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Le revenu universel : régression sociale et utopie sans issue

La primaire de la gauche a vu l’apparition du revenu universel dans le débat politique. Et comme l’initiateur de ce thème – Benoit Hamon – a réussi sa qualification, il est probable qu’il sera l’objet de débats pendant la campagne à venir. Au-delà de sa connotation apparemment sympathique, le revenu universel comporte certaines implications qu’il convient d’analyser.

 

Revenus primaires et revenus secondaires

 

La typologie standard des revenus en économie repose sur la distinction entre les revenus primaires et les revenus secondaires. Les revenus primaires sont constitués des revenus du travail (le salaire), des revenus du capital (intérêts, dividendes et loyers perçus) et des revenus mixtes (revenus d’activité pour les indépendants, émanant de leur travail et de la possession d’un capital d’activité). Les revenus secondaires sont des revenus de la redistribution. Ils sont financés par des prélèvements (impôts et cotisations sociales). Ils prennent la forme de prestations sociales, versées à des ayants-droits en fonction de situations ou d’activités spécifiques, la plupart du temps en complément ou en substitution d’un revenu primaire inexistant ou jugé insuffisant : pensions de retraites versées aux personnes ayant dépassés l’âge d’avoir une activité professionnelle, allocations chômages aux personnes qui ne trouvent pas d’emplois, allocations logements aux personnes occupant un logement et ayant un revenu faible etc…Le revenu universel, s’il était institué, constituerait également un revenu de la redistribution, mais dont le versement serait général et automatique et non pas lié à une situation spécifique (ou à la rigueur à une situation très large du type appartenance à une classe d’âge)

 

Une régression sociale

 

Contrairement aux apparences cependant, l’idée d’un revenu universel correspond à une régression sociale. En effet, la politique sociale, telle qu’elle s’est développée depuis la fin du XIX° siècle, vise à corriger la distribution des revenus effectuée par le marché à partir de l’idée selon laquelle elle n’est pas satisfaisante en termes de justice sociale. Elle consiste en une action correctrice de la part de l’Etat des effets des mécanismes de marché, principalement par la redistribution (les fameux revenus secondaires), mais également par des lois portant sur le revenu primaire (salaire minimum), en direction de publics spécifiques qui ont été au préalable identifiés.

 

A l’inverse, le revenu universel consiste en un saupoudrage de revenus vers des groupes très larges, sans tenir compte des situations particulières. Lors d’un débat qui l’opposait à Manuel Valls, Benoit Hamon justifiait son projet de revenu universel en faveur des 18 – 25 ans par une volonté de favoriser l’insertion professionnelle des jeunes. C’est un non-sens. Il n’est pas certain que 750 euros par mois soit suffisant pour l’insertion professionnelle de certains jeunes en rupture de société. En revanche, verser 750 euros à des 18-25 ans qui ne sont pas en difficulté d’insertion ne correspond pas à une politique d’insertion. Le débat sur le revenu universel a ceci de paradoxal que ses partisans invoquent des situations spécifiques – les chômeurs en fin de droit, les jeunes en difficulté d’insertion – alors même que, basé sur un saupoudrage en direction de tous les membres de groupes très larges, il ne permet pas de mener des politiques par rapport à ces situations spécifiques.

 

Une mesure d’inspiration libérale

 

En fait, le revenu universel correspond à deux logiques possibles, qu’il est nécessaire de bien identifier. La première est une orientation libérale, que l’on trouve par exemple chez Milton Friedman. Dans cette perspective, le revenu universel remplacerait les prestations sociales spécifiques (ou du moins la plupart d’entre elles) et prendrait la forme d’un impôt sur le revenu négatif pour les personnes à revenu très faible.

 

Dans une perspective libérale, l’avantage d’un tel système consisterait à garantir à chaque individu un revenu de base (nécessairement faible pour ne pas provoquer de désincitation au travail) sans mener de politique sociale spécifique qui présente l’inconvénient, dans une perspective libérale, de fausser les lois du marché censées permettre l’allocation optimale des ressources. Le revenu universel permet de concilier un volet social et la neutralité de l’Etat par rapport aux lois du marché.

 

L’illusion de la fin de travail

 

La seconde logique, qui provient de l’autre extrémité de l’échiquier politique, est liée au thème de la fin de travail (ou de la raréfaction du travail). Selon ses partisans, l’ampleur du progrès technique aurait pour effet que le travail à effectuer serait de plus en plus rare. Cela se traduirait par des périodes d’inactivité de plus en plus longues pour des personnes de plus en plus nombreuses. Il faudrait par conséquent dissocier distribution de revenus d’une part et travail d’autre part. Cette logique cependant se heurte à deux problèmes.

 

 La fin du travail est une illusion aussi vieille que le progrès technique. Et elle réapparait à chaque période de mutation importante. S’il est vrai que le progrès technique supprime des activités, il en crée également d’autres (par le mécanisme du déversement). Mais les suppressions sont visibles à l’inverse des créations, qui ont lieu dans un second temps et pas dans les mêmes branches d’activité. Le progrès technique provoque, non pas à la fin du travail, mais des mutations dans le travail, ce qui n’est pas la même chose. Le progrès technique a fortement contribué à l’amélioration du niveau de vie (et par conséquent à l’augmentation du revenu global).

 

Il n’en demeure pas moins que ses effets peuvent être douloureux pour certaines catégories de personnes (chômage, déqualification de certains métiers etc…). La solution réside non pas dans un revenu universel (basé sur une erreur de diagnostic) et qui constituerait un gaspillage de moyens, mais en des moyens spécifiques et utilisés de façon ciblée permettant d’accompagner ces mutations (financement de la formation, des reconversions) et de les rendre supportables (revenus sociaux pour certains groupes etc…).

 

Par ailleurs, l’idée d’une dissociation du revenu par rapport au travail constitue une autre illusion. Sauf à penser qu’il soit possible de vivre à partir des ressources de la nature sans les transformer (sans travailler), tous les revenus émanent du travail, de façon directe ou de façon indirecte. C’est vrai des revenus du capital, le capital étant du travail incorporé. C’est vrai également des revenus de la redistribution. Si certains groupes perçoivent des revenus sans travailler, c’est qu’ils bénéficient du travail effectué par d’autres groupes, avec des mécanismes de transfert qui existent (ou ont existé dans le passé) sous des formes d’ailleurs très diverses – redistribution à finalité sociale – mais également rapport d’exploitation (propriétaires d’esclaves vivant du travail de leurs esclaves, propriétaires des moyens de production vivant du travail de leurs salariés…). Vouloir dissocier revenu et travail relève d’une régression intellectuelle, potentiellement très dangereuse.

 

 A cet égard, le fait que la primaire de la gauche ait abouti à la victoire du candidat du revenu universel, contre la totalité des autres candidats mais également contre une partie importante des cadres du parti, constitue un symptôme supplémentaire de l’état d’affaiblissement dans lequel se trouve le parti socialiste.

 

Bernard Schwengler

OVIPAL

6 février 2017                                                                      

 



06/02/2017
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