. . . . OVIPAL - OBSERVATOIRE DE LA VIE POLITIQUE EN ALSACE . . . .

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Entre tentation de la radicalité et rejet du politique, des législatives sous de très mauvais auspices

Aucune élection ne ressemble à une autre, mais les élections législatives de 2022 s'annoncent dans un climat très particulier, que l'on ne peut appréhender que de façon pessimiste. Quel que soit le résultat, quel que soit la majorité qui sortira des urnes, on peut d'ores et déjà prévoir que la plupart des députés qui seront élus en juin 2022 porteront la marque soit de la radicalité, soit du déclassement du politique, soit des deux en même temps.

 

Une inversion de valeur

 

La tentation de la radicalité s'est imposée dans le débat politique depuis plusieurs années déjà. Ceux qui la portent reflètent une tendance de fond de l'opinion publique, de plus en plus portée vers les solutions non négociées, les postures de rupture, le recours à la violence plutôt qu'au dialogue. La radicalité, comme « mode de résolution des problèmes » avait pourtant été longtemps une contre valeur, un topos négatif.

 

Cela avait été le fruit d'une longue évolution, commencée à la Renaissance en Occident, sur fond d'un mouvement profond de pacification des mœurs. L'idée que les bonnes solutions devaient être le fruit d'un échange pacifique et civil entre les parties concernées s'était imposée face à la radicalité qui mettait en œuvre tout un cortège d'émotions, de pulsions, de volonté de trancher dans le vif à la racine (d'où le terme de « radicalité » d'ailleurs), de démagogie et de manipulation.

 

Pour toute une série de raisons, on a pu assister, disons à partir de la fin des années soixante, à une inversion progressive, qui a fait passer la radicalité de topos négatif au statut de valeur légitime.

 

Le philosophe Nieztche, dont on sait la responsabilité essentielle qu'il a eue dans la dérive de l'Allemagne au XXème siècle, est l'un des premiers à avoir soutenu cette inversion de valeur. Pour lui, la radicalité, qui permet l' « exercice de la volonté », comporte une composante forte qui est la valorisation de l'émotion, voie de la pulsion. Les années soixante marquent bien le retour de l'émotion dans la scène sociale (notamment avec la publicité) et politique (avec le retour des extrêmes), à rebours de la raison, notamment la raison argumentative.

 

Bien sûr, l'idéal communiste en politique, avec son romantisme de la révolution, avait largement contribué à la promotion de la radicalité, qui a nourri toute une culture ouvrière. Celle-là même sur laquelle le Front national a fait son lit, en incarnant à son tour, non pas tant un projet politique, qu'une posture radicale dans l'abord de toutes les questions complexes qui se posent à une société moderne.

 

La montée de la violence

 

La tentation de la radicalité consiste à privilégier une méthode de rupture totale, sur un projet politique qu'il faudrait, qu'il faut toujours négocier. L'opinion publique française, tous les sondages politiques nous le disent avec constance depuis 20 ans au moins, veut « un chef » pour gouverner le pays, tout en se lassant des corps intermédiaires, qui négocient sans fin, dans d'étroits réseaux sociaux, des solutions négociées. Dans le même temps, le niveau de violence dans les moeurs quotidiennes n'a cessé d'augmenter, avec une longue phase historique de diminution.

 

Le Rassemblement national a continué à agir sur le terreau de cette nouvelle valeur, payant le prix fort quand il s'en écarte, pour paraître, circonstanciellement, plus tempéré. Caractéristique du RN : ne négocions jamais, même avec la droite radicale d'un Zemmour, au risque de perdre de précieuses voix. C'est au fond son seul programme. La gauche, quant à elle, n'a cessé de glisser vers l'extrême gauche, qui constitue désormais le cœur de son identité, avec une radicalité de plus en plus clairement assumée par Jean-Luc Mélenchon (« la République, c'est moi ! ») et sa fascination des régimes où le « tout est politique » justifie tous les arbitraires.

 

La radicalité s'est emparée de la pensée environnementaliste, qui utilise désormais un discours et des méthodes brutales, au nom d'une « urgence climatique » qui justifie à peu près tout. Le rassemblement des écologistes et de la France Insoumise au sein de la Nupes, n'est pas un regroupement de programmes mais bien la mise en commun d'une même tentation, celle de la radicalité, y compris avec la tentative de récupération du communautarisme islamiste.

