. . . . OVIPAL - OBSERVATOIRE DE LA VIE POLITIQUE EN ALSACE . . . .

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Interview de Patrick Tassin, Président du CESER Grand Est : « Grand Est ou pas, l’Alsace continue d’exister, de même que les autres anciennes régions »

Vous venez d’être réélu Président du Conseil Economique, Social et Environnemental Régional, qui est l’assemblée de la société civile de la région Grand Est. La nouvelle assemblée, profondément renouvelée, est à la recherche d’une plus grande efficacité avec une taille plus réduite ; elle se compose désormais de 180 personnes. Quelles sont les nouvelles priorités politiques recherchées : le travail autour des fractures territoriales qui rendent difficile l’égalité des territoires, la mise en oeuvre d’une réflexion permettant le soutien de l’activité et de l’emploi, la question de l’agriculture et du développement durable, l’aide aux mouvements associatifs … Les chantiers du Céser sont multiples. Est-il néanmoins possible d’en indiquer les priorités dans une configuration régionale où, par exemple, on ne peut pas comparer les Ardennes ou le bassin de vie de Chaumont avec la région des Trois frontières autour de Saint-Louis ?

 

Quelle que soit la taille du territoire sur lequel elle agit, l’institution régionale gère plusieurs compétences d’importance pour faciliter le développement de la région administrative, qui est elle-même constituée de multiples territoires de dimensions différentes (départements, cantons, bassins de vie, zones d’emploi…). Le Grand Est est très vaste, deux fois la Belgique, près de 5 200 communes, 10 départements, 31 zones d’emploi, plus de 5,5 millions d’habitants, plus de 57 000 km2…

 

Certes, de premier abord, cette immensité ne facilite pas forcément les choses. Mais la diversité, les différences, l’hétérogénéité ne sont pas des handicaps, bien au contraire. Non seulement il ne faut pas rechercher l’égalité territoriale, mais il faut cultiver nos différences : ne sont-ce pas les champs qui nourrissent les villes ? Ce sont bien les complémentarités territoriales qu’il faut nourrir, et non pas vouloir les fondre dans un magma territorial.

 

Le CESER n’a pas choisi le périmètre de cette région. Mais la société civile organisée qui le compose est convaincue que la région est la bonne dimension pour développer des stratégies en matière économique, de formation, de mobilités, d’aménagement du territoire…

 

En l’occurrence, les défis et les atouts qui se présentent dans le Grand Est sont nombreux : inégalités, et même fractures territoriales, très forte emprise rurale, des voisins éminents (quatre Pays puissants, la région Ile-de-France…), une économie qui a souffert mais qui compte des points forts, notamment industriels et agricoles, des savoir-faire nombreux et de haut niveau, mais des niveaux de qualification globalement insuffisants, une recherche parfois d’excellence, mais pas encore assez puissante…

Autant dire que le travail d’exploration dans ces domaines, que compte mener le CESER dans les années qui viennent, est conséquent et essentiel pour l’avenir des territoires qui composent le Grand Est.

 

- Si le CESER est une instance consultative, il fait figure de partenaire incontournable de la définition des politiques régionales. Ses membres issus de divers horizons de la société civile (responsables d’entreprises, syndicalistes, responsables associatifs, agriculteurs, artisans, universitaires, responsables culturels, représentants des professions libérales ou encore défenseurs de l’environnement… ) témoignent à la fois d’une forte volonté  de démocratie participative et de dialogue social en région Alsace Champagne-Ardenne Lorraine … Notre pays est très centralisateur et tout semble y être toujours « imposé » d’en-haut. Dans un tel contexte, pensez-vous cependant que la réforme territoriale -avec le rôle particulier joué par le CESER- ait pu contribuer à rétablir un lien de confiance entre les habitants et les élites ?

 

Non seulement le pays reste assez centralisateur, mais l’esprit même de la décentralisation du début des années 80 a pris de sérieux coups ces dernières années : la réforme territoriale elle-même en est un exemple assez désastreux, qui s’est faite sans aucun débat local, en ignorant totalement les élus territoriaux, de même que les acteurs régionaux, et encore plus les populations. D’autre part, le fait que l’Etat ait pris le pouvoir sur la quasi totalité des recettes régionales, et même sur la majorité des dépenses, tourne le dos à la démocratie locale déjà bien mal en point.

 

Tout cela contribue à une très grande méconnaissance populaire de ce que fait ou pourrait faire la Région. Et cela s’est, hélas, traduit au moment des dernières élections régionales, fin 2015, par un nouveau record de l’abstention et par un résultat pour le moins inquiétant.

