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Les nouvelles orientations de la communication de la région Grand-Est : un débat politique totalement absent

La communication de la région Grand-Est est certes discrète. La nouvelle région doit prendre le temps de se mettre en place et de s’organiser ; Elle n’est pas pour autant inexistante et surtout elle prend une tournure nouvelle qu’il s’agit de décrypter.

Cette communication sur un mode différent de la communication institutionnelle classique qui fait habituellement une large place au débat politique, intègre les tendances lourdes de notre époque : elle passe presque exclusivement par les NTIC et les réseaux sociaux (cf. la plate-forme Be-EST)[1], elle est dominée par un thème central et une rationalité : celui et celle de l’économie. Avant même de vouloir convaincre la population du bien-fondé de sa démarche générale, elle pose un diagnostic et impose une vision « économiciste » et « concurrentialiste » du territoire.

Le débat politique y est totalement absent. Ce faisant elle recherche en priorité la participation des entrepreneurs, la confiance des marchés et le désir des investisseurs.

Cette évolution de la gouvernance régionale n’est pas sans rappeler la tendance actuellement dénoncée au niveau national comme au niveau européen, de substituer à la démarche politique démocratique une approche exclusivement comptable et économique réservée aux seuls acteurs économiques et aux experts réputés neutres et indépendants[2].

A première vue, le site de la région Grand-Est est européen (.eu) et non national (.fr)[3], il est organisé autour de 4 grandes rubriques : LA REGION, TERRITOIRE, ACTIONS, AIDES auxquelles viennent s’adjoindre un ESPACE PRESSE qui donne quelques informations sur l’agenda régional et une rubrique CONTACT qui recueille les messages des internautes. Même si les tractations en cours n’y sont pas transparentes, il nous est assuré que la réorganisation  permettra « d’impulser les nouvelles politiques publiques pour lesquelles l’exécutif a été élu et d’assurer la transition entre notre ancienne organisation territoriale et la nouvelle ». Pouvons-nous à travers le contenu des rubriques deviner les grandes orientations à venir ?

 

Sous la rubrique « LA REGION » nous apprenons que Le Conseil Régional d’Alsace -Champagne-Ardenne-Lorraine se compose désormais d’un Président, de 15 Vice-Présidents et 169 conseillers régionaux élus. 56  conseillers forment la Commission Permanente qui se réunit chaque mois. Il se compose également de 15 commissions thématiques qui instruisent les dossiers relevant des compétences régionales notamment les compétences renforcées par la loi NOTR(e) : les lycées–bâtiments, l’apprentissage, la formation professionnelle, le développement économique, le transport ferroviaire régional, l’aménagement et environnement. En outre 11 Conseillers régionaux se sont vus attribuer une délégation sectorielle : fonds européens, expérimentation en matière d’emploi, artisanat, économie sociale et solidaire, etc.

 

Pour l’heure les délibérations infrarégionales des trois anciens Conseils Régionaux restent applicables dans leurs territoires respectifs jusqu’à leur remplacement par une nouvelle délibération du nouveau Conseil. Nous ne pouvons guère en savoir plus sauf à décortiquer et interpréter le budget primitif 2016 qui s’élève à 2,541 milliards €[4]. Dans un contexte de raréfaction des ressources financières : baisse des dotations de l’Etat (la région a enregistré en 2016 une perte de recettes de 40 millions €) et de stabilisation de la fiscalité, les objectifs affichés sont : la maîtrise de la dette (2,3 milliards €), l’harmonisation de la fiscalité avec pouvoir de taux (de fait uniquement la taxe sur les certificats d’immatriculation des véhicules), le maintien d’un haut niveau d’investissement (800 millions € en 2016) et d’autofinancement grâce à un taux d’épargne élevé (18 %, devant passer à 20 %). Dans cette rubrique l’expression des groupes politique y est minimaliste et anecdotique ;

 

Sous la rubrique « TERRITOIRE », la nouvelle région Grand-Est fait d’ores et déjà territoire et la rhétorique du marketing économique fait sentir la force implacable de son argumentaire tout à la fois neutraliste (pas d’asymétrie de situations, pas d’inégalités, pas de problèmes)[5], marchéiste et concurrentialiste (dans la compétition régionale nous sommes parmi les meilleurs et souvent les premiers) : « Avec plus de 5,5 millions d’habitants sur un territoire vaste de quelque 57 800 km² », la région Grand-Est s’assure « un positionnement stratégique au cœur de l’Europe », «dispose d’un potentiel de développement et d’attractivité particulièrement remarquable ». Par sa grande accessibilité elle est une région « ouverte, solidement ancrée dans les dynamiques d’échanges nationaux, européens et mondiaux ».

 

Elle est en outre « une région jeune, innovante et entreprenante » qui offre « des secteurs économiques et des savoir-faire d’excellence », plus un facteur d’attractivité supplémentaire qui est son « patrimoine naturel, environnemental, culturel et touristique riche et diversifié ». Elle est enfin dotée d’une frontière commune avec quatre pays et fortement exportatrice. Ses secteurs d’excellence sont bien rappelés, notamment la chimie, la mécanique, la filière bois-forêt, l’industrie agro-alimentaire, les technologies de santé et les biens de luxe. Son tissu associatif dense (90 000 associations) est présenté comme un facteur supplémentaire de renforcement du potentiel économique et d’attractivité. La richesse du patrimoine naturel et culturel est également valorisée dans une démarche plus exogène qu’endogène.

