Un député européen « parisien » pour représenter Strasbourg au Parlement Européen : quelles premières leçons à tirer ?
Après la rétrogradation à la seconde place sur la liste Grand-Est du Parti Socialiste Catherine Trautmann ne siègera plus au Parlement Européen et, par voie de conséquence, n’y jouera plus le rôle de porte-parole de Strasbourg et de sa Communauté Urbaine de Strasbourg (CUS). Son éviction est très regrettable car l’ex-Ministre de la Culture et toujours Conseillère Municipale de Strasbourg avait œuvré très positivement lors de cette dernière mandature européenne en faveur de la démocratisation de l’Europe sans oublier de défendre Strasbourg bec et ongles. En témoignent tous les sites indépendants (souvent victimes de poursuites judiciaires de la part des députés les moins assidus) qui évaluent la présence et l’activité des députés européens.
A ce titre, une visite sur le site www.mepranking.eu/ pourra vous en convaincre. On y apprend qu’en terme d’activité au Parlement européen, Catherine Trautmann y a développé un travail (interventions, notes, questions, motions, discours, etc) quatre fois supérieur comparé à celui de Marine Le Pen par exemple. Souhaitons que l’exécutif français puisse reconnaître prochainement à sa juste valeur l’expérience européenne de Catherine Trautmann et que les talents de cette dernière puissent être mis au service de la Commission Européenne ou de toute autre institution européenne. Dans un contexte où les Français sont gagnés par l'euroscepticisme cela ferait figure de choix judicieux … car il reste beaucoup à entreprendre politiquement afin de faire "aimer l'Europe" et de continuer à la construire sur des bases plus sociales et plus démocratiques.
Tel pourrait être « le fabuleux destin européen » pour Catherine Trautmann que beaucoup semblent attendre !
Mais notre propos ne vise pas dans cet article à souligner cette « injustice » ; il consiste avant tout à mettre en évidence un paradoxe : depuis le 25 mai 2014 le seul député qui peut représenter Strasbourg et la CUS au sein du Parlement Européen est Monsieur Jean-Luc Schaffhauser.
Présentons brièvement le nouvel élu. Jean-Luc Schaffhauser a rejoint en 2013 le Rassemblement Bleu Marine ; il se définit toujours « comme un centriste alsacien, chrétien, social et conservateur »; un personnage-typique qui incarne la stratégie d’adaptation politique du FN-RBM afin de rallier et de récupérer en les recyclant tous les mécontents du « système » politique français. Jean-Luc Schaffhauser est désigné par le Front national pour mener une liste pour les élections municipales 2014 de Strasbourg non sans quelques remous d’ailleurs : la secrétaire départementale frontiste dans le Bas-Rhin -Pascale Ellès- démissionne du FN qu’elle avait rejoint en 2002. "C’est la goutte qui a fait déborder le vase", dit-elle à l’agence Reuters. Si elle dit n’avoir pas de reproches à faire à Marine Le Pen, Pascale Ellès avait contesté dès le départ le choix de Jean-Luc Schaffhauser, « un ancien centriste membre de l’Opus Dei » comme tête de liste aux élections municipales à Strasbourg. Cela n’empêche pas Jean-Luc Schaffhauser d’être élu en mars 2014 comme conseiller municipal d’opposition et conseiller communautaire, la liste RBM-FN réunissant près de 11% des suffrages au premier tour et 8% au second tour.
Mais pourquoi cela constitue-t-il un paradoxe ? Parce que bien qu’élu à Strasbourg, Jean-Luc Schaffhauser est candidat sur la liste « Front National – Rassemblement Bleu Marine » en Île-de-France (en 3ème position) pour les élections européennes 2014.
Certes rien ne s'oppose dans la loi électorale à une candidature aux européennes à Paris pour un élu d'une toute autre région. Tout citoyen d'un pays de l'Union européenne peut d'ailleurs être candidat en France aux européennes. Ou inversement.
