Davantage de néonazis en Alsace ? Une idée reçue selon ce spécialiste, qui revient sur l'histoire de l'ultradroite

Interview de Philippe Breton par la rédaction de France 3 Alsace

Publié le 05/02/2025 à 19h13

Alors que se déroule le procès de huit néonazis, dont trois Alsaciens, devant le tribunal correctionnel de Paris depuis le 4 février, France 3 Alsace a échangé avec Philippe Breton, directeur de l'Observatoire de la vie politique en Alsace et politologue. Selon lui, l'ultradroite n'est pas plus prégnante en Alsace qu'ailleurs.

Sept hommes et une femme, dont trois Alsaciens, sont actuellement renvoyés devant le tribunal correctionnel de Paris pour "association de malfaiteurs terroriste". Regroupés au sein d'une association intitulée Honneur et nation, dissoute depuis, ils sont soupçonnés d'avoir envisagé et préparé l'attaque d'une loge maçonnique en Moselle, en 2021. Le nom de code de leur opération : le "projet Alsace".

L'issue judiciaire de cette affaire, qui devrait durer jusqu'au 14 février, met à nouveau en lumière les actes et projets d'un réseau d'ultradroite dans l'est de la France. En 2024, un néonazi alsacien était condamné à deux ans de prison pour avoir appelé à des ratonnades quelques jours après les élections européennes. En 2022, des membres des Strasbourg Offender avaient agressé un collectif antifasciste, trois ans après avoir attaqué des supporters israéliens du Maccabi Haïfa et revendiqué leur action avec des saluts nazis.

Y a-t-il une spécificité alsacienne dans la récurrence de ces événements liés à l'ultradroite ? En aucun cas selon Philippe Breton, également directeur de l'Observatoire de la vie politique en Alsace. Au contraire, l'histoire particulière de l'Alsace vis-à-vis de l'Allemagne a plutôt eu tendance à immuniser ses habitants contre une progression plus rapide encore de l'extrême droite, selon le chercheur. 

Vous avez créé un groupe de recherche sur l'extrême droite en Alsace (Greda) au début des années 2000, aujourd'hui devenu Observatoire de la vie politique en Alsace (Ovipal). Pourquoi cette focalisation initiale sur l'extrême droite ? Y a-t-il une spécificité alsacienne dans l'écosystème de l'extrême droite française ?

Nous y avions pensé au début, à cette éventuelle spécificité alsacienne. Mais nos recherches ont démontré qu'elle n'existait pas. On a bien essayé de distinguer les Alsaciens d'origine des Alsaciens qui venaient d'autres régions, pour éventuellement isoler un facteur historique ou d'identité régionale dans le choix de voter extrême droite. Mais ça n'a rien donné. Il n'y a pas de spécificité.

Comment expliquer, alors, les scores élevés du Front national (ex-Rassemblement national) dans des villages alsaciens plusieurs années avant l'éclosion nationale du parti ?

C'est vrai que lors des élections régionales de 1994, les premières percées du FN ont eu lieu en Alsace. Mais les recherches démontrent plutôt que le vote RN a les mêmes causes qu'ailleurs en France, notamment ce sentiment de déclassement par rapport aux villes, à Strasbourg en Alsace. À l’époque, le RN n'avait quasiment pas de cadre ni de militants mais faisait 40 ou 50% dans certains villages. Ce n'était pas lié à leur identité alsacienne, mais plutôt à la géographie sociale : le périurbain était plus important en Alsace qu'ailleurs.

Les différentes périodes d'occupation de l'Alsace par l'Allemagne n'ont-elles pas eu un impact sur le vote ?

Oui, mais contrairement aux idées reçues, l'histoire a plutôt eu un effet de repoussoir vis-à-vis des idées d'extrême droite. L'Alsace a énormément souffert de l'occupation nazie, il y a la mémoire du drame de l'enrôlement forcé et des malgré-nous. Les Alsaciens perçoivent la manière dont le reste de la France a tendance à les considérer comme susceptibles d'adhérer à ces thèses.

Il y a ce phénomène étrange qui fait que certains groupuscules d'Allemagne viennent en Alsace. Mais, contrairement à ce qu'on pourrait imaginer, ce n'est pas parce qu'ils y trouvent un accueil chaleureux.

Philippe Breton, politologue

 

Après les résultats des régionales de 1994, Plantu avait fait un dessin qui avait traumatisé la population locale à l'époque : un Alsacien en costume traditionnel habillé d'un brassard nazi. Pourtant, rien ne montre qu'en raison de leur culture plus germanique qu'ailleurs, les Alsaciens seraient plus sensibles au nazisme, bien au contraire.

Nous avons parlé des comportements électoraux. Mais qu'en est-il des mouvements violents, parfois qualifiés d'ultra-droite ?

Il y a ce phénomène étrange qui fait que certains groupuscules d'Allemagne viennent en Alsace. Mais, contrairement à ce qu'on pourrait imaginer, ce n'est pas parce qu'ils y trouvent un accueil chaleureux. Les maires sont souvent surpris par leur présence, tout comme les gérants de salle qu'ils louent pour leurs événements. Tout est fait en sous-main. Ils choisissent l'Alsace pour la proximité géographique et la commodité logistique. Ce sont des groupes très surveillés par le renseignement allemand, ils disposent de plus de liberté une fois qu'ils franchissent la frontière.

En plus de ces militants violents originaires d'Europe, certains viennent aussi d'Alsace, comme le montre le procès actuel de huit néonazis soupçonnés d'avoir fomenté une attaque contre une loge maçonnique en Moselle. Ils ont fait partie d'Honneur et Nation. Que sait-on de ce groupuscule ?

Comme tous les autres, c'est un groupuscule qui est vraiment très limité numériquement. (...) Ce sont des personnes totalement radicalisées, souvent trentenaires, et qui aiment par-dessus tout la pratique de la violence. C'est leur trait commun. Dans ce cas ils visaient des francs-maçons, mais je ne suis pas sûr qu'ils savaient ce que sont en réalité les francs-maçons. C'est comme les islamistes radicaux, qui ne savent rien sur l'islam : c'est la violence et la radicalité qui les intéresse.