. . . . OVIPAL - OBSERVATOIRE DE LA VIE POLITIQUE EN ALSACE . . . .

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Un coup politico-médiatique « plus que parfait »

Au regard de l’histoire, le 29 octobre 2018 sera-t-il vu comme une grande date pour l’Alsace et ses habitants ? Il semble bien qu’il faille pourtant attendre l’épreuve des faits, c’est-à-dire ce qui se passera à compter du 1er janvier 2021 pour le savoir. Il conviendra alors d’analyser attentivement ce qui se produira : soit à travers les compétences qui seront réellement attribuées à la nouvelle collectivité, soit à travers les actions que les élu.e.s oseront réellement entreprendre, au risque des tensions et conflits potentiels avec le pouvoir central …

 

Gouverner les esprits !

 

Le temps semble suspendu et l’événement réjouit pratiquement tous les acteurs en présence … surtout peut-être cette très large majorité des alsaciens qui s’était exprimée à hauteur de 82% des Alsaciens favorables à un référendum sur la sortie de l'Alsace du Grand Est (sondage IFOP février 2018) (1).

 

Pourtant si la population alsacienne n’est pas présente sur la photo politique du 29 octobre 2018 qui ne réunit que 4 ministres et 3 élus alsaciens, elle est belle et bien présente en toile de fond.

 

L’événement politique calme le jeu ; il opère vraisemblablement pour la population, un peu comme un soulagement, comme une « réparation ». En effet, une bonne partie des alsaciens s’était sentie trahie par la disparition « administrative et politique » de la région, intégrée le 1er janvier 2016, lors du passage de 22 à 13 régions, au sein de la Région Grand Est.

 

Baume au coeur donc, mais un événement politique -très bien construit- qui est avant tout un coup médiatique arrivant à point nommé.

 

Pour toutes les strates de la classe politique qu’elle soit nationale, régionale ou locale, l’événement politique possède plusieurs vertus.

 

Il tente de faire oublier :

 

—-> qu’au plan national, aucun.e ministre ou secrétaire d’Etat alsacien.ne ne se trouve au gouvernement même depuis le remaniement de septembre dernier. Certes l’exécutif multiplie les voyages « dans les territoires » mais comme l’écrivait notre confrère Hebdi (2) « il n’y a plus de ministres alsaciens à Paris. Finira-t-on par regretter les Loos, Richert, Trautmann et Hoeffel ? » et peut-être pourra-t-on se rappeler qu’André Bord en fut le champion toutes catégories. L’homme avait passé près de douze ans de sa vie dans les gouvernements de la République ;

 

—-> … de faire oublier qu’au plan régional, les électeurs des deux départements avaient boudé les urnes, évitant ainsi la fusion des deux départements, en s’opposant ainsi aux souhaits de leurs élus locaux qu’ils soient régionaux ou départementaux ; cela avait échoué à concrétiser leur projet lors du référendum du 7 avril 2013 ; une «  page de l’histoire d’Alsace » n’avait pas pu être écrite et cela n’avait pas permis la fusion du Conseil Régional avec les deux Conseils Généraux de l’époque ….

 

—-> … de faire oublier enfin qu’au niveau de la population alsacienne, seulement une moitié des électeurs / électrices des deux départements s’étaient déplacé.e.s pour choisir leurs représentant.e.s lors des dernières Élections régionales de 2010 en Alsace les 14 et 21 mars 2010 (57% d’abstention au 1er tour, 49% au second) … témoignant ainsi que la Région alsacienne stricto sensu n’était pas vraiment au centre de leurs préoccupations politiques… Et c’est pourtant bien sa suppression qui entraîna une vague de mobilisation populaire contre le gouvernement d’alors présidé par François Hollande !

 

Finalement l’événement médiatique permet à la classe politique nationale, régionale et départementale de jouer « gagnant-gagnant ». Autre constat, la mesure de création de cette nouvelle entité, qui restera « intégrée » au sein de la région Grand Est, bouscule assez peu la configuration institutionnelle, car pour l’instant nous nous situons principalement sur un plan surtout symbolique.

 

Force est de constater que dans l’immédiat la mesure permet de développer les débats, d’alimenter les discussions et les points de vue. La visée politique est cousue de fil blanc et consiste à « gouverner les esprits ».

 

Le site de l’OVIPAL en est l’illustration la plus flagrante avec les chroniques de mes collègues et amis. D’un côté, Bernard Schwengler postule que la « coquille » de la Collectivité Européenne d’Alsace est plutôt vide et que cette nouvelle entité administrative ne pourra en définitive ne mettre en oeuvre que peu de choses car beaucoup des compétences promises nécessitent un profond réaménagement règlementaire et surtout constitutionnel ; de l’autre côté, René Kahn fait le pari que la classe politique alsacienne se saisira de la dimension économique transfrontalière en faisant de l’Alsace, une Start-Up s’appuyant -non pas sur un blanc-seing gouvernemental- mais plus sur une feuille de route de route suffisamment floutée, exprimant cet air du temps macronnien qui fait de « (…) L’Etat français (…) une grande agence de développement ».