Cependant cela nous renseigne sur certains des éléments idéologiques qui organisent le programme du FN. L’optique nationale et centralisatrice prévaut. La stratégie d’adaptation du FN-RBM dans les différentes régions, si elle sait très bien ‘‘coller’’ aux profils socio-économiques des populations qui les composent, semble n’accorder aucune importance à la dimension identitaire régionale.
Cela souligne radicalement la volonté de centralisation politique qui anime l’idéologie « nationale » d’un mouvement politique qui fait de l’Etat (en tout cas dans ses discours) le levier de ses propositions politiques. A aucun moment, le FN-RBM n’a cherché à considérer et à composer avec les identités régionales telles sont « pensées » et « pratiquées » dans telle ou telle région.
L’Alsace (et son/ses identité/s) ne compte pas en tant que région quels que soient ses patrimoines, sa langue. Jean-Luc Schaffhauser peut en conséquence sans souci se faire élire sur une liste ‘‘parisienne’’.
Que faut-il en conclure ? Que pour les dirigeants du FN-RBM l'identité nationale et la centralisation politique françaises doivent s’imposer et supplanter à terme les identités régionales ? Pourquoi pas ne pas oser cette réflexion qui semble prendre du sens.
Il est utile pour se faire un avis de se rappeler la position ‘‘jacobine’’du RBM-FN lors du vote relatif à la proposition de loi socialiste visant à ratifier la « Charte du Conseil de l’Europe sur les langues régionales ou minoritaires » du 28 janvier 2014. Marion Maréchal – Le Pen, députée du FN élue dans le Vaucluse, et Gilbert Collard, député du RBM estimaient que voter en faveur des langues régionales ou minoritaires constituerait une dangereuse brèche dans la République française :
« Nous avons voté contre la proposition de loi socialiste visant à ratifier la Charte du Conseil de l’Europe sur les langues régionales ou minoritaires, dont le vote en première lecture a eu lieu hier après-midi ».
A méditer peut-être pour tous ceux qui proclament leur attachement à leur langue et à leur identité « régionale » … La stratégie d’adaptation du RBM-FN ne pourrait-elle pas rencontrer sur le terrain des identités –régionales- et des attachements locaux quelques résistances à terme, face à une identité nationale (ou parisienne) par trop englobante et engloutissante… Monsieur Jean-Luc Schaffhauser n’a-t-il déjà pas opté pour cette attractivité nationale et centrale en ayant quitté les terres d’Alsace pour gagner son siège au Parlement Européen ?
Alors qu’en Allemagne, l’extrême droite n’est (n’était) représentée qu’à l’échelon régional et local : « depuis 1945 aucun parti d’extrême droite n’a siégé au Bundestag. Un large consensus au sein de la société allemande empêche les représentants de l’extrême droite néonazie d’avoir voix au chapitre dans le paysage médiatique national. Lorsque la presse ou les médias audiovisuels décident d’aborder le sujet de l’extrême droite partisane ou sub-culturelle, c’est toujours avec beaucoup de distance, un ton nettement critique et en étant le plus souvent attentif à ne pas servir de tribune à un courant politique propageant une idéologie raciste, ethnocentrée et revancharde » explique Delphine Iost, Doctorante à l’Institut français de géopolitique, de l’université Paris-VIII.
Il semblerait en France, qu’un chemin inverse soit suivi : prévalence électorale du Front National aux niveaux national et européen et amplification médiatique garantie de ses thématiques surtout celle relative à « l’ identité nationale »…
Pascal Politanski
Ovipal
17 juin 2014
Sources.
--http://www.mepranking.eu/mep.php?id=28210
--http://www.mepranking.eu/mep.php?id=1129
-- http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Luc_Schaffhauser
-- Iost Delphine, « L’extrême droite allemande :une stratégie de communication moderne », in Hérodote, n° 144, La Découverte, 1er trimestre 2012, pp 60-74.
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