Nous sommes en guerre
« C’est un acte de guerre, commis par une armée terroriste, une armée jihadiste », a déclaré François Hollande au lendemain des attentats de Paris du 13 novembre 2015.
Au-delà de l’émotion provoquée par ces actes terroristes, l’évocation de ces attentats nous donne l’occasion d’envisager leurs effets dans la perspective des évolutions politiques et idéologiques en cours depuis plusieurs années, évolutions auxquelles il est probable qu’ils vont donner un coup d’accélérateur.
1. Le retour de la frontière
La seconde partie du XX° siècle avait vu le triomphe de l’idée postnationale. Plusieurs facteurs avaient contribué à ce triomphe : réaction contre le fascisme et le nazisme, considérés comme des excroissances du nationalisme, dimension internationaliste des deux principales idéologies dominantes, qui étaient le libéralisme et le marxisme, construction européenne, constitution d’ensembles supranationaux à l’époque de la guerre froide, et à partir de la chute du communisme triomphe de la mondialisation.
L’heure était à l’ouverture, aux grands espaces et à la libre circulation (des marchandises, des capitaux et, bien que dans une moindre mesure, des personnes). Et les frontières, lorsqu’elles continuaient à exister, étaient de moins en moins gérées sur une base nationale mais sur la base d’ensembles plus vastes (rideau de fer à l’époque de la guerre froide, frontière de l’espace Schengen pour l’Union européenne). Depuis quelques mois le thème de la frontière, déclinée sur une base nationale, est en train d’effectuer un retour fracassant.
L’incapacité des dirigeants européens à adopter des dispositions communes pour faire face à la crise des réfugiés a provoqué en retour la réintroduction de contrôles aux frontières, voire à des fermetures, entre pays européens (fermeture de la frontière de la Hongrie, de la Slovénie, de la frontière entre l’Autriche et l’Allemagne…). Et l’état d’urgence en France consécutif aux attentats de Paris du 13 novembre s’est traduit par la réapparition des contrôles d’identité sur le pont de Kehl entre la France et l’Allemagne. La vague de réfugiés et les attaques terroristes poussent les pays européens à fermer leurs frontières et risquent de faire voler en éclat l’espace Schengen.
2. La montée électorale des partis eurosceptiques et anti-immigration.
Bien que le rétablissement des frontières nationales dans certains pays de l’Union européenne résulte de situations de gestion de crises et revêt pour l’instant un caractère provisoire, les partis politiques qui ont placé la fermeture de la frontière au cœur de leur thématique connaissent depuis le début des années 2010 une influence électorale croissante. Ces partis ont des origines diverses : anciens partis modérés ayant effectué une reconversion idéologique à partir des années 1980 (UDC suisse, parti libéral autrichien), petit parti marginal ayant connu une ascension électorale à partir des années 1980 (Front national français), parti dont la création remonte aux années 2010 (UKIP britannique). En termes de programmes électoraux, ils divergent sur des questions économiques relatives au degré d’intervention de l’Etat ou sur la question libre-échange-protectionnisme. Au-delà de leurs différences cependant, le point commun entre ces partis réside dans leur opposition à l’Union européenne et à l’immigration.
Et ces partis, qui il y a quelques années apparaissaient avec leur thématique autour de la frontière comme des partis antisystèmes, voire extrémistes, se situent désormais grâce à elle au cœur des débats politiques de leurs pays respectifs. Au Royaume-Uni, l’UKIP (le parti pour l’indépendance du Royaume-Uni) est parvenu à obtenir l’organisation d’un référendum sur la sortie de l’Union européenne. En Suisse, l’UDC (Union démocratique du centre), au moyen d’un référendum d’initiative populaire sur le thème « contre l’immigration de masses », a obtenu en février 2014 un vote favorable à l’adoption de quotas d’immigration par pays qui concernent également les pays de l’Union européenne (dont la Suisse ne fait pas partie mais à laquelle elle est liée par les accords de 1992 sur l’espace économique européen).
Et aux élections législatives de 2015 l’UDC a obtenu 30% des voix et 65 sièges au conseil national (sur un total de 200 sièges). En Allemagne également, où les mouvements de ce type ont pour l’instant une influence électorale moins importante qu’ailleurs, on retrouve ces deux thématiques avec des mouvements antieuro d’une part (alternative pour l’Allemagne) et des mouvements anti-immigration d’autre part (le mouvement PEGIDA : les européens patriotes contre l’islamisation de l’occident, qui n’est cependant pas un parti politique). La fermeture de la frontière est devenue un thème qui place les partis politiques qui le revendique au centre du jeu politique.
3. Le nouveau Front national
Depuis 2012, le Front national connaît une envolée électorale avec des résultats (18 % à la présidentielle, 25% aux européennes et aux cantonales) qui donnent l’impression d’une ascension irrésistible qui serait en train de faire éclater les différentes digues qui permettaient aux autres partis politiques de le maintenir à la marge du système partisan (mode de scrutin, vote républicain etc…). Cette envolée électorale est en général mise sur le compte d’une stratégie de modération adoptée par Marine Le Pen qui aurait débarrassé le parti des écarts de langage provocateurs et sulfureux dont son père s’était fait une spécialité. En fait depuis 2012, le Front national a effectué un recentrage de son discours qui a pour effet de le placer au cœur des débats politiques.
Il a repris à son compte le thème de la laïcité qu’il utilise contre l’islam. En faisant cela, il se situe dans le prolongement d’un discours apparu au début des années 1990, basé sur la réactivation du thème de la laïcité pour s’opposer au port du foulard par les élèves musulmanes dans les établissements scolaires, discours qui fait relativement consensus dans la société française et qui considère que l’Islam a besoin d’être contenu pour être compatible avec le pacte républicain. Par ailleurs Le Front national a modifié le contenu de son discours anti-immigration, qu’il présentait comme un problème économique au cours des années 1980 et 1990 (le slogan «3 millions d’immigrés = 3 millions de chômeurs » de Jean-Marie Le Pen), et qu’il dénonce désormais au nom de la défense de la France contre l’islamisation.
L’afflux des réfugiés en provenance des pays du Moyen-Orient, qui ont été très peu nombreux à venir en France, mais qui sont considérés comme une menace potentielle, ainsi que les attentats de Paris, ont eu pour effet de valider a posteriori la stratégie de recentrage opérée par le Front national et lui permettent d’affirmer qu’il aurait eu raison avant tout le monde.
A cet égard la façon dont les partis politiques vont faire évoluer leur discours ainsi que les résultats aux prochaines régionales donneront une première indication des effets de la crise des réfugiés et surtout des attentats de Paris en termes d’évolution politique future.
Bernard Schwengler
OVIPAL
22 novembre
A découvrir aussi
- Strasbourg rayé de la carte... Le nom de la capitale européenne n'apparait pas sur google map
- « Alsaaace akbar ! » - Les islamistes radicaux n’ont pas le monopole de l’appel au meurtre contre des journalistes
- Le clip d’Abdelos sur le Neuhof : un imaginaire de guerre civile ?
Inscrivez-vous au site
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 897 autres membres