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Comment expliquer la réaction des alsaciens à la réforme territoriale ? Intervention de Philippe Breton dans l'émission de France 3 "La voix est libre"

Cet article développe l’intervention de Philippe Breton faite sur France 3 lors de l’émission « La voix est libre » du samedi 18 avril 2015, consacrée à la nouvelle grande région Est en gestation. L’émission, animée par Caroline Kellner, était d’autant plus intéressante qu’elle s’adressait aux téléspectateurs de toutes les stations du Grand Est. L’ensemble de l’émission est visible en ligne à l’adresse :

 

http://france3-regions.francetvinfo.fr/alsace/emissions/la-voix-est-libre-0

 

La question adressée à Philippe Breton, invité comme directeur de l’observatoire de la vie politique en Alsace, était formulée ainsi : « Comment expliquer  la réaction des alsaciens à la réforme des régions ». La réponse, forcément courte dans le format de l’émission, d’une durée de 3 minutes environ était étayée par l’analyse suivante :

 

 

La réaction des alsaciens, du moins de ceux qui se sont exprimés sur cette réforme, a effectivement été emprunte de réserve, sinon d’hostilité. Ce phénomène peut s’expliquer par trois raisons, qui convergent et se superposent, l’opposition d’une région riche, le double jeu de l’UMP et le réveil de l’autonomisme. Elle prend place sur un fond de frustration et d’absence de reconnaissance d’une Alsace rurale et péri urbaine.

 

L’opposition d’une région riche

 

La première raison tient à un réflexe de recul, voire d’opposition spontanée à ce que soient regroupées une zone plus riche (l’Alsace) avec des zones moins riches (Lorraine et Champagne-Ardenne). La crainte, ici très claire, est celle d’une perte de niveau de vie et d’affaiblissement de l’activité économique, par un transfert vécu comme mécanique. C’est le lot de toutes les régions plus riches en Europe que de tenter de limiter les effets de péréquation et de redistribution des ressources dans des ensemble plus vastes. C’est le ressort, par exemple en Espagne, du désir d’indépendance de la Catalogne, région qui estime payer pour les plus pauvres et les moins dynamiques.

Cet argument touche le cœur même de la réforme territoriale, dont l’objectif est justement de lisser les disparités économiques en France, en provoquant des synergies cohérentes. L’hostilité à ce qui s’apparente pour certains à un nivellement par le bas, peut s’accompagner de réflexes de nature xénophobe (autour d’énoncés comme « nous sommes travailleurs, les autres ne le sont pas, donc partager les ressources est injuste »). Cette tonalité était présente dans certaines caricatures visant les Lorrains, publiés notamment par la revue du conseil régional d’Alsace, ou sur des panneaux lors de manifestations publiques.

Cet argument spécifique (l’hostilité au partage des richesses) n’est pas que le fait des « Alsaciens de tradition », tout habitant de la région pouvant se sentir saisi par cette inquiétude économique. Celle-ci est d’autant plus forte que la crise économique passe aussi en Alsace, région du coup moins riche et moins dynamique qu’elle aurait pu le prétendre à une certaine époque. Cette réserve vis à vis de la réforme territoriale n’a guère été levée par le débat politique (où les arguments en faveur du dynamisme accru qu’elle entrainerait n’ont pas été véritablement développés) du fait du relatif mutisme sur ce point des élus socialistes régionaux et du fait également de la stratégie de l’ « huile sur le feu » adoptée par l’UMP.

 

Le double jeu de l’UMP

 

La deuxième raison de l’hostilité alsacienne tient précisément à cette dernière stratégie. L’UMP régionale, Philippe Richert en tête, ont d’abord choisi une stratégie de rupture. Seule région de droite en France, l’Alsace a été utilisée comme « terre de résistance » et comme laboratoire d’opposition au gouvernement sur ce point précis. S’appuyant sur un électorat essentiellement péri urbain, avec une forte présence d’alsaciens de traditions, qui se sont toujours sentis bien représentés par une classe d’élus de droite et centristes, elle aussi sociologiquement issue de ce milieu, l’UMP a mobilisé contre la réforme sur des thèmes identitaires, en tendant la main à des milieux culturels proches de l’autonomisme. Le résultat a été la tenue de manifestation dont une majorité des participants refusait de chanter la Marseillaise qui leur était timidement proposée par des élus UMP.

La suite de l’histoire a montré qu’à cette occasion l’UMP a joué un double jeu, se servant d’une base autonomiste comme « supplétifs » pour construire une opposition politicienne et tactique, de portée nationale, à une réforme socialiste. Ce double jeu de l’UMP lui sera largement reproché par les milieux autonomistes qui n’ont vu la manœuvre que trop tard et qui n’ont pas hésité à qualifier Philippe Richert de « traître » à la cause qu’il avait semblé un temps défendre.

Ce mouvement d’opposition, qui a été au point de convergence provisoire de l’UMP, des centristes et des autonomistes, a été le seul visible dans l’espace public, et, du coup, il a été le support d’une généralisation qui a fait croire à l’hostilité de l’ensemble de l’Alsace. Les socialistes, quant à eux, ont été plombés par un message peu audible (pas d’accord avec le PS national, mais pas d’accord pour s’opposer à la réforme, et de toute façon pas d’accord entre eux). Le Front national, dont l’influence s’étend quand même sur un petit tiers des votants en Alsace, a défendu, mais mezzo vocce, des positions strictement départementalistes, hostiles à tout découpage régional de la France, pour des raisons nationalistes. Le FN est donc resté très discret, sur une question clivante, y compris en son sein, et sur un terrain où il n’avait aucun intérêt à s’engager. L’espace public n’a donc été occupé que par la minorité de ceux qui étaient radicalement hostiles à cette réforme.