 

La rubrique « ACTIONS » s’inscrit dans la logique du diagnostic précédent, elle détaille les politiques et les initiatives en matière de soutien à l’emploi par la compétitivité (223 millions €), à l’innovation, clef de la compétitivité (65 millions €), à l’attractivité et l’accessibilité :  tourisme (28 millions €), au transport (600 millions €), à l’aménagement du territoire (98 millions €), à la formation professionnelle et à l’apprentissage (484 millions €), à l’enseignement et aux lycées (306 millions €), à la jeunesse (13 millions €), et enfin à la culture, au sport, aux relations internationales et transfrontalières (globalement : 147 millions €). Pour toutes ces politiques la logique de compétitivité, d’attractivité et de rayonnement, prime et étend sa domination sans partage.

 

 Une attention particulière est accordée au financement de l’économie et à la modernisation des entreprises, notamment pour un projet de transformation de 100 à 150 PME par an, en « usines du futur 4.0 »[6]. Cette démarche décrite comme favorable à l’emploi et à la baisse du chômage s’accompagnera d’un redéploiement des fonds régionaux de croissance et de capital-risque ainsi que d’une levée de fonds à hauteur de 100 millions €.

La nécessité d’élaborer un Schéma Régional de Développement Économique, d’Innovation et d’Internationalisation (SRDEII) conduit la région à lancer une concertation auprès de l’ensemble des acteurs économiques du territoire jusqu’en décembre 2016. C’est la démarche Be-EST[7] signalée précédemment dont l’ambition est de trouver des réponses « aux enjeux actuels de compétitivité et d’attractivité », de « poser les bases d’une future gouvernance » et de « faire converger les politiques régionales des trois anciens territoires ». Sont concernés en priorité par cette consultation et pour le moment exclusivement les entreprises et les acteurs institutionnels (agences territoriales, élus, grandes collectivités territoriales). Une consultation pourrait être ouverte également aux citoyens à compter du 3 octobre 2016. Les choix économiques sont débattus à l’écart du champ politique. Le SRDEII devrait être approuvé en avril 2017.

 

La rubrique « ACTIONS » comporte d’autres initiatives telles que le pacte pour la ruralité, le coup de pouce aux familles lors de la rentrée 2016, et aux éleveurs, le mois de l’Europe, les soutiens apportés aux festivals, au sport, à l’éco-tourisme et … au Très Haut Débit. Tout dans la stratégie régionale ne semble donc pas se réduire à une bataille économique et de notoriété que nous livrons à l’ensemble des autres régions d’Europe.  Il subsiste encore quelques thèmes à connotation populaire, humaniste, sociale et conviviale, jusqu’à ce que les prêteurs (les banques, les porteurs d’obligations, les PPP et les fonds structurels européens, cf. les annexes du budget primitif 2016[8]) qui assurent le co-financement de la région au-delà de ses ressources propres ne décident de poser des conditions biopolitiques supplémentaires et d’imposer des normes plus contraignantes aux politiques régionales d’aménagement et de développement[9].

 

La nouvelle région Grand-Est a bien conscience des critères qui conditionnent l’obtention de ses financements. Pour contenir la charge de la dette il est question de lancer un emprunt auprès de la population ou d’instaurer une nouvelle taxe sur les ménages qui ne fait pas l’unanimité. Même à l’échelle régionale, l’autofinancement des politiques publiques semble bien être une condition nécessaire à la restauration de la démocratie.

 

René Kahn

Ovipal

Version du 27.9.2016



[1] https://www.be-est.com/

[2] Jean-Paul FITOUSSI (2004), La démocratie et le marché, Grasset ; Pierre DARDOT &Christian LAVAL (2016),  Ce cauchemar qui n’en finit pas. Comment le néolibéralisme défait la démocratie, La Découverte ; Henri GUAINO (2016), En finir avec l’économie du sacrifice, Odile Jacob.

[4] http://www.alsacechampagneardennelorraine.eu/budget-primitif-2016/

[5] L’Atlas régional très riche, montre cependant des disparités intra-régionales très importantes dans presque tous les domaines (démographie, emploi, économie, conditions de vie, milieux naturels et environnement, etc.)

http://www.alsacechampagneardennelorraine.eu/atlas/

 

[6] Il s’agit une usine numérique, robotisée, bourrée de capteurs pour démultiplier les interfaces entre les machines automatisées, les interconnexions (entre les spécialités et entre les lignes de production via la standardisation et la modularisation), capable de ce fait d’innover en continu, d’intégrer le consommateur dans le processus productif et de gérer les flux d’énergie et de matière de manière optimale. http://usinedufutur.insa-rennes.fr/wp-content/uploads/2014/03/Usine-du-Futur.pdf

 

 

 

 

[7] https://www.be-est.com/

[8] http://www.alsacechampagneardennelorraine.eu/budget-primitif-2016/

[9] KAHN R. (2016), « Investissements directs internationaux, normes mondiales d’aménagement et territoires, les nouveaux habits du capitalisme territorial transnational », in la Lettre du Financier Territorial (LFT), n°313, septembre.



29/09/2016
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