Elections municipales de dimanche prochain : tout est possible !
Les enjeux du deuxième tour des élections municipales sont parfois très différents de ceux du premier tour. Cela semble être le cas de Strasbourg. La crise du covid, les jeux d'alliance, comme celui des absences d'alliance, la situation nationale, les changements de préoccupation de l'opinion publique, ont rebattu les cartes en profondeur. Au point que l'on peut se demander si tous les électeurs voteront au deuxième tour pour les candidats qu'ils avaient choisi pour le premier.
Ce deuxième tour risque de voir d'importants déplacements de voix s'opérer. On fera ici l'hypothèse que deux dynamiques (au moins) de déplacements de voix sont à l'oeuvre, et changeront peut-être radicalement les ordres d'arrivée des listes en présence, dans un contexte où une probable forte abstention rend la situation encore plus instable.
La première dynamique concerne les voix de gauche et de centre-gauche qui s'étaient portées au premier tour sur la liste de Monsieur Fontanel. Son alliance, qui risque bien d'être perçu comme une sinistre trahison, dont seuls les contempteurs de Machiavel se réjouiront, peut déplacer une partie de ces voix vers ce qui sera perçu comme un retour honorable au bercail.
Madame Trautmann, qui conduit une campagne extrêmement dynamique, réveille ainsi ses vieux réseaux socio-démocrates, qui s'étaient dissous avec l'espoir LAREM, mais qui aujourd'hui semblent retrouver une certaine jeunesse avec sa candidature. L'éviction sans ménagement du numéro 3 de l'ancienne liste Fontanel, le professeur Alain Beretz, représentant du monde universitaire, qui pèse lourd à Strasbourg, alimente puissamment cette dynamique.
Combien de points de son petit capital initial (presque 20 %) risque de perdre Fontanel ? Une bonne moitié ne serait pas une estimation incongrue. Qu'ils se reportent sur Trautmann n'est pas une hypothèse absurde. Cette dynamique, à elle seule, rebat les cartes.
La deuxième dynamique à l'oeuvre, plus instable et plus difficile à prévoir, mais convergente avec la première, est celle de l'évolution du capital de voix acquis au premier tour par la liste écologique (arrivée en tête avec 28%). La candeur politique dont a fait preuve Madame Barseghian, tête de liste, en se faisant rouler dans la farine par le tandem Vetter-Fontanel, une image dogmatique qui lui colle à la peau (elle ne fait pas de la politique, elle « sauve la planète » à n'importe quel prix), le fait que beaucoup lui attribue l'échec des négociations avec Trautmann (c'est celui qui arrive en tête qui fait habituellement des concessions), tout cela pourrait avoir brisé quelque peu une dynamique verte qui peine à se relancer dans la campagne.
Le tout dans un contexte politique plus favorable à la dépense, à la relance de la consommation qu'à la préservation des ressources, obligeant les verts à nager à contre-courant, avec des programmes économiques peu convaincants.
Il y a aussi que ce beau 28% du premier tour traduisait sans doute, sur le plan de la sociologie électorale, le fait que cette liste avait fait le plein de ses voix, sur un territoire géographique et socio-professionnel très étroit : centre-ville/ Neudorf. Cette liste a-t-elle encore des réserves de voix ? D'autant que la question du climat, très présente en mars, ne semble plus prioritaire en juin.
La dynamique Trautmann peut donc faire revenir au bercail certains électeurs de gauche, initialement dégoutés par la politique du PS, et qui votait par défaut pour les Verts. Eux aussi verront dans l'hypothèse Catherine Trautmann, une nouvelle virginité politique, doublée d'une solide expérience de Strasbourg. D'ailleurs, tout le monde l'aura remarqué, Trautmann fait sa campagne toute seule et sa liste est soigneusement tenue à l'écart. Son ego ne semble pas en souffrir, et c'est en plus une bonne stratégie pour capter les électeurs de Strasbourg, dont la majorité n'est pas à droite, mais qui ne se reconnaissent pas dans les mini-baronnies usées du PS.
La convergence de ces deux dynamiques est toutefois freinée par une absence remarquée lors des précédents scrutins, celle des électeurs des « quartiers », du moins ceux qui sont issus de l'immigration. Comme nous l'avons déjà montré avec précision à l'ovipal, ces électeurs ont fait sécession et ne s'expriment pratiquement plus. Or ils formaient d'importants bataillons de vote pour le PS. Le réveil des anciens réseaux socio-démocrates n'ira pas sans doute pas, malgré les habituelles promesses aux « associations », jusqu'à Konigshoffen, Hautepierre ou Cronenbourg. Ce sont des voix qui manqueront sans doute cruellement à Catherine Trautmann.
Pour le reste, la dynamique Vetter-Fontanel, déjà fortement grevée par la fable de la carpe et du lapin, risque d'être poussive du côté des Républicains, qui, eux aussi semblent avoir fait le plein, sur le plan de leur sociologie électorale, qui les cantonnent au nord de Strasbourg. Les vrais électeurs de droite jugeront-ils que cette alliance est une bonne affaire ? Rien n'est moins sûr. Ils ne pourront de plus pas compter sur la réserve de voix, pourtant non marginale, des électeurs du RN, échaudés par la campagne désastreuse de Madame Hombeline du Parc, et qui, de toute façon sont sociologiquement très éloignés des Républicains, que beaucoup 'entre eux haïssent. Issus du sud de Strasbourg et de milieu très populaires, souvent abstentionnistes, ils le seront sans doute une fois de plus.
Le deuxième tour des municipales à Strasbourg est donc très ouvert, plein d'incertitudes et de surprises possibles. Le miel du politologue en somme...
Philippe Breton
ovipal
24 juin 2020
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