 

Dans ce contexte de défiance généralisée, le CESER doit effectivement jouer un rôle essentiel pour régénérer la démocratie locale : contrairement aux partis politiques qui exposent leurs programmes sans réellement en débattre, le CESER cultive la différence de ses composantes pour en faire une force commune. Certes, il n’est que consultatif et, si on s’en arrêtait à ce constat, on pourrait effectivement douter de son importance. Mais le CESER est d’abord un laboratoire de réflexion, de confrontation des idées, de recherche des possibles pour construire le territoire, d’élaboration de propositions tournées vers l’intérêt général.

 

Et puis, et ce n’est pas la moindre des choses, le CESER est un lieu de confrontation apaisée, où les grandes joutes oratoires, si elles ne sont pas totalement absentes, sont très loin de faire l’essentiel des débats : entre les organisations patronales et syndicales, entre le monde agricole et le monde environnemental, les controverses sont légions au sein du CESER, mais les résultats montrent tous qu’il est possible, dans cette assemblée, de dépasser les postures, sans rien abandonner de ses convictions, pour construire cette région.

 

Quelle importance accordez-vous dans les réflexions et les débats du Céser à ce qu’il est convenu d’appeler les identités ou l’attachement culturel. Une récente enquête de l’Ifop pour le Club Perspectives alsaciennes menée auprès d’un échantillon de 1 002 personnes (février 2018) indiquerait que 82% des Alsaciennes et Alsaciens souhaiteraient « s’exprimer par référendum ou par consultation populaire sur la sortie du Grand Est et l’organisation d’une nouvelle Région Alsace ? ».

Ce sentiment d’appartenance très fort exprimé autour de l’Alsace signale un faible attachement à la grande région et à ses politiques bien que - paradoxalement- les  deux premiers présidents de la grande région soient alsaciens. Pensez-vous que dans ce climat peu apaisé, le projet du Grand Est avec ses politiques publiques puisse encore susciter l’adhésion et la confiance, une dynamique partagée … ?

 

Cela peut surprendre, mais je pense qu’ils et elles ont raison, celles et ceux qui sont attaché-e-s à leur territoire, de vouloir garder les atouts qui font leur vie quotidienne dans leur bassin de vie. On peut y voir là la volonté de « travailler au pays », de partager une culture locale avérée, de renforcer des liens sociaux forts. Quand le CESER défend, par exemple, les circuits courts et de proximité, il se situe exactement dans cet état d’esprit. De même, quand il travaille sur les nécessaires mutations des modèles agricoles, sur le soutien à l’artisanat, aux PME-TPE, au monde associatif, le CESER regarde d’abord vers les territoires infra régionaux. Quand le CESER a créé le « Prix Régional des Solidarités Rurales », unique en son genre au niveau national, c’est bien parce que la société civile organisée sait qu’il y a beaucoup d’acteurs actifs dans des territoires souvent trop ignorés et qu’il est nécessaire de leur apporter soutien et éclairage pour que ces acteurs s’ancrent localement.

 

Je ne suis pas certain que l’on puisse parler d’identité, encore moins qu’il faille ramener ce sentiment à un périmètre, qu’il soit alsacien, lorrain ou champardennais : le sentiment d’appartenance territoriale existe partout dans le Grand Est, mais à des échelles bien plus réduites que celles des anciennes régions, y compris en Alsace.

 

Mais, aujourd’hui, il ne faut pas se tromper de débat : l’institution régionale n’est pas là pour tourner le dos aux territoires qui composent la région. Avec le Grand Est, on parle seulement d’une région administrative, même s’il est vrai que, avec la fusion, elle s’est effectivement éloignée des populations, compte tenu de la superficie qu’elle couvre, ce qui a favorisé une méconnaissance, déjà préexistante, de l’institution régionale.

 

Mais cette actuelle institution régionale peut aussi mieux trouver de la proximité, sans doute en retravaillant le rôle des 12 agences que l’exécutif a créé dans une quinzaine de territoires.

 

Oui, Grand Est ou pas, l’Alsace continue d’exister, de même que les autres anciennes régions, ainsi que la Montagne de Reims, les Vosges, la Vallée de la Meuse, la Petite Pierre ou la Vallée de la Fensch, pour ne prendre que quelques uns des multiples exemples que compte notre région.

 

Et oui, dans ce vaste Grand Est, on voit bien aujourd’hui qu’il y a des opportunités communes, des leviers plus forts à actionner pour le bien de tous les territoires qui le composent, sans que personne n’y perde sa dynamique propre, ni sa culture. Il convient, maintenant, de transformer l’essai qui nous a été imposé, de rebondir et de faire en sorte que les populations s’y retrouvent mieux.

 

 

Propos recueillis le 31 mars 2018 par Pascal Politanski, Chroniqueur à l’Ovipal

 



02/04/2018
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