Le retour du clivage droite-gauche ?
Dans la situation actuelle, il est plus que jamais nécessaire de prendre du recul, de rester calme, de ne pas s'emporter, de laisser ses émotions de côté, en tout cas celles qui empêchent le débat et l'analyse. N'assiste-t-on pas, tout simplement, au retour du clivage droite-gauche et, dans le même temps, à une droitisation de l'opinion, phénomène classique en temps de crise ?
Le calme est d'autant plus nécessaire que, vous l'aurez remarqué, tout le monde s'énerve, les débats sont dramatisés, et on peut s'attendre à quelques semaines assez hystériques. C'était très palpable dimanche soir sur les plateaux de télévision, où même les animateurs, pourtant rompus à la difficulté, étaient tendus à craquer, quand ils se cédaient pas, tout simplement, à la nervosité la plus extrême. Et je ne parle pas de ces manifestants en noir, rêvant d'un grand soir, qui cassent les poubelles et le mobilier urbain1.
Restons donc serein, ne nous comportons pas comme si un météorite avait frappé la France, et, surtout, gardons la tête froide pour analyser une situation politique, je dirais politique et sociale, qui reste dans un cadre parfaitement démocratique, le Président de la République ayant fait jouer, dans les règles constitutionnelles, l'article 12 qui l'autorise à dissoudre, même par surprise, l'Assemblée nationale (et pas le parlement tout entier puisqu'il n'a aucune prise sur le Sénat).
Il est vrai que la campagne électorale avait déjà connu quelques accès de fièvre, voire de violence, quand certains extrémistes avaient multiplié les occupations, les blocages, les rassemblements sur des causes émotionnelles qui n'avaient rien à voir avec l'Europe.
La situation actuelle s'inscrit dans trois tendances de fond que l'élection européenne, en France et ailleurs a bien mis en valeur.
Une droitisation de l'opinion
La première tendance est une droitisation de l'opinion publique, en France mais aussi dans d'autres pays en Europe, l'Italie, la Hollande, l'Allemagne. Les électeurs, notamment les électeurs de la « France périphérique » chère à Christophe Guilluy, semblent faire plus confiance aux différents partis de droite.
C'est une tendance qui s'explique historiquement. Nous sommes entrés dans une période de baisse du niveau de vie, de déclassement, d'incertitude, de crise, y compris une crise morale, une période où la guerre est à nos portes et où nous craignons que le climat nous échappe. Nous sommes dans un moment historique vécu dans l'angoisse, d'autant plus que les élites centre-urbaine y échappent, ne le comprennent pas et n'y répondent pas. A cela s'ajoute une constante historique, en démocratie, quand il y a danger, quand il y a menace, on préfère la droite à la gauche qui, elle, se réserve les périodes les périodes de plus grande stabilité et d'abondance.
Le clivage droite-gauche
La deuxième tendance est le renforcement du clivage gauche – droite. Historiquement chacun des camps porte des valeurs différentes et surtout hiérarchise différemment les problèmes à résoudre. Nous avons vécu, en France, dans l'illusion que ce clivage était dépassé, on a bien vu dimanche soir et nous le verrons dans la campagne électorale qui s'annonce, que c'est bien la gauche et la droite qui s'opposeront et qui chercheront à nous convaincre que leurs propositions sont les meilleures pour la France et les français. Ce clivage structure toujours l'imaginaire politique des français et, aux législatives, nous irons voter soit à droite, soit à gauche...
Une recomposition politique assez conservatrice
La troisième tendance est que chaque camp, la gauche et la droite, se recompose. La gauche de demain semble pour l'instant se recomposer, dans l'urgence et sous la contrainte de la nécessité électorale, dans un registre imaginaire du passé, celui des années trente, avec un « Front populaire » se dressant contre la « menace fasciste ».
La droite, qui, elle, est plus sollicitée par l'opinion, connaît actuellement un vaste remaniement entre ses trois composantes que sont le Rassemblement national (droite populiste), Reconquête (droite conservatrice), et Les Républicains (droite traditionnelle). Moins qu'un avenir, la droite en cours de recomposition, propose de réarticuler la politique sur des fondamentaux comme l'identité nationale, le patriotisme, la sécurité, et surtout la prise en compte du peuple périphérique. D'où le glissement de l'électorat d'une droite de compromis (les LR) vers une droite plus radicale (le RN)2, qui, du fait d'être populiste, reprend à son compte de vœux thèmes qui étaient chers, dans le temps, à la gauche.
Paradoxalement, l'échec de la phase désincarnée « en marche vers l'avenir » incarnée par Macron, aboutit à un double conservatisme, celui d'une droite qui l'est par nature, et celui d'une gauche enfermée, biais cognitifs après biais cognitifs, dans les années trente et dans ce qu'un auteur inspiré a qualifié de « seconde vie du nazisme ».
L'essentiel reste que l'on cesse d'hystériser la vie politique, que l'on s'éloigne de la tentation de la violence et de la disqualification de l'autre, que l'on garde son calme pour que les débats politiques nécessaires aient lieu dans les meilleures conditions possibles. Toutes les opinions, pourvu qu'elles restent dans un cadre démocratique sont légitimes. Et la démocratie, fondamentalement, c'est d'abord la réflexion, dans le calme, et dans le respect de l'opinion de l'autre.
Philippe Breton
ovipal
11 juin 2024
1 - Lundi 10 juin, en début de soirée, sont passés sous mes fenêtres 200 garçons (essentiellement), entièrement habillés de noir, très agressifs et cherchant à en découdre, brulant et cassant au passage le pauvre mobilier urbain du quartier, déjà très éprouvé par de précédentes éruptions de fureur. Leur masque noir ne cachait qu'à peine la colère grimaçante et la haine dont chacun d'entre eux semblait être porteur. Cette agressivité sans limite semblait avoir trouvé enfin un débouché collectif, une cause puisée dans un imaginaire anti fasciste de pacotille, et un bouc émissaire fantasmé tout trouvé. Le spectacle, à vrai dire, était assez inquiétant et relève plus de la psychologie que de la politique. Ce cortège était suivi par un autre, formé de plusieurs centaines de très jeunes gens, beaucoup mineurs, porteurs de moins de noirceur, mais constituant une naïve masse de manœuvre des premiers.
2 - A ce point de mon argument, vient toujours la même question : « mais comment, le RN ne serait pas d'extrême droite ? ». La réponse, du moins la discussion sur ce point, se trouve dans un article précédent (lire ici). Une part de la fureur que déclenche le RN aujourd'hui est sans doute aussi lié au constat que celui-ci n'est précisément plus d'extrême droite et que donc tous les édifices imaginaires construits sur cette base s'effondrent, et, avec eux, les sombres bénéfices politiques que certains en retiraient.
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