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Vers une Alsace heureuse ?

L'avènement d'une "collectivité européenne d'Alsace représente selon moi d’un événement majeur qui peut marquer un nouveau départ dans l’histoire de l’Alsace contemporaine mais qui n’est pas sans risque ni sans conséquence pour l’architecture territoriale française (d’autres « régions » pourraient être tentées de refonder leur développement sur des partenariats transrégionaux ou transfrontaliers).

 

Ce projet a déjà été commenté par la presse régionale et certaines instances qui l’accueillent très favorablement. Comme nous aurons le temps de méditer cette nouvelle institution avant son entrée en fonction en 2021, je me limiterai ici à souligner quatre points :

 

1 – Le coup de maître opéré par les deux Départements du Haut-Rhin et du Bas Rhin. Ayant risqué la disparition, puis d’être marginalisés dans le Grand-Est en ayant vu certaines de leurs compétences du fait de la loi NOTRe leur être retirées, ils ont su magistralement rétablir la situation à leur avantage. En coordonnant leur projet (ce qu’ils n’avaient pas su faire en 2013), ils sont parvenus à recréer une petite région à très forte identité au sein du Grand-Est. Une nouvelle entité institutionnelle alsacienne émerge comme le phénix de ses cendres, dotée de nouveaux pouvoirs, de nouvelles promesses, d’un imaginaire à investir.

 

2 – Ce coup de théâtre a bénéficié d’un alignement exceptionnel de toutes les planètes politiques : du soutien (implicite) de la population alsacienne désireuse de retrouver une institution Alsacienne affirmant culturellement son identité, autonome et volontaire, la planète des élus territoriaux (notamment les deux Départements avec l’approbation du Président du Conseil régional de Grand-Est), celle de l’Etat Français, celle des partenaires transfrontaliers (encore partants) et celle de l’Europe (initiatrice et incitatrice). Tous les pouvoirs semblent partager une même conception de l’action territoriale.

 

Cette configuration est très exceptionnelle. Si les compétences de la Collectivité Européenne d’Alsace ne sont pas encore pleinement précisées le projet est bien lisible dans ses orientations et dans ses principaux moteurs : l’Europe, la coopération transfrontalière à l’intérieur de l’espace rhénan, le développement économique exogène (attractivité).

 

En soi, le projet d’un développement territorial relancé par un partenariat transfrontalier et européen décomplexé, n’est pas nouveau. Il correspond très exactement au projet que les élus alsaciens voulaient instaurer depuis plusieurs générations (de Pierre Pflimlin à Frédéric Bierry et Brigitte Klinkert en passant par Daniel Hoeffel, Adrien Zeller, Catherine Trautmann, Philippe Richert, et d’autres (notamment les élus du Grand-Est), tous ont porté ce même espoir sans jamais pouvoir bénéficier d’une configuration aussi favorable.

 

3 – L’élément le plus exceptionnel est celui du soutien sans faille de l’Etat français celui du Président de la République, ainsi que l’engagement du Premier Ministre et de trois autres Ministres impliqués dans le projet. Nous pouvons affirmer que la Collectivité Européenne d’Alsace correspond très exactement au nouveau profil de la collectivité locale dans l’esprit du parti du Président, une « région » qui se veut moderne, revivifiée, entrepreneuriale : plus autonome, innovante, offensive, européenne, expérimentale.

 

Plusieurs projets antérieurs nous avaient rapprochés de cette vision sans jamais parvenir toutefois à la concrétiser pleinement.

L’accent est mis sur la dimension culturelle (linguistique, transfrontalière) mais il s’agit à n’en pas douter (sans chercher à contrer frontalement la loi NOTRe) d’insuffler un état d’esprit, de redonner à l’Alsace une pleine compétence en matière de développement territorial et économique.

 

De fait, l’esprit qui préside au texte fondateur est rempli de formules évasives (par prudence pour ne pas contrevenir au droit administratif ou constitutionnel) qui rappelle l’âge d’or des Comités d’expansion et des agences de développement : la capacité d’expérimenter, de tenter des aventures économiques nouvelles en s’inscrivant dans la ligne directrice voulue par l’Europe et actuellement âprement négociée par les Etats-membres dans le cadre du CFP (2021-2027), la liberté de contracter librement et relancer la dynamique transfrontalière rhénane.

 

4 - Sur le fond le projet n’est donc pas nouveau, il marque l’apogée d’un modèle de développement centré sur l’entrepreneur et la conception économique très particulière et très simpliste du territoire dans un univers réputé concurrentiel et mondialisé : si les firmes créatrices de richesses, d’emplois et de profits sont en quête de localisations, la vocation du territoire est avant tout de réaliser des alliances pour maintenir et attirer des firmes internationalement mobiles, des projets et des institutions, les plus prestigieuses possibles pour générer des effets de diffusion proportionnels au mérite des acteurs les plus engagés.

 

Là encore cette conception (faudrait-il dire cette idéologie pléonexe – le mot grec pour « premier de cordée » ayant coupé la corde, accordant au perdant au mieux un filet de sécurité minimal mais ne lui accordant aucun pouvoir d’entrevoir et de concevoir réellement un monde différent) coïncide en effet parfaitement avec la philosophie du Président de la République. Il la défendait fortement lorsqu’il était Ministre de l’économie, notamment dans l’enceinte de la Banque Publique d’Investissement (BPI), il la défend aujourd’hui encore dans le cadre de ses différentes missions, de politique étrangère, ou d’autres, en vantant l’esprit entrepreneurial des français et un territoire national qui répond bien mieux aux exigences des milieux d’affaires.

 

L’Etat français est aussi devenu une grande agence de développement. La conception maintream en Europe et dans la sphère des décideurs économique relayée par les politiques est aisément orientée vers une exigence de mobilité accrue pour les populations, de réformes structurelles, parfois de limitation des protections sociales, etc. De nombreuses voix contestent la viabilité de ces politiques publiques et de ce modèle de développement. Espérons donc que l’Alsace heureuse, fière de retrouver une institution qui l’incarne ne fera pas que le bonheur des seuls entrepreneurs, des politiques et des ultra-mobiles hyper-connectés. Le transfrontalier, l’entrepreneuriat, l’ambition économique, exige des compétences et un état d’esprit qui ne sont partagés par tous. La réduction des inégalités et la cohésion sociale restent une urgence et une priorité absolue.

 

Pour l’heure, chaque cosignataire du projet y trouve son compte. Au niveau national il peut être tentant lorsque la dynamique souhaitée peine à s’établir ou risque de s’enliser, de contourner le niveau national pour relancer un essai à travers l’échelon local et Européen. Il pourra ultérieurement y avoir des dissensions infrarégionales, des difficultés de mises en œuvre, des arbitrages très délicats (entre développement endogène du Grand-Est et développement exogène), des questions légitimes (comment les Conseils départementaux vont poursuivre leurs missions sociales ?), etc., le 29 octobre 2018 est, quoiqu’il en soit, une date à retenir pour l’Alsace.

 

René Kahn

Ovipal

11 novembre 2018

 



11/11/2018
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