 

Féminisme radical, mouvement woke, actions metoo, se caractérisent moins par la justesse d'une cause que par des méthodes d'une grande brutalité vengeresse. Le monde de la culture est gagné par cette nouvelle approche du monde : lors du dernier festival de Cannes, l'un des orateurs a loué l'oeuvre cinématographique d'une réalisatrice en saluant sa « radicalité », comme si celle-ci avait autant sinon plus de poids, par exemple, que sa « créativité ».

 

C'est la radicalité, désormais, qui fait programme.

 

La liquidation des « partis traditionnels » (LR et PS) est aussi celle de formations politiques qui, sans doute jusqu'à l'excès, avaient privilégié le dialogue, l'argumentation, le consensus, l'entente plutôt que l'affrontement et la rupture. Ils incarnaient une forme d'humanisme en politique et réalisaient au fond cette promesse de la politique d'être l'alternative à la guerre civile. C'est leur absence de radicalité qui a été leur perte dans un monde où celle-ci est devenue une valeur.

 

Individualisme, communautarisme, technocratisme

 

A cette tentation de la radicalité s'ajoute, de façon étroitement complémentaire, le rejet de la politique. On distinguera ici deux formes de rejets, l'un passif, l'autre actif. Le rejet passif, c'est celui de la défection, de l'abstention, de la sécession, dont le premier symptôme, qui s'aggrave d'élections en élections, est le recul de la participation aux élections. Le phénomène est complexe. Il fait fond sur deux tendances de notre société, l'individualisme et le communautarisme.

 

L'individualisme est le délitement de tout ce qui fait société, jusqu'à cette pathologie, peu connue, dite des « jeunes en retrait social » qui désigne ceux qui, tout simplement, ne sortent plus de chez eux et privilégient la solitude interactive (1). Le communautarisme, notamment islamiste, forme une contre-société prosélyte, où le politique et le religieux sont dissous au sein d'une même instance totalisante.

 

Les conséquences politiques de ces deux phénomènes sont directes : les jeunes, dans leur ensemble, votent beaucoup moins que leurs aînés, et l'abstention frôle à Strasbourg les 80-90 % dans les quartiers à forte proportion d'électeurs issus de l'immigration.

 

Le rejet de la politique comporte aussi une dimension active. L'essor foudroyant des nouvelles technologies, le développement sans frein de la bureaucratie numérique, l'apologie de la communication, ont porté un idéal technocratique dont le credo est le remplacement de la politique par la technique, le transfert de la décision de l'homme vers la machine, rebaptisée « intelligence artificielle », le déplacement de la pensée vers la procédure. Une nouvelle classe est apparue, celle des technocrates, qui revendiquent une méthode plutôt qu'une politique. Ils ont investi les ministères, les cabinets de conseil, les directions d'entreprises, l'hôpital, les universités. Ils font la promotion d'un nouveau régime, le technocratisme. Dernière étape de la conquête, ils se font maintenant élire.

 

C'est tout le credo porté par Emmanuel Macron, lors de sa « révolution » de 2017, qui privilégie le fait d'être « en marche » plutôt que la recherche d'un but. La technocratie tente de purger la politique de tout ce qui fait sens en elle. Même si cette approche a perdu l'attrait électoral de la nouveauté, c'est toujours ce type de rejet de la politique, assorti de la destruction des « partis traditionnels », qui est à l'ordre du jour dans cette perpétuelle « Renaissance » qui sert de programme au Président de la République. Lors de son discours au soir de sa réélection, ce dernier a résumé ce programme en parlant de « l’invention collective d’une méthode refondée ».

 

A part quelques anciens élus de gauche ou de droite recyclés comme collaborateurs dans cette conquête technocratique, et quelques opportunistes qui profitent comme toujours des interstices, les députés macronistes qui seront élus ne le seront pas sur un programme, mais sur une méthode. Ils rejoindront sur les bancs de l'Assemblée nationale les partisans assumés d'une radicalité d'extrême droite et d'extrême gauche. Soyons sûr qu'ils poseront la question de la suppression du Sénat, dernier refuge de la politique. La violence prévisible des débats en séance y sera le premier symptôme de cette déliquescence.

 

Autant dire que cette future assemblée, quelle que soit la répartition des sièges, sera la moins politique que la France aura connue depuis longtemps.

 

 

Philippe Breton

ovipal

6 juin 2022

 

 

(1) Cette problématique se développe à bas bruit dans de nombreux pays, dont la France. Elle a bien été identifiée au Japon où les personnes concernées, principalement des jeunes hommes, sont nommées « Hikikomori », état de personnes qui restent cloîtrées, retranchées chez elles pendant plus de 6 mois [...] et qui évitent toute participation sociale, selon la définition du Ministère Japonais de la Santé.

 



06/06/2022
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