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Une perversion de la liberté d’expression La suppression de la vérification des faits sur Facebook

 

Mark Zuckerberg a récemment annoncé que Facebook met fin à sa politique de modération des contenus et de vérification des faits pour confier ses tâches à des « notes communautaires ». Facebook emboîte ainsi le pas à X qui ne fait plus la chasse aux fausses nouvelles mais laisse les internautes y réagir par des commentaires. Depuis l’annonce de la décision de Zuckerberg, on a beaucoup mis en évidence qu’elle aura pour effet une accentuation très probable du mensonge et de la désinformation ainsi qu’un déferlement de propos haineux (entre autres choses par une autorisation des allégations de maladie mentale ou d’anormalité fondées sur l’orientation sexuelle ou le genre).

 

Une autre considération, plus théorique mais tout autant socialement désastreuse n’a pas été, ou très peu, mise en évidence : en arguant de la liberté d’expression pour justifier sa décision (il dit vouloir « lui redonner la priorité »), Zuckerberg la pervertit.

 

D’une façon qui peut nous apparaître aujourd’hui étonnante, l’idée de la liberté d’expression est à l’origine intimement liée à celle de la recherche de la vérité. C’est particulièrement net dans la défense qu’en propose John Stuart Mill (On liberty, 1959). L’argument central de Mill est qu’il faut laisser libre court à toutes les opinions (à moins qu’elle cause un tort physique à des personnes) dans un libre marché des idées parce qu’une opinion jugée fausse peut s’avérer comporter une part de vérité et qu’à défaut d’être confrontée à d’autres opinions, y compris des opinions fausses, une opinion vraie risque de tourner au dogme et de se scléroser.

 

Pour saisir en quoi plus précisément l’exercice de la liberté d’expression est voué à la quête du vrai, il faut bien comprendre ce qu’est pour Mill une opinion et la fonction de connaissance qu’il lui attribue dans son rapport à la réalité. Il entend par opinion non pas une affirmation subjective (et encore moins la proclamation d’un état d’âme), mais une position soutenue à propos ou à partir d’un fait. Une opinion, ce n’est pas une conviction personnelle, mais un jugement compréhensif porté au sujet de quelque élément ou aspect de la réalité.

 

C’est ainsi en vertu de ce que, dans le sillage de Mill, certains appellent leur « caractère cognitif » que la confrontation des opinions poursuit un objectif de vérité. En quelque sorte, suivant la conception millienne, la liberté d’expression vise à distinguer parmi les opinions divergentes celles qui relèvent d’une appréciation adéquate ou exacte de la réalité et qui sont donc vraies. La liberté d’expression n’est ainsi pas un droit de mentir ni non plus un droit de définir à sa guise la réalité. C’est au contraire un droit dont l’exercice est assujetti au réel : pour le dire sommairement, elle est le droit de dire ce qu’on pense du réel ou de proposer ce qu’il devrait être.

 

Justifier par la liberté d’expression une ouverture à une mise en doute de la réalité, comme le fait Zuckerberg, est ainsi contradictoire. La liberté d’exprimer ses opinions ne fait plus sens s’il y a des « réalités parallèles ». C’est aussi une dénaturation de la liberté d’expression.

 

Bien sûr, la détermination de la réalité n’est pas toujours chose aisée et peut donner lieu à ces désaccords. Mais cette difficulté même présuppose qu’il y a un réel : que c’est vrai ou faux qu’existent tels ou tels états de choses. (Il faux et non pas vrai qu’il y avait une foule plus importante à la prestation de serment de Trump en 2017 qu’à celle d’Obama en 2009 et 2013.) Exprimer son opinion sur ce qui est ou sur ce qui devrait être a pour exigence de faire l’effort de reconnaître ce qui est. C’est très précisément ce que nie l’illusion de « faits alternatifs », devenue le mode de fonctionnement de Meta et de X.

 

Il ne s’agit pas, en le notant, de poser des limites de la liberté d’expression, mais de marquer le cadre de son exercice.

 

Gilles Gauthier

ovipal

janvier 2025

 

 



14/01/2025
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