Violence verbale et recul de l'esprit de finesse au Parlement
Vous avez peut-être été atterrée comme moi, cher lecteur, par la violence des échanges à l'assemblée, tout au long de la session parlementaire qui s'achève. Le spectacle des députés s'invectivant et se lançant des insultes a été jugé sévèrement par la plupart des commentateurs. A l'insulte s'ajoute souvent la vulgarité, comme si la violence ne se suffisant pas à elle-même il fallait en plus l'entourer de boue. On a vu il y a quelques jours une député se faire traiter de « poissonnière » en séance. On voit bien ce que l'auteur de ce mot fin voulait dire, mais on notera que c'est là, en plus, un mépris injuste pour une profession nécessaire à la qualité de notre assiette.
La violence verbale a même cédé la place, à quelques occasions sur lesquelles les fonctionnaires de l'Assemblée sont resté discrets, à un début d'affrontement physique. Les huissiers ont du s'interposer à plusieurs reprises. Tout cela sur fond de suspicion d'excès alcoolique, en rapport aux largesses de la buvette parlementaire. L'avachissement haineux et le regard vitreux de certains députés en séance ne sont pas très rassurants à cet égard.
A ce point, on hésite dans l'analyse. Le Parlement doit-il être le reflet d'une société qui s'ensauvage, auquel cas nos députés sont parfaitement représentatifs et tout va bien si l'on peut dire ? Ou bien on considère que ceux qui font la Loi devraient être un exemple pour la Nation, et dans ce cas, c'est plutôt l'échec. Dans tous les cas, l'esprit de finesse qui avait été la marque de la civilisation moderne semble avoir disparu.
Ce n'est certes pas nouveau, on a déjà vu dans le passé de tels comportements, l'insulte antisémite, par exemple, n'était pas absente des parlements des années trente. La violence venait tantôt des bancs très droite de l'assemblée, tantôt des bancs très à gauche, comme cela semble être le cas aujourd'hui. Mais on pensait, avec la cinquième République, avoir gagné un peu en civilité. Et puis, dans le passé, pas si lointain, il y avait un remède à la violence verbale, qui semble aujourd'hui, totalement tombé en désuétude.
Ce remède c'est le mot d'esprit, la répartie. Aujourd'hui, c'est la loi du talion, œil pour œil, tu m'insultes, je te répond, sur le même ton, le même registre, ou mieux sur un ton plus élevé, jusqu'à l'escalade. Hier, l'élégance et la finesse voulait, non pas qu'on ne réponde pas à l'insulte, mais qu'on la retourne contre son auteur, pour le confondre et faire baisser la tension. Dans ce cas le rire est la meilleure alternative à la violence.
Le maître étalon dans ce domaine est la fameuse réplique de Jacques Chirac, alors Maire de Paris. Le futur président aimait serrer des mains. Un jour, quelqu'un, dans le public, voyant s'approcher la main de l'homme politique, lui lança au visage une insulte grossière, que je mets ici entre guillemets, en le traitant de « connard ». Aujourd'hui, dans une telle situation, les gardes du corps se précipiteraient sur l'individu pour le maîtriser, ou, comme un autre président de la République, peu enclin lui aussi à l'esprit de finesse, on répondrait à l'insulte par l'insulte. Le Maire de Paris, lui, ne se démonta pas et, à l'apostrophe « connard », il répondit à l'insolent : « moi, c'est Jacques Chirac ».
On a aussi, dans ce domaine, la réponse que Jean XXIII fit à un journaliste, peut-être pas si bien attentionné et qui lui demandait « combien de personnes travaillaient au Vatican ». A cette question le Pape lui répondit alors tout simplement et avec malice : « la moitié ».
On se prend à rêver que l'infortunée député traitée, elle, de « poissonnière », au lieu de prendre la mouche, ait trouvé une réplique qui, non seulement aurait renvoyé son collègue dans les buts, mais aurait fait rire toute l'assemblée, faisant ainsi reculer le front de la violence. Mais c'est un rêve, Bénédicte ? Le bon mot, la répartie astucieuse, le second degré, qui sont historiquement un progrès de la civilité contre la violence verbale, ne font plus partie du vocabulaire politique, ni même des relations normales en société, qu'on aimerait plus apaisée et où, visiblement, l'humour n'a plus le rôle pacifiant qu'il pourrait avoir.
Philippe Breton
ovipal
28 juin 2023
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