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Rallumez les lampadaires !

La crise de l'énergie va avoir de multiples conséquences dans notre vie quotidienne, qu'il va bien falloir, pour la plupart, assumer. L'une d'entre elles est la tentation de diminuer, parfois drastiquement l'éclairage urbain. Eteindre, à des degrés divers, les lampadaires qui éclairent nos rues, dans les villes comme dans les villages... Cette mesure, apparemment pragmatique, écrit une nouvelle page du catalogue des bonnes actions pour la planète, et, aussi surtout, pour le budget municipal de chaque commune concernée. Mais est-ce vraiment une bonne idée ?

 

L'éclairage public a toujours été un enjeu politique ou sociétal. Par exemple sa généralisation, au début de la période industrielle, a mal commencé pour la planète. Les bougies et chandelles qui éclairait jusque là nos rues, assez mal il faut le dire, ont été remplacées à cette époque par de l'huile de baleine, plus précisément de l'huile de graisse de baleine. Concrètement, la quasi totalité de ces braves cétacés, ont été massacrés, découpés, fondus et mis en baril pour alimenter les lampadaires des villes industrielles, en Europe et aux Etats-Unis. Le magnifique roman d'Hermann Melville, Moby Dick, publié en 1851, relate bien les affres d'une pratique qui s'est arrêtée, faute de matière première, les baleines étant entrées à l'époque en voie d'extinction, situation heureusement rattrapée depuis.

 

L'éclairage public est une vieille question : les Romains avaient déjà imaginé le principe de la lanterne dans les rues. Le moyen âge, lui, est, de ce point de vue, une période bien sombre. Dès la tombée de la nuit, c'est couvre feu généralisé, à moins de sortir, en groupe, une lanterne portée en haut d'un bâton par celui que l'on appelait un « porte-falot ».

 

Le développement des villes, Londres, Paris, s'accompagne d'une généralisation de l'éclairage public, au moins des grandes artères. Louis XIV, très attentif à ces questions, on n'est pas le roi-soleil pour rien, mande son lieutenant de police, le fameux Gabriel Nicolas de la Reynie, pour éclairer la capitale. L'allumage des lampadaires se fait alors par des habitants désignés annuellement par les autorités.

 

Beaucoup de rues restent malgré tout sombres et, par sécurité, on ne déplace pas selon le chemin le plus court, mais sur celui le plus éclairé, quitte à faire un détour. L'enjeu est bien d'échapper aux nombreux voleurs, voire plus, qui cherche fortune dans l'obscurité.

 

Après l'épisode de l'huile de baleine, on passe rapidement au gaz, puis à l'électricité, qui illumine dès la fin du XIXème les rues des grandes villes industrielles, mais aussi, progressivement, les villages. Nous l'avons oublié, mais, avec l'éclairage et l'électricité, tout change dans la vie quotidienne, on travaille plus tard, on mange plus tard, le temps de sommeil diminue, la lumière fait reculer l'insécurité, on peut enfin sortir le soir sans danger. C'est un changement de mode de vie majeur, notamment sur la question de l'insécurité, qui est la plaie des grandes villes.

 

Tout le monde aujourd'hui veut un lampadaire au pied de son immeuble, de sa maison. C'est une des principales demandes faites aux Maires dans les petites communes. La généralisation des lampadaires correspond à trois préoccupations qui sont au cœur de la modernité : sécuriser les espaces urbains, permettre l'accroissement de la circulation et donc de l'activité, et décorer les espaces et les monuments les plus prestigieux.

 

Diminuer, voire supprimer l'éclairage urbain implique donc un recul sensible de tout ce qu'avait permis la lumière dans l'espace public. On risque ainsi le recul de toutes les formes d'activité qui nécessitent un déplacement sûr. En hiver, le commerce est condamné dès le milieu de l'après-midi. Le vélo en ville c'est bien, mais dans le noir, c'est plus compliqué...

 

Sans éclairage, les jeunes filles, les personnes âgées et en fait beaucoup d'entre nous, hésiteront à se lancer dans les rues obscures. C'est déjà le cas à Strasbourg, dans des quartiers comme la Krutenau, où la baisse drastique de l'intensité de l'éclairage nocturne se couple avec l'extinction des feux, à l'heure où beaucoup de jeunes rentrent chez eux.

 

L'éclairage urbain nous avait permis de sortir de chez nous sans crainte et avait allongé nos journées, sa suppression va les raccourcir et nous enfermer à nouveau à domicile. Faudra-t-il réinventer les porte-falot, les anciens porte lanterne, prêt à louer, au coin de la rue, leurs services pour nous accompagner dans le noir ? Faudra-t-il ubériser l'éclairage public ?

 

On comprend bien les soucis d'économie et de sauvegarde de l'environnement qui sont au cœur de la crise actuelle, mais ne peut-on pas porter l'effort ailleurs et nous éviter un changement de mode de vie, qui serait caractérisé par la progression de l'obscurité, comme une sorte de retour vers un passé sombre, qui semble être hélas, aujourd'hui, la marque du futur qu'on nous annonce.

 

Philippe Breton

ovipal

21 octobre 2022

 



21/10/2022
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