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Dans une société de communication, les virus ont encore de beaux jours devant eux

Le coronavirus a surpris une civilisation mondiale en pleine mutation. Depuis près d'un demi-siècle, la plupart des sociétés humaines s'étaient engagées, de façon convergente, dans la déclinaison d'une utopie née après la dernière guerre mondiale, celle de la « société de communication ». Les étapes de ce qui restera rétrospectivement comme une grande fuite en avant, ont été l'expansion de la cybernétique et de la pensée technicienne, la fin du communisme, la mondialisation de l'économie, la restructuration du lien social grâce aux nouvelles technologies, le délitement des frontières.

 

La clé de ce grand chambardement a été la valorisation à l'extrême de la communication, devenu impératif catégorique, alors que cette notion était presque inconnue jusqu'au milieu du XXème siècle. Là où la vertu était du côté de la discrétion, de la retenue, du quant-à-soi, de la direction de l'intérieur, de la profondeur, la nouvelle doxa a mis en avant, dans un retournement presque point à point, l'exhibitionnisme, la vanité, le conformisme, la superficialité. Là où la frontière protégeait et permettait de reconnaître à leur juste mesure l'altérité des autres, l'universalisme communiquant a fait du voyage où l'on ne cherche que le même, la norme du déplacement. Là où on valorisait comme le bien le plus précieux la richesse de l'intériorité, on a promu comme valeur suprême l'interactivité permanente.

 

L'agitation stérile a remplacé le recueillement productif. Le mystique est devenu SDF, le touriste arrogant le nouveau héros, le migrant un exemple vertueux du déplacement. Les nouvelles socialités, soutenues par les technologies, ont aboli les frontières de l'intimité, la distance entre les êtres, pourtant outil majeur de la réduction de la violence, les frontières régionales et nationales, désormais promues comme des scories du fascisme.

 

C'était du moins le programme de ce qui se révélait jour après jour comme une utopie dont la réalisation est toujours remise au lendemain dans l'indifférence des dégâts qu'elle fait au présent. Et attendant, le monde ancien devait être détruit, remplacé avec systématisme par une bouillie autiste, une absence radicale d'empathie, un universalisme abstrait, une incompréhension généralisée, un technicisme froid, un voyagisme sans but, bref, un idéal de communication qui débouchait sur la vacuité de rapports sociaux dévitalisés.

 

Et voilà que le coronavirus est arrivé. Toutes les épidémies ont quelque chose à nous dire. Celle-là plus particulièrement. Dans son orgueil, l'espèce humaine avait cru vaincre tous ses prédateurs et siéger tout en haut de la chaîne alimentaire. Pour se faire peur, on avait inventé la catastrophe climatique. C'était oublier qu'il restait un ennemi invisible, récurrent, têtu, plus puissant que nous : le virus. Nous vaincrons peut-être cette énième version de son assaut, mais il en reviendra un autre, pour une raison simple, le virus a besoin de nous pour exister. Il nous guette donc en permanence, et il s'en trouvera bien un un jour, pour dominer définitivement la situation.

 

Le coronavirus en tout cas, se diffuse dans une société très peu résiliente devant ce type de prédateur, une société ouverte, communicante, sans frontière, et où l'idée de se séparer des autres entraîne une peur panique et une angoisse paralysante. Ce monde qui veut rester ouvert quoiqu'il arrive est le paradis de l'organisme qui ne vit que de la contagion.

 

L'obstacle majeur aujourd'hui au civisme minimal et à la retenue sociale qui s'imposerait, est bien l'impossibilité de nos urbains à cesser de communiquer sans frein, et même à restreindre suffisamment cet impératif utopique pour réduire la circulation du Mal. La « distanciation sociale » est vécue comme une souffrance majeure de ceux qui ne savent plus que communiquer pour être. Ne plus pouvoir sortir, ne plus s'agiter dans une interactivité compulsive, renvoie chacun à une intériorité dont la nouvelle utopie a verrouillé les portes. Décidément, les virus ont encore de beaux jours devant eux.

 

Philippe Breton

ovipal

7 mai 2020

 



07/05/2020
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