 

Dans ce sens, il faut d’abord voir à travers ces débats contradictoires, mais surtout dans cette opération politique de la Collectivité Européenne d’Alsace, un « art du gouvernement des esprits » qui entend produire des décisions publiques « médiatiques » permettant de gérer savamment l’opinion. Il s’agit de permettre de diffuser un message dont le contenu est très maîtrisé par l’émetteur : les formulations étant choisies et peu nombreuses (ce qui rend très probable leurs reprises à l’identique dans les journaux), les arguments étant pesés, les faits évoqués étant sélectionnés avec soin (3) …. ce qui explique que la couverture médiatique « quasi-consensuelle », tant nationale que régionale et locale, titre sur la re-naissance de l’Alsace. Mais attention n’y a-t-il pas à craindre d’éventuels retours de manivelle ?

 

Déception et risques de réactivation du séccessionnisme ?

 

Finalement tout était en place pour que la déclaration relative à la création de la « Collectivité Européenne dAlsace » devienne un « événement » et « fasse l’information » du Figaro au journal Le Monde jusqu’aux quotidiens régionaux ainsi que l’ouverture des journaux télévisés nationaux et régionaux. Tout était prêt et aussi bien calculé pour cela fasse le « buzz » au moins en Alsace. Mais l’Alsace renaîtra-t-elle pour autant pour autant de ses cendres en 2021 ?

 

Plusieurs incertitudes planent à ce sujet. Nous avons déjà évoqué les doutes qui pèsent sur les pouvoirs réellement conférés et transférés. Les tensions ne manqueront pas d’apparaître pour les élu.e.s qui auront aussi à réfléchir à leur investissement politique et auront à arbitrer entre le Grand Est et le territoire Alsacien et pour certains à peser leur ambition nationale. D’autant plus que l’année 2021 se situe dans une série d’échéances politiques qui se placent entre les élections Municipales (2020) et les Présidentielles (2022)… avec au milieu du guet les Départementales (2021) et les Régionales (2021).

 

Autant dire que les choix et les stratégies seront complexes entre tous ces échelons territoriaux et les interférences en termes de carrières. Pour l’instant avec cette déclaration du 29 octobre 2018 les élus semblent plutôt être en phase et alignés … mais leur volonté de faire de la « Collectivité Européenne d’Alsace » une véritable entité politique efficace risque de s’effriter -au moins dans les discours- et multiplier les clivages. Ce contexte peut peser sur les vitalités démocratiques, peut risquer de décevoir si la baudruche de cette nouvelle entité se dégonfle et peut obscurcir l’horizon culturel des alsaciens, au risque du sécessionnisme.

 

C’est pourquoi il convient de donner le mot de la fin à l’historien de l’Alsace, Georges Bischoff, pour qui la véritable grandeur de l’Alsace :

 

« (…) n’a pas besoin de se traduire dans des institutions spécifiques pour s’affirmer » ; « (…) c’est là que réside, historiquement, la véritable grandeur de l’Alsace, des circonstances répétées ont amené les Alsaciens (ou des Alsaciens) à se reconnaître – volontairement – dans quelque chose d’universel qui transcendait leur identité locale.

Le premier événement : la Révolution française, qui les a inscrits dans une nation, au nom de la Liberté.

Le deuxième est l’annexion à l’Allemagne de Bismarck, qui s’est traduite par une protestation au nom du droit des peuples – et, par l’exil d’une partie de l’élite politique : c’est alors qu’on a inventé une Alsace hors d’Alsace, exemplaire, fondamentalement républicaine, comme prototype d’une « fusion » citoyenne au-delà des différences communautaires. Cette Alsace-là, en 1870-71 a servi à démontrer les concepts d’Egalité et de Fraternité (excusez du peu, mais c’est un fait, qu’ont rappelé les grands esprits du temps). C’est l’Alsace de Marc Bloch.

 

Enfin, troisième épisode – après des incompréhensions réciproques entre les « revenants » d’après 1918 et la génération formée sur place avant 1914, l’annexion de fait par les nazis, et son corollaire : sacrifice, résistance et libération.

Cette grandeur-là n’a pas besoin de se traduire dans des institutions spécifiques pour s’affirmer. » (4)

 

Une belle leçon d’histoire à méditer (pas au « plus que parfait » celle-là) en ce jour de centenaire de fin de la Première Guerre Mondiale.

Le 11 novembre 2018                                                                      

                                                                                                         

Pascal Politanski

ovipal

11 novembre 2018

 

(1) Rue89 Strasbourg relativise l’objectivité de ce sondage en évoquant « la Trumpisation du débat régional» « Rions un peu avec l’Ifop et son sondage sur la « renaissance de l’Alsace », Rue89 Strasbourg, 20 février 2018 (https://www.rue89strasbourg.com/rions-un-peu-avec-lifop-et-son-sondage-sur-la-disparition-de-lalsace-131864)

(2) https://www.hebdi.com/toujours-dalsacien-gouvernement/ mis en ligne le 26 juin 2017

(3) La thèse en sciences politique de Jérémie Nollet « Des décisions publiques “ médiatiques ” ? : sociologie de l’emprise du journalisme sur les politiques de sécurité sanitaire des aliments » explique avec précision les mécanismes de production de décisions publiques “ médiatiques ”, notamment quand ils émanent de l’exécutif.

(4) Collectivité Territoriale d’Alsace – Referendum du 7 avril 2013, Georges Bischoff :

« Ne pas se tromper d'Alsace », 18 mars 2013 ( http://referendum.alsace.over-blog.com/article-conseil-d-alsace-point-de-vue-de-l-historien-georges-bischoff-ne-pas-se-tromper-d-alsace-116301904.html)

 



12/11/2018
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