/11/2016
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