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Européenne 2014 : une participation faible mais qui ne baisse plus

Depuis les années 1980, l’abstention électorale a tendance à augmenter. Alors que la France se caractérisait traditionnellement par une forte participation électorale, elle semble désormais engagée dans un processus d’américanisation électorale avec des taux d’abstention de plus en plus élevés.

 

            En fait la participation électorale ainsi que son évolution dépendent fortement du type de scrutin. A cet égard existe une différence importante entre le scrutin présidentiel d’une part et l’ensemble des autres scrutins d’autre part. En raison du rôle central du président de la République dans l’organisation des pouvoirs  publics, le scrutin présidentiel constitue le scrutin principal. Il conserve un taux de participation élevé. Par rapport au scrutin présidentiel, l’ensemble des autres scrutins apparaissent comme des scrutins de second ordre. Ils se caractérisent par une participation plus faible qu’à la présidentielle et qui par ailleurs est en nette diminution.

 

11. L’élection présidentielle

 

            Du fait du rôle central de président de la République, l’élection présidentielle constitue une élection à forte intensité électorale. La campagne électorale est longue et l’attention portée par les médias aux prises de position des différents candidats est élevée. Cette forte intensité électorale exerce un effet mobilisateur et a pour conséquence d’inciter des personnes faiblement politisées à aller voter alors qu’elles ont tendance à s’abstenir à d’autres élections. Les élections présidentielles se caractérisent par une participation élevée et qui n’a que faiblement diminué depuis les années 1970.

 

                                               Participation aux présidentielles

                                               (En pourcentage des inscrits)

 

 

P 65

P 69

P 74

P 81

P 88

1° tour

85

78

84

81

81

2° tour

84

69

87

86

84

 

 

P 95

P 2002

P 2007

P 2012

1° tour

78

72

84

79

2° tour

80

80

84

80

 

           

Par rapport aux présidentielles, l’ensemble des autres scrutins apparaissent comme des scrutins de second ordre. Cependant, alors que les législatives sont des élections de confirmation de la présidentielle, les scrutins régionaux et européens ont le statut de scrutin intermédiaire et donnent parfois lieu à un vote sanction. Il en va de même dans une certaine mesure des municipales.

           

12. Les législatives

 

Avant l’élection du président de la République au suffrage universel, c’étaient les législatives qui constituaient l’élection centrale. Elles se caractérisaient par une participation électorale élevée. De 1876 à 1978, le taux de participation à la plupart des législatives variait de 75% à 85%.[1] Le premier décrochage important en termes de participation se produisit aux législatives de juin 1981, organisées dans la foulée de la présidentielle de 1981. Et depuis 2002, avec la réduction de la durée du mandat présidentiel à 5 ans et le fait que les législatives sont organisées de façon systématique le mois suivant la présidentielle, elles ont perdu de façon définitive leur statut d’élection de premier ordre au profit de la présidentielle.  Elles se caractérisent par des taux de participation de plus en plus faibles.

 

                                               Participation aux législatives

                                               (En pourcentage des inscrits)

 

 

L 78

L 81

L 86

L 88

L 93

1° tour

83

71

78

66

69

2° tour

85

75

 

70

68

 

 

L 97

L 2002

L 2007

L 2012

1° tour

68

64

60

57

2° tour

71

60

60

55

 

            Les élections législatives souffrent du fait qu’elles sont devenues des élections de confirmation de la présidentielle.

 

13. Les municipales

 

            Les municipales connaissent une diminution permanente de la participation électorale depuis le début des années 1980.

 

Participation aux municipales

(En pourcentage des inscrits)

 

 

M 77

M 83

M 89

M 95

1° tour

79

78

73

69

 

 

M 2001

M 2008

M 2014

1° tour

67

66

63

 

            Cependant elles résistent mieux que la plupart des autres scrutins. Avec une participation supérieure à 60%, les municipales sont désormais les élections pour lesquelles la participation est la plus élevée, après les présidentielles. Cette situation s’explique par le fait qu’après le président de la République le maire constitue la figure politique élue la mieux identifiée.

 

14. Les régionales

 

            Les régionales constituent des élections relativement récentes. En 1986, elles bénéficièrent du fait qu’elles furent couplées avec les législatives.[2] En 1992, 1998 et 2004, elles furent couplées avec les cantonales.[3] Les régionales de 2010 furent la première consultation où la participation ne fut pas influencée par d’autres scrutins. Et elle fut faible : elle fut de 46% au premier tour et de 51% au second tour.

 

 

Participation régionales

(En pourcentage des inscrits)

 

 

R 86

R 92

R 98

R 2004

R 2010

1° tour

78

68

58

61

46

2° tour

 

 

 

66

51

 

15. Les européennes

 

            Cependant, parmi l’ensemble des consultations, c’est pour les européennes que la participation est la plus faible. Ce fut le cas dès le scrutin européen de 1979. Et de 1979 à 2004 elle n’a cessé de diminuer et est passée de 61% à 42% des inscrits. Depuis cette date, elle semble s’être stabilisée à un niveau légèrement supérieur à 40%. La participation aux européennes souffre du fait que l’Union européenne n’est pas considérée comme un cadre d’action politique.

