Le crépuscule des vipères
Faut-il vraiment prendre pied dans le débat qui se déroule actuellement sur les violences sexuelles dont sont victimes beaucoup de femmes, mais aussi, il faut le rappeler pour moitié des enfants et aussi des hommes ?
Je remarque que dans le débat acerbe qui oppose par exemple les féministes radicales à celle qui entendent développer un point de vue plus modéré, peu de mes confrères universitaires prennent position et se risquent à donner leur point de vue. C’est sans doute que ce type de débat est propice à se brûler les ailes, à se faire ruiner en un clin d’œil une réputation, construite à force de travail, pour un mot jugé de travers.
Il pourrait pourtant être un peu pertinent que ceux qui disposent, de par leur métier ou leur simple complexion intellectuelle, d’un peu du recul historique qui serait nécessaire, éclairent, pacifient ou en tout cas recentrent la discussion.
Un exemple simple, la galanterie. Comment oublier les circonstances dans lesquelles a été inventé ce comportement, qui règle normativement les rapports entre les hommes, surtout les plus puissants, et les femmes, surtout les plus en situation de subir.
Oh, bien sûr, l’affaire remonte très loin. Là où le guerrier germain, en plein Moyen Âge, s’autorise toutes les privautés, manière élégante de parler du droit de cuissage et autres viols, envers les femmes et aussi les hommes et, pourquoi pas, les enfants, le chevalier, issu d’une habile révolution des mœurs, met son agressivité au service de la protection des mêmes. Au lieu de prendre, il demande. Mieux, il y met les formes, et invente au passage une nouvelle de poésie, au sein de ce qu’on a appelé, l’amour courtois, source majeure de la pacification des moeurs.
Alors, oui, on peut critiquer la galanterie, mais aussi la défendre, comme je l’ai fait dans un précédent article, mais toute critique doit proposer une alternative et j’avoue pour l’instant que notre société n’en propose pas beaucoup, sauf cette solution radicale inspirée par le puritanisme, et qui consiste à mettre encore plus de distance entre les hommes et les femmes. La bouffée puritaine qui a envahi ce débat, doit elle aussi s’interpréter avec un peu de profondeur historique.
Se souvient-on qu’à la même époque où on invente la galanterie, l’Eglise était farouchement opposée au mariage, car il avait le tort de légaliser d’une certaine façon les relations sexuelles que les bons pères considéraient comme l’ambassade directe de Satan dans le quotidien.
Il est vrai, comme l’a très bien montré Norbert Elias, que la réduction du niveau de violence sociale, intolérable au Moyen Âge, s’est fait en mettant un peu plus de distance entre les hommes, notamment grâce à la politesse et à la civilité, en défusionnant leurs rapports, pour les dépassionner, et permettre que la parole se substitue progressivement à la violence.
Ce réglage délicat de la distance sociale a ouvert une brèche qui a permis au puritanisme d’en proposer une version radicale : séparons nous vraiment et tout ira mieux. La version contemporaine du puritanisme se décline dans les avatars des nouvelles technologies qui nous proposent de communiquer à distance, de nous rencontrer moins pour croire nous aimer plus, de peut-être faire l’amour par dispositif virtuel interposé, de procréer, rêve ultime, sans se toucher, tout cela en disposant le consentement le long du clic qui permet d’ouvrir ou de fermer à volonté le canal de communication.
Ajoutez à cela que le puritanisme a lui aussi ses radicaux, on ose à peine dire ses ayatollah, et que c’est à ce moment précis que les vipères au masque froid émergent dans l’espace public pour y délivrer leurs messages de haine du corps, du plaisir, et de la sexualité, qu’elles voudraient aplatie au sol et sans ressort. Heureusement, l’Histoire montre que le puritanisme n’intervient dans notre vie que par bouffées vite exhalées mais vite oubliées, la vie reprenant rapidement le dessus.
Les débats actuels sont donc un mauvais moment à passer, pour qu’enfin nous puissions réfléchir sereinement aux nécessaires solutions à apporter au déploiement de la violence, notamment sexuelle, face à laquelle le puritanisme n’est pas seulement une mauvaise solution mais plutôt, paradoxalement, un encouragement.
Philippe Breton
Ovipal
11 janvier 2017
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