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Une dérive du campisme

 

Des observateurs, dont Nicolas Truong dans Le Monde du 9 décembre 2023 (« La guerre entre Israël et le Hamas fracture le monde intellectuel »), ont souligné comment un campisme s’est insinué dans les débats suscités par l’affrontement entre Israël et le Hamas à la suite de l’attaque du 7 octobre.

 

Grossièrement, le campisme se définit comme le ralliement partial et simpliste à une position sans prendre en considération la singularité et la complexité d’une situation. Le campisme s’actualise, entre autres choses, par une dénomination rigide stigmatisante de la position adverse. L’exemple donné par Truong est éclairant : « D'un côté, on accuse d'‘antisémitisme’ les manifestants de la cause palestinienne; et, de l'autre, de ‘fascisme’ les partisans de la guerre menée par Israël. » La défense de la cause palestinienne est identifiée, réduite à de l’antisémitisme; l’intervention d’Israël à du fascisme.

 

Un dualisme moral

 

Presque toujours, le campisme procède d’un manichéisme moral : d’une prédéfinition du Bien et du Mal qui non seulement détermine la position à adopter, mais la pose également comme seule juste face à une position méprisable.

 

Je veux ici sommairement rendre compte d’une manifestation de campisme où la vision morale binaire dont il résulte apparaît de manière particulièrement claire : le reproche fait à la Déclaration du procureur Karim Khan de la Cour pénale internationale d’établir une équivalence entre Israël et le Hamas dans ses requêtes d’émettre des mandats d’arrêt contre leurs dirigeants, Benjamin Netanyahu et Yoav Gallant, d’un côté; Yahya Sinwar, Mohammed Diab Ibrahim Al-Masri et Ismail Haniyeh, de l’autre.

 

Il apparaît à beaucoup qu’il s’agit là d’une mise en correspondance indue précisément en raison de la nature morale qu’ils lui confèrent. Un seul exemple : « [Cette décision est] moralement scandaleuse, car en choisissant d’inculper à la fois des dirigeants israéliens et des dirigeants du Hamas, la Cour établit une équivalence morale répréhensible entre la victime et l’agresseur, entre les dirigeants israéliens, qui s’efforcent de protéger leur nation dans le respect du droit international humanitaire, et les dirigeants du Hamas, qui poursuivent sans relâche une campagne génocidaire contre l’État juif.

 

Cette équivalence est aussi absurde que d’inculper Winston Churchill et Adolf Hitler pour leurs rôles respectifs joués durant la Seconde Guerre mondiale et de mettre sur un pied d’égalité leur responsabilité dans les pertes civiles. » (Richard Marceau et Emmanuelle Amar, « Hypocrisie des instances internationales? », Le Devoir, 25 mai 2024).

 

Ce que dit la Déclaration de Khan

 

Il faut d’abord prendre la peine de préciser que l’équivalence morale est attribuée à la Déclaration de Khan sans que celle-ci en exprime l’idée explicitement de quelque manière. La Déclaration, d’abord, est exempte de toute considération morale (et n’en réfère uniquement qu’à la responsabilité pénale des mis en cause). Ensuite et surtout, la Déclaration ne pose pas quelque égalité ou identité entre les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité faisant l’objet des requêtes.

 

Elle les étaye sur des chefs d’accusation distincts et les motive par des faits tout aussi distincts qui, au surplus, sont exposés séparément : par exemple, le meurtre, la prise d’otage et le viol pour ce qui est du Hamas; le fait d’affamer délibérément des civils, le fait de causer délibérément de grandes souffrances ou de porter gravement atteinte à l’intégrité physique ou à la santé et le fait de diriger intentionnellement des attaques contre la population civile pour ce qui est d’Israël.

