GCO : entretien avec Frédéric Héran, chercheur sur les mobilités et les transports
« Une nouvelle infrastructure routière n’a jamais réussi à désengorger une agglomération pendant plus de quelques mois ... »
Nous avons interviewé pour l'OVIPAL, l’économiste et urbaniste Frédéric Héran qui a participé à la manifestation anti-GCO le 8 septembre 2018 à Strasbourg.
Ces analyses soulignent la nécessité de préserver la mobilité en général en utilisant tous les moyens de transport, notamment les plus économes. il insiste sur les vertus de la participation afin de réfléchir aux politiques de mobilité et à leur construction ; sa conclusion sur ce plan est critique pour la ville de Strasbourg : 'Strasbourg, qui avait, en France du moins, une certaine avance dans les années 1990, prend actuellement du retard dans tous ces domaines et le GCO en est l’illustration la plus désolante''.
Pascal Politanski
Ovipal
9 septembre 2018
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Ovipal : le GCO est présenté à l'opinion publique comme le moyen de désengorger la ville et de fluidifier la circulation ? Qu'en pensez-vous ?
Une nouvelle infrastructure routière n’a jamais réussi à désengorger une agglomération pendant plus de quelques mois, à cause du phénomène de « trafic induit », bien repéré et analysé par la littérature scientifique depuis les années 1990. Pour parler moins savamment, une nouvelle autoroute est un aspirateur à voitures. Elle ne répond pas seulement à l’augmentation de la demande de déplacements, elle amène les citadins à rouler plus encore. Car les gens ne profitent jamais d’une voirie nouvelle pour gagner du temps, mais toujours pour aller plus loin. C’est ce que nous révèlent les statistiques de la mobilité depuis qu’elles existent, soit 70 ans. Une autre façon de le comprendre est de rappeler que l’automobile a besoin d’énormément d’espace pour circuler et stationner. C’est pourquoi, elle réclame toujours plus d’espace et le sature très vite. Je ne vois pas pourquoi le GCO échapperait soudain à ces réalités.
Ovipal : Existe-t-il une « bonne » approche en matière de politiques de déplacement qui puisse résoudre ce problème de saturation des voies d’accès à la ville ?
Oui. Il faut penser l’ensemble des modes de déplacement et non chacun séparément, adopter ce que j’appelle une approche omnimodale. Ce qui compte, ce n’est pas de préserver la mobilité en voiture, mais la mobilité en général. De plus, la ville est un équilibre entre vitesse de déplacement et forme urbaine : quand la vitesse augmente, la ville s’étale et inversement mais beaucoup plus lentement. En l’occurrence, cela veut dire que pour réduire les bouchons sur l’A4-A35, il faut privilégier les modes de déplacement économes en espace par personne transportée – les transports publics (le rail, le tramway…), le covoiturage, le vélo (à assistance électrique), la marche – et réduire progressivement les vitesses en transformant à terme l’autoroute en boulevard urbain. Toutes solutions qui n’ont rien d’original et qui sont déjà mises en œuvre dans bien des grandes villes.
Ovipal : Comment associer la population à ces transformations ?
Les gens, mais aussi les élus et les techniciens, méconnaissent toutes ces alternatives. Nous manquons tous de vision stratégique, de capacité à nous projeter au-delà de l’horizon d’une mandature municipale, faute de connaissances de base sur le sujet. Il faut d’abord nourrir notre imaginaire, en se renseignant sur ce que font les villes les plus en pointe, en allant autant que possible sur le terrain voir comment elles s’y prennent. On revient alors transformé, avec plein d’idées neuves à débattre et des rêves de ville entièrement calmée (pas seulement au centre), plus respectueuse de ses habitants et de son environnement. Les exemples de voiries rapides transformées en boulevard urbain se multiplient dans le monde, la création de RER utilisant efficacement l’étoile ferroviaire sont légion, les réseaux de super pistes cyclables sont en plein développement aux Pays-Bas et ailleurs… Strasbourg, qui avait, en France du moins, une certaine avance dans les années 1990, prend actuellement du retard dans tous ces domaines et le GCO en est l’illustration la plus désolante.
Interview réalisée par Pascal Politanski
Ovipal
9 septembre 2018
Notes
Vous pourrez également lire une tribune très récente au « Monde » dans laquelle l’économiste et urbaniste Frédéric Héran estime que chaque mode de déplacement doit être utilisé en profitant au mieux de ses avantages comparatifs.
« La gratuité des transports publics est une mauvaise idée, qui pénalise d’abord le vélo et la marche ». (LE MONDE | 07.09.2018 )
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