 

Un timide réveil régionaliste

 

La troisième raison de cette hostilité minoritaire malgré une très grande visibilité, est le réveil, qui a, il faut le dire, surpris tout le monde, (y compris les politologues les plus avertis…) de ce que l’on appelle par facilité le mouvement autonomiste. Eclaté en plusieurs groupes, avec des militants peu expérimenté et par toujours en accord entre eux (Unserland, la Fédération démocratique alsacienne, XXX), ce mouvement a néanmoins eu un sens aigu de la communication, aidé par les couleurs très télégéniques de l’Alsace et par le côté aimablement spectaculaire des coiffes et autres tenues locales. Plus fondamentalement, ce mouvement a trouvé son origine dans les associations culturelles ou linguistiques, notamment en milieu rural et péri urbain, qui ont toujours été actives en Alsace. Il est porté par des Alsaciens de souche, attentifs au maintien de certaines formes d’identité culturelles. Certains d’entre eux , ultra minoritaires, n’ont pas hésité à basculé dans un radicalisme verbal mais menaçant (avec notamment des menaces de mort en direction d’élus ou de journalistes).

La cristallisation de ce mouvement s’est faite sur le constat que la nouvelle réforme allait disjoindre le politique du culturel, jusque là en partie associés du fait que la majorité des élus régionaux défendaient une politique très régionaliste au sens culturel. La crainte que l’affirmation culturelle se ferait désormais sans soutien politique n’a fait qu’accroitre une inquiétude déjà forte du fait que les traditions alsaciennes, et notamment le parlé de l’alsacien, sont en chute libre.

Il a fallu attendre les élections départementales pour évaluer le poids politique réel de ce mouvement, qui est resté une inconnue jusqu’au dernier moment. La réalité électorale (entre 10 et 20 % dans certaines zones peri urbaines) de l’autonomisme est sans doute le décalque fidèle de l’implantation de l’ « alsacianéïté » culturelle. Le mouvement n’a pas réussi véritablement à fédérer l’électorat alsacien en dehors de quelques noyaux locaux, autour de quelques associations, de familles élargies ou de personnalités influentes. Son influence à Strasbourg est quasi nulle. Cela n’a pas empêché  sa visibilité médiatique de dépasser son influence réelle.

 

Un fond de frustration et de déficit de reconnaissance de l’Alsace

 

Cette opposition à la réforme territoriale, quelque soit la ou les raisons auxquelles elle se rattache, n’aurait sans doute pas pu se développer avec cette intensité, si elle n’avait fait fond sur le véritable malaise identitaire qui imprègne tout le climat politique et social alsacien, et ce depuis longtemps. Plus qu’un problème identitaire, il s’agit ici d’abord d’un problème de reconnaissance. Qu’ils soient alsaciens de tradition ou pas, les habitants de la région, à l’exception de quelques noyaux urbains formés par les classes « moyenne-moyenne » et « moyenne supérieure », notamment à Strasbourg, souffrent dans leur grande majorité d’un problème de reconnaissance.

Soyons clair : l’image de l’alsacien n’est pas bonne dans l’opinion publique du reste de la France. Elle est associée à une certaine arrogance, voire un sentiment de supériorité, à une excessive rigueur dans le travail et dans les mœurs, à la recherche de l’ordre, à la persistance de traditions religieuses loin des valeurs de laïcité. Elle est aussi associée à l’extrême droite (du fait d’un vote précoce pour un Front national pourtant plutôt modéré dans la région) et, disons-le clairement, à la « bochitude » (pas les allemands d’aujourd’hui, mais les « boches » d’hier). Les dessins de Plantu, représentant de façon répétitive dans les années quatre vingt dix, l’alsacien avec un brassard nazi, a fait des dégâts considérables de ce point de vue. Dans le reste de la France, on aime l’Alsace, ses vins, sa gastronomie et ses paysages, mais pas ses habitants.

L’Alsace, qui estime pourtant avoir toujours un bon élève, que ce soit dans le patriotisme français ou dans la réussite économique, se voit victime d’une reconnaissance systématiquement négative. Et cela concerne, encore une fois , autant les alsaciens de souche que ceux qui ont épousé le destin de la région. Il y a là une blessure qui ne guérit pas au cœur de tous les alsaciens en dehors de Strasbourg. De plus la capitale européenne y est de plus en plus vécue comme « hors sol », cosmopolite et coupée de ses traditions régionales, de plus en plus refermée derrière des remparts invisibles, ponctués par ces parkings « relais » où l’on est sommé de laisser sa voiture quand on vient de la « campagne ».

Ce déficit majeur de reconnaissance était déjà l’une des raisons majeures d’un vote précoce pour le Front national, qui redonnait aux alsaciens une possibilité d’être enfin français, au prix de l’acceptation du nationalisme. Il a été le fond d’une révolte sourde ou explicite contre une réforme territoriale qui venait dire à leurs yeux que l’Alsace, décidément, on n’en voulait pas.

 

 



20/04/2015
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