Curieuse manifestation « contre le Front National » ce 29 mai à Strasbourg
Suite à des appels plus ou moins informels sur les réseaux sociaux, au moins 2000 personnes se sont finalement rassemblés et défilé de la place Kléber jusqu’au Parlement européen. Leur nombre a surpris tout le monde.
Les organisations traditionnelles qui habituellement peinent à mobiliser sur ce thème ont été largement débordées. Leurs banderoles étaient à peine visibles dans le cortège. La préfecture n’avait pas prévu une manifestation d’une telle ampleur et a du visiblement mobiliser au dernier moment le dispositif policier approprié (la commissaire de permanence a surgi en chaussures à talons).
Les manifestants eux-mêmes semblaient surpris par leur nombre. Panneaux improvisés, slogans tâtonnants se repliant sur du déjà entendu, absence de service d’ordre (à part quelques trotskistes tentant de prendre le contrôle du mouvement, comme d’habitude), la manifestation serait restée bon enfant si ce n’étaient les slogans affichés ou clamés, qui étaient caractérisés par une certaine violence verbale (« guerre au front national »). A côté de quelques vieux routiers de l’antifascisme, l’essentiel du public était très jeune, avec beaucoup de lycéens, mais peu de « jeunes des banlieues ». L’observateur peut faire deux remarques.
La première est le très curieux mélange de générosité proclamée (ouverture à l’autre, apologie de la mixité) et de violence affichée contre un parti que beaucoup n’ont jamais rencontré de près et qui sert ici de bouc émissaire idéal à toutes les frustrations.
Le registre de la parole tenue dans cette manifestation est presque purement affectif (sur le mode du like de Facebook ?), c’est le règne presque exclusif du « j’aime ou je déteste. Point barre ». La diabolisation va bon train et la politique s’éloigne en proportion. L’insulte tient lieu d’analyse et Marine Le Pen devient une figure humiliable sans limite de vulgarité (« bombasse »).
La présence des « punks à chiens », ces adolescents en rupture rejetés dans la marginalité, figures emblématiques du ressentiment, ajoute à ce portrait contrasté où cohabitent angélisme désarmant et agressive chasse aux sorcières. On tremble à l’idée de ce qui se serait passé si le cortège avait rencontré par hasard des adhérents du FN affichant leur engagement. Heureusement la seule rencontre cocasse a été le joyeux mélange, devant la grande synagogue, des manifestants et d’un grand mariage qui en sortait plein de gaité.
La deuxième remarque que fera l’observateur est l’impression, toute subjective, que le Front National joue pour beaucoup de ces jeunes gens et jeunes filles, le rôle d’une sorte de surmoi, de père fouettard, comme si chacun pensait avoir quelque chose à se reprocher et tremblait à l’idée qu’un jour ce parti ne vienne leur demander des comptes pour des fautes commises, réelles ou imaginaires. Car la critique du FN qui exhale de ce cortège est tout sauf politique.
La flèche manquerait-elle sa cible ? A ne voir dans le FN que ce bouc maléfique repeint aux couleurs du nazisme, on oublie tout simplement l’essentiel, la critique, légitime et nécessaire, d’un programme politique dont tout porte à croire qu’il sera rapidement au centre des débats dans notre pays et que, curieusement, frontistes et antifrontistes évitent conjointement de mettre en avant.
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