Les Etats-Unis sur la voie de la démocratie illibérale ?
Depuis son accession à la Maison Blanche, Donald Trump mène une entreprise de destruction du système politique américain, tel qu’il a été voulu par les pères fondateurs, basé sur l’interdépendance et l’équilibre des pouvoirs du président, du congrès et du judiciaire, permettant les fameux « checks and balances ».
Donald Trump conduit les Etats-Unis sur la voie de la démocratie illibérale, où le vainqueur des élections dirige l’Etat sans respecter les principes de l’Etat de droit et réussit progressivement à obtenir la soumission de l’ensemble des organes susceptibles de faire preuve d’indépendance à son égard, la justice, l’université, les médias…
L’expression de démocratie illibérale a été utilisée pour la première par Fareed Zakaria dans un article fondateur paru en 1998. Elle désigne un régime où les gouvernants sont désignés sur la base d’élections libres et pluralistes, organisées à intervalles réguliers, au suffrage universel, mais où les principes du libéralisme constitutionnel –Etat de droit, séparation des pouvoirs, indépendance de la justice - subissent des entorses importantes.
L’histoire récente montre que le passage de la démocratie libérale à la démocratie illibérale se fait progressivement et qu’un dirigeant politique, qui décide de conduire son pays sur cette voie, a en général besoin de plusieurs mandats avant de pouvoir ébranler de façon sérieuse les principes du libéralisme constitutionnel. Par ailleurs nous ne disposons pas pour l’instant du recul suffisant pour savoir si la démocratie illibérale constitue un type de régime politique spécifique et stable ou bien une simple étape dans un processus de passage d’une démocratie libérale à une dictature avérée (cad un régime sans libéralisme constitutionnel et sans élections libres). (1)
Après 3 mois de présidence Trump, malgré la violence de la charge et le caractère systématique des remises en cause des principes du libéralisme constitutionnel, les Etats-Unis n’en sont qu’au début d’une possible évolution vers un régime de type démocratie illibérale.
Pour contrer la dérive présidentialiste de Trump, il n’est pas possible de compter sur le congrès, où les républicains, entièrement soumis à Trump, sont majoritaires dans chacune des deux chambres. En ce qui concerne les juges, quelques magistrats fédéraux ont pour l’instant annulé certaines décisions de la Maison Blanche, arguant de leur illégalité. Il n’est pas possible pour l’instant de se prononcer sur l’issue de la bataille politico-judiciaire qui se joue entre l’administration Trump et ces magistrats. Elle sera probablement arbitrée par la cour suprême, dominée par les conservateurs.
Une autre échéance importante est constituée par les élections au congrès de mi-mandat, en novembre 2026. Une victoire des démocrates aurait pour effet de remettre le congrès du côté des contre-pouvoirs (rôle qu’il avait joué lors du premier mandat de Trump de 2016 à 2020). Une victoire des partisans de Trump lui permettrait d’envisager une nouvelle candidature en 2028. A cet égard, en annonçant qu’il briguerait un troisième mandat, Trump a clairement annoncé la couleur. En principe la constitution américaine le lui interdit. Mais cette interdiction ne constitue pas un problème pour un dirigeant qui ne respecte pas l’Etat de droit.
Bernard Schwengler
3 mai 2025
OVIPAL
(1) A cet égard, différents cas de figure existent :
En Hongrie, pays souvent cité comme exemple de démocratie illibérale, Victor Orban est au pouvoir depuis 2010. Dans ce pays, le principe d’élections libres et pluralistes est toujours en vigueur. Mais une série de réformes a mis fin à l’indépendance des juges constitutionnels par rapport au pouvoir exécutif et par conséquent à l’indépendance de l’ensemble du système judiciaire. Par ailleurs le parti au pouvoir exerce un contrôle étroit sur l’ensemble des médias.
La Turquie, où le dirigeant politique Recep Erdogan est au pouvoir depuis 2002, semble constituer l’exemple d’un pays qui, après être devenu une démocratie illibérale, est en train de devenir une dictature avérée. L’élection présidentielle de 2023, où Recep Erdogan avait été réélu avec 52 % des voix, respectait les principes d’une élection libre et pluraliste. Mais l’arrestation en mars 2025 d’Ekrem Imamoglu, le principal opposant d’Erdogan, pour l’empêcher de se présenter à la prochaine présidentielle, est en train de changer la donne.
On peut enfin citer le cas de la Pologne, devenue une démocratie illibérale sous l’influence du parti Droit et Justice, au pouvoir de 2005 à 2007 et à nouveau de 2015 à 2023, mais où la défaite de ce parti aux élections législatives de 2023, a mis un terme au processus d’illibéralisation qui était en cours.
A découvrir aussi
- Où va le parti socialiste ?
- Pour contrer l’offensive des départements sur l’économie, la région grand-est joue la carte de l’identité alsacienne…
- L’Alsace : entre l’option « accoucher d’une souris » et l’option « usine à gaz »
Inscrivez-vous au site
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 898 autres membres