 

Bien sûr, une équivalence, morale ou autre, peut être attribuée sans être formulée par son auteur. Mais son établissement doit alors être démontré. Étant donné la distinction claire des chefs d’accusation et des crimes faite dans la Déclaration, l’équivalence faisant l’objet du reproche qui lui est adressé ne repose que sur un seul élément : le fait qu’elle énonce les requêtes côte à côte dans un même texte. Ce voisinage est l’unique raison qui peut amener à penser que la Déclaration pose une parité entre les dirigeants israéliens et ceux du Hamas.

 

Or, à y regarder de près, non seulement la Déclaration distingue-t-elle clairement les actes dont elle les blâme, mais elle est formellement structurée en deux parties étanches l’une de l’autre. Dans la première, sont passées en revue les raisons dont affirme disposer Khan pour demander qu’un mandat d’arrêt soit émis contre Sinwar, Al-Masri et Haniyeh et, dans la seconde partie, les raisons, encore une fois différentes, qu’il dit avoir pour demander que soit émis un mandat d’arrêt contre Netannyahu et Gallant.

 

En aucun moment, la Déclaration ne dresse une similitude ou une concordance entre les deux requêtes. Finalement, la seule raison décelable appuyant la critique d’une correspondance est qu’il y ait une seule Déclaration au lieu de deux. Si Khan avait émis ses requêtes dans deux Déclarations disjointes, le reproche d’établir une équivalence aurait perdu sa pertinence. Mais s’il avait procédé de la sorte, Kahn aurait prêté flanc à la critique d’ordonner les requêtes et donc aussi de hiérarchiser la gravité des crimes imputés aux dirigeants israéliens et du Hamas.

 

Une inférence infondée

 

Un autre point peut être noté à propos, celui-ci, du raisonnement de ceux qui avancent que la Déclaration fait preuve d’une équivalence morale. Marceau et Amar font valoir qu’elle consiste en un manque à apprécier la dissemblance radicale entre Netannyahu et Gallant qui « s’efforcent de protéger leur nation dans le respect du droit international humanitaire » et Sinwar, Al-Masri et Haniyeh qui « poursuivent sans relâche une campagne génocidaire contre l’État juif ». C’est en faisant l’impasse sur cette double appréciation, elle-même à teneur morale, que, selon Marceau et Amar, la Déclaration serait tombée dans l’équivalence morale.

 

Indépendamment de la justesse ou de la valeur de l’appréciation, il y là une erreur logique. Ne pas voir ou même refuser d’admettre la distinction de nature faite par Marceau et Amar entre les dirigeants d’Israël et ceux du Hamas n’est pas, ne revient pas à et n’implique pas considérer de façon similaire les actions des uns et des autres. Il est tout à fait possible de faire abstraction de cette appréciation différenciée des belligérants sans établir quelque équivalence morale à leur égard : on peut tout à fait ne pas marquer une distinction morale entre Israël et le Hamas et ne pas porter un jugement assimilé sur leurs agissements.

 

L’inverse est d’ailleurs également vrai. On peut tout à fait endosser l’appréciation des dirigeants d’Israël et du Hamas invoquée par Marceau et Amar sans être amené à évaluer différemment leurs actes. Bref, on ne peut pas inférer quoique ce soit quant à une équivalence morale à partir de cette appréciation. Il y a compatibilité entre son adoption et un aveuglement à son égard, d’une part, et la reconnaissance ou la dénégation d’une équivalence, d’autre part. Lier exclusivement la non appréciation des dirigeants israéliens et de ceux du Hamas à une équivalence morale, c’est commettre une sorte de category mistake par emboîtement incorrect.

 

En caractérisant les dirigeants israéliens et du Hamas dans une dichotomie morale polarisée, Marceau et Amar adoptent une position campiste : les dirigeants israéliens sont totalement légitimés, ceux du Hamas totalement déconsidérés. C’est en vertu de cette appréciation morale dichotomique qu’ils estiment que la Déclaration de Karim Khan établit une équivalence morale inacceptable.

 

Gilles Gauthier

ovipal

12 juin

 

 



12/06/2024
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