 

Participation aux européennes

(En pourcentage des inscrits)

 

E 79

E 84

E 89

E 94

E 99

E 2004

E 2009

E 2014

61

57

49

53

47

43

41

42

 

Comparativement à la participation aux européennes de 2004 et de 2009 (respectivement 43% et 41%) la participation aux européennes de 2014 (42%) correspond à un niveau honorable dans la mesure où les européennes de 2014 souffraient d’un handicap supplémentaire par rapport aux scrutins européens précédents (à l’exception des européennes de 1989). Elles intervenaient deux mois après les municipales. Or lorsque des scrutins sont organisés de façon rapprochée dans le temps, cela constitue un facteur supplémentaire d’abstention pour le second scrutin.[4]     Il est possible à cet égard  que ce surcroit de participation résulte d’une mobilisation des électeurs du Front national à ce scrutin plus forte que lors des européennes précédentes, mobilisation qui s’est traduite par un score très élevé de ce parti (cf. l’article : le vote Front national aux européennes de 2014, prélude à de nouvelles progressions)

 

16. Le vote dans les cités

 

            Par ailleurs, ce phénomène de différenciation des taux de participation en fonction du type de scrutin est particulièrement accentué dans les bureaux de vote où la participation est dans l’ensemble faible. Dans les 3 bureaux de vote strasbourgeois situés respectivement à Hautepierre (618 : Gymnase Ecole élémentaire Eléonore) à l’Elsau (908 : Ecole élémentaire Gutenberg) et au Neuhof (1005 : Gymnase Ecole élémentaire Guynemer), lesquels comptent parmi les bureaux de vote alsaciens où la participation est la plus faible, la différence de participation entre les présidentielles et les autres scrutins est considérable.

 

bureau de vote

P 2007

L 2007

E 2009

R 2010

P 2012

L 2012

M 2014

618

79

35

19

20

68

35

30

908

77

39

19

19

68

34

33

1005

69

35

16

19

62

33

31

 

            Aux présidentielles, la majorité des inscrits vont voter (P 2007 et P 2012). Aux législatives et aux municipales (L 2007 et 2012 et M 2014) environ un tiers des inscrits vont voter. Aux régionales et aux européenne (R 2010 et E 2009), la participation n’atteint pas 20% des inscrits (ce qui correspond à une abstention supérieure à 80% des inscrits)

 

Conclusion :

 

            D’une façon générale 3 types d’explications sont invoquées pour rendre compte de la baisse de la participation électorale depuis les années 1980.  Le premier type d’explication est d’ordre politique et fait référence à un rejet des dirigeants politiques qui se développerait en France depuis les années 1980. Ce rejet des dirigeants politiques permettrait d’expliquer à la fois la          montée du vote Front national, l’abstentionnisme croissant ainsi que le fait que la plupart des élections se traduisent par la défaite des partis politiques qui sont au gouvernement.

La seconde explication est d’ordre sociologique. La participation électorale élevée résultait de la dimension sociale de l’acte électoral et du contrôle social qui lui était associé. La diminution de la participation électorale serait la conséquence d’une moindre emprise des instances de socialisation sur les individus (famille, travail…) ainsi que de formes de socialisation en rupture avec la forme traditionnelle (par exemple dans les cités). L’acte électoral ne serait plus un acte régulier, effectué sous l’emprise d’une norme sociale, mais un acte effectué par intermittence.

Le troisième type d’explications fait référence à la fréquence accrue des élections. En l’espace de quelques décennies, la France, pays où il y avait trois types de scrutins (législatifs, cantonaux et municipaux) est devenu est un pays à 6 types de scrutins (ont été ajoutées les présidentielles, les européennes et les régionales). Cette fréquence accrue des élections a entrainé une modification du rapport des Français au vote. La France serait en train d’évoluer vers une situation à l’américaine ou à la suisse , où les citoyens sont souvent sollicités mais où la participation est faible

 

 

                                                                                             Bernard Schwengler

 

                                                                                             OVIPAL



[1] Célin Braconnier et Jean-Yves Dormagen, « la démocratie de l’abstention », Gallimard, 2007.

[2] Les législatives de 1986 ne constituèrent pas une élection de confirmation et la participation électorale fut élevée.

[3] A ces élections, la participation électorale aux régionales fut plus élevée dans les cantons qui étaient concernés par les élections cantonales que dans ceux qui ne l’étaient pas.

[4] Ce phénomène ne se produit pas seulement pour les législatives de  confirmation de la présidentielle précédente (L81, L88, L 2002, L2007 et L2012) mais pour l’ensemble des scrutins qui se suivent dans le temps de façon proche : législatives de novembre 1962 après le référendum de septembre 1962 sur l’élection du président au suffrage universel, présidentielle de juin 1969 après le référendum d’avril 1969 sur la régionalisation, européennes de juin 1989 après les municipales de mars 1989.



27/05/2014
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