L’ordolibéralisme de Macron, quatrième tendance de la droite extrême ?
Il y a en effet pour ces présidentielles de 2017 pas moins de quatre variantes politiques de la droite extrême (que nous hésitons à qualifier d’extrême-droite) représentées parmi les onze candidats du premier tour. Cela n’était certes pas facile à comprendre car aucune de ces formes ne revendique explicitement son appartenance à l’extrémité du spectre politique à droite. A ce jour l’enseignement majeur nous semble être le suivant : trois de ces formes sont arrivées en tête à l’issue du premier tour et deux sont donc qualifiées pour le second tour.
Il n’est pas utile de commenter le courant politique qui correspond au FN et qui est souvent caractérisé comme une extrême-droite de type nationaliste. Il est bien documenté et souvent analysé comme tel. Il semble davantage nécessaire d’ajouter un mot concernant le projet politique présenté par François Fillon. Il relève d’une droite décomplexée et radicalisée se réclamant explicitement de la politique économique de Mme Margaret Thatcher favorable à l’allègement drastique de l’Etat et des pouvoirs publics, à la disparition des syndicats, à la réduction des prestations sociales assimilées à de l’assistance. Il y avait aussi le projet extrême mais anti-européen et souverainiste de Nicolas Dupont-Aignan. Cela nous fait déjà trois formes. La quatrième retiendra davantage notre attention.
S’il semble plus difficile de caractériser le programme politique d’Emmanuel Macron, il est toutefois possible de montrer qu’il s’apparente à une forme de droite néolibérale peu connue des français mais bien ancrée Outre-Rhin. Il s’agit d’une construction politique qualifiée parfois de social-libéralisme, fondée sur la prééminence de la concurrence marchande dans l’organisation de l’économie comme de la société.
Son modèle de référence théorique en est l’ordolibéralisme, sa mise en œuvre en Allemagne, à partir de 1948 par Ludwig Erhard s’appelle l’économie sociale de marché. Conçu en Allemagne dans les années 1930 par les économistes et les juristes ordolibéraux de l’école de Fribourg (Walter Eucken, Franz Boehm, Wilhelm Röpke, Alfred Muller-Armack), ce modèle de développement économique est aussi un modèle d’organisation sociale. On lui attribue le « miracle économique allemand ». Déstabilisé par la financiarisation et la mondialisation de l’économie il a été réformé à partir de 2003 par Gerhard Schröder dans le sens d’une plus grande dérégulation à l’aide de réformes structurelles, puis repris par Mme Angela Merkel. Il a également fortement inspiré la construction européenne et la mise en place des institutions monétaires de l’euro.
Que nous dit cette doctrine dont s’inspire à son tour Emmanuel Macron ? En premier lieu il s’agit d’une doctrine économique anti-keynésienne qui demande impérativement à l’Etat de s’abstenir d’intervenir directement dans les mécanismes de marché. L’Etat voit sa mission redéfinie. Il ne doit plus être régulateur dans la sphère de l’économie mais concevoir le cadre social et économique de la concurrence libre et non faussée (les institutions de la concurrence) dont vont s’emparer les agents économiques, les corps intermédiaires (syndicats professionnels, chambres de commerce, régions, etc.) et la société civile.
Ce cadre social (ordo) complète les relations contractuelles marchandes et prévoit un bouclier social minimal pour les perdants de cette confrontation ainsi qu’un dispositif de formation professionnelle continue pour requalifier les acteurs insuffisamment compétitifs. Il exige également comme l’a montré Michel Foucault une discipline très rigoureuse dans le gouvernement de soi (il implique une gestion entrepreneuriale du capital humain). Cette organisation productiviste, marchéiste et concurrentialiste de l’économie et de la société (ou plutôt de la société comme économie de marché) est désormais en partie intégrée à la construction européenne et aux politiques européennes.
Elle a reçu l’assentiment des économistes orthodoxes et d’une fraction importante de la droite française. Très peu de représentants de la droite française s’en sont émus. Signalons cependant l’analyse très approfondie et critique de Henri Guaino à ce sujet (En finir avec l’économie du sacrifice, Odile Jacob, 2016).
Pourquoi qualifier de droite extrême un programme de politique économique qui prône la concurrence, la rigueur budgétaire, la réduction des dépenses sociales, la réduction du nombre de fonctionnaires, le contrôle de l’action de l’Etat par les marchés, sa mise au service des performances de compétitivité et à l’exportation, la stabilité des prix, l’indépendance de la monnaie et de la banque centrale, les réformes structurelles pour assurer plus de flexibilité, notamment sur le « marché du travail », etc. ?
Tout simplement parce que cette doctrine économique est coercitive. Elle n’offre pas d’alternative, elle s’impose comme raison scientifiquement fondée, elle instaure une dictature soft par l’économique, une écocratie inflexible qui surplombe la société, en imposant sa conception du développement, des rapports entre les hommes et des hommes à la nature. Qu’elle s’affirme politiquement de centre-droit ou encore « ni de droite ni de gauche » n’en réduit en rien le caractère radical.
Les Français qui, pour des raisons culturelles, n’ont pas adhéré jusqu’ici à ce modèle, y sont désormais poussés pour des raisons de pragmatisme et de réalisme économiques. Qu’ils préfèrent cette forme de néolibéralisme à l’extrême droite nationaliste et à l’extrême droite thatchérienne, ils devront toutefois apprendre à en reconnaître les raisonnements et les implications, notamment en termes de hiérarchie et d’inégalités sociales.
René Kahn
ovipal
27 avril 2017
Bibliographie :
CABANNES Michel (2015), La gauche à l’épreuve du néolibéralisme, Le bord de l’eau
COMMUN Patricia (2016), Les ordolibéraux. Histoire d’un libéralisme à l’allemande, Penseurs de la liberté, Les belles lettres
DENORD François (2007/2016), Le néolibéralisme à la française. Histoire d’une idéologie politique, Agone
FOUCAULT Michel (1978/2004), Naissance de la biopolitique, Seuil
GAUCHET Marcel (2017), L’avènement de la démocratie IV – Le nouveau monde, Gallimard
GUAINO Henri (2016), En finir avec l’économie du sacrifice, Odile Jacob
LE GOFF Jean-Pierre (2017), La gauche à l’agonie ? 1968-2017, tempus
GENEREUX Jacques (2016), La déconnomie, Seuil
LAURENT Eloi (2016), Nos mythologies économiques, LLL
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