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Jean Rottner, homme politique « sans en avoir l’air » ou les limites démocratiques d’une stratégie médiatique

 

Jean Rottner, homme politique « sans en avoir l’air » ou les limites démocratiques d’une stratégie médiatique

 

Dans le contexte de crise du Covid 19, Jean Rottner, ex-médecin urgentiste, a conforté son image médiatique chemin faisant avec les incertitudes et les angoisses d’une crise sanitaire… communication chemin faisant.

 

Nul doute que cette longue séquence médiatique lui aura servi et qu’elle impacte encore ce 2ème tour des Régionales. Néanmoins la démocratie régionale pourra t’elle vraiment en tirer profit ?

« Surfer » en politique grâce à la communication a du bon. L’homme était peu connu : en 2008, la communication politique fait de lui un participant à la vie politique locale ; Jean-Marie Bockel étant - depuis un an déjà ministre "d'ouverture" sous Sarkozy, fait preuve de reconnaissance pour la droite locale. Il intègre Rottner pour les municipales et il l’assoit dans son fauteuil de maire en 2010. La communication aura permis à Jean Rottner de se faire connaître. Elle viendra plus récemment compenser son déficit notable de notoriété.

 

Le centrage quasi-exclusif des politiciens sur la communication est un phénomène visible en politique depuis le milieu des années 1980. A l’évidence, l’utilisation du contexte sanitaire aura permis à Jean Rottner de se mettre en scène politiquement en passant du statut de second rôle au premier plan de la scène politique.

 

Le panoplie médiatique de Jean Rottner

 

Les modes de communication de Jean Rottner sont multiples. Centrés sur les réseaux sociaux ; ils ont été démultipliés par l’avènement du covid avec lequel la mise en scène commence : fin 2019, avec la crise du service des urgences de l’hôpital de Mulhouse pendant laquelle Jean Rottner enfile une blouse blanche pendant quelques semaines … sans pour autant lâcher ses fonctions politiques ou les mettre entre parenthèses.

 

Il paraît évident que l’ancien urgentiste de profession avait une légitimité particulière pour prendre la parole. Elle est devenue très utile pour cet homme qui proclame que sa carrière politique serait « le pur fruit du hasard » … il joue désormais sur la grande scène politique nationale.

 

La « planète » et les « satellites » de la communication politique

 

Les hommes politiques tournent généralement comme des satellites en orbite autour de la planète médiatique. Désormais les média commencent à se tourner vers l’astre Rottner. L’accélération médiatique s’effectuera le 5 mars, lorsqu’il contacte le président Macron par SMS (texto prolongé par les réseaux sociaux) afin de lui signaler la situation critique de ce qui doit être considéré comme une épidémie dans les hôpitaux régionaux, notamment à Mulhouse ; les média reprennent « Ce que j’entends dans les médias ne reflète pas ce que je vois sur le terrain »… Macron lui répond du tac au tac « Tiens-moi au courant » - ce que Jean Rottner s’empresse de faire savoir aux média … Tout s’emballe alors et le carrousel médiatique commence à tourner très vite.

 

Les plateaux de télé et de radio lui ouvrent grand la porte. Sur un fond de réalité dramatique, la dramatisation l’emporte médiatiquement : « ce rouleau compresseur qui est arrivé subitement : en vingt-quatre heures, une vingtaine de morts, 200 hospitalisations… Nous avons pris un mur en pleine figure. Ça fait quatre semaines que nous sommes en lutte contre cette épidémie ».

 

En France, il y a désormais le virus ET Jean Rottner, devenu le « héros en blouse blanche ». L’alsacien qui préside la Région Grand Est, jusqu’alors inconnu organise la scène médiatique grâce à sa communication sur le coronavirus.

 

Cette séquence sanitaire autour de la crise du Covid 19 lui est fort utile : média locaux, régionaux et nationaux lui tendent à l’envi la perche de la communication. Se revendiquant toujours LR, son nom circule alors en février 2020 lors du remplacement dans un gouvernement LREM, d’Agnès Buzyn l’ex- Ministre de la Santé … puisque le « pacte présidentiel » cherche à débaucher les figures de la droite traditionnelle ; le nom du président de Région « macron-compatible » alimente le vase macronien servant « à attirer à soi » dans la perspective des prochaines présidentielles.

 

Communication et « crédibilité », un nouveau rapport à la politique

 

Jean Rottner est aussi un homme politique qui dispose d’une expertise certaine en sa qualité de politicien aguerri. Il a appris en politique que la crédibilité désigne l’aptitude à se faire écouter par le public ; qu’elle met en évidence la capacité à exercer une influence a minima sur les débats du moment.

En matière de communication, l’exemple de Jean Rottner nous rappelle ce que Philippe Braud écrivait dans Sociologie politique (2008) (1) : en communication politique, le mot-clé est celui de crédibilité. Un homme politique (un élu ou un gouvernant) est digne de foi, lorsque son caractère est perçu comme reposant sur un assemblage de facteurs mêlant des arguments rationnels et émotionnels.

 

La communication avec la crise du coronavirus a atteint ses objectifs. Ainsi dès l’ouverture de la campagne des régionales, Jean Rottner pouvait compter pour acquis le vote de nombreux habitants du Grand Est qui ont suivi sa course médiatique. L’image médiatique de Jean Rottner lui aura permis de valoriser au mieux la politique menée dans la région Grand Est en terme de gestion de crise sanitaire. Un satisfecit venant boucler le cercle de sa stratégie politique pour cette campagne électorale …

Une séquence de communication qui interroge l’action politique…

 

La communication devient autant levier pour l’image que pour l’action. Face à la pénurie des masques, Jean Rottner actionne toujours activement les réseaux sociaux tout en passant commande de 5 millions de masques à la Chine et en cherchant à mobiliser les entreprises textiles de la région.

 

Le bilan régional de la politique sanitaire est cependant comparativement aussi glorieux que celles menées dans d’autres régions. Le conseil régional est venu en soutien à plusieurs catégories d’habitants du Grand Est : par exemple, en maintenant les bourses aux étudiants du secteur sanitaire et social.

 

Tentons de mesurer simplement les effets de cette politique à l’échelle du Grand Est : avec ses 5 millions d’ habitants, chaque habitant aurait dû recevoir un (seul) masque (…) ; par ailleurs le réseau des entreprises textiles pour la fabrication de masques labellisés Grand Est n’existe toujours pas… malgré les aides à la re-localisation économique. Enfin la mise en place de la politique vaccinale (certes une compétence nationale) n’a été jugée comme envisageable que lorsqu’elle atteindrait les entreprises à l’échelle régionale.

 

Ce bilan plutôt maigre questionne fondamentalement le fonctionnement démocratique. Si l’on sait que l’action politique concrète produit souvent des résultats décevants, et qu’elle peut même s’avérer impossible, nous savons que l’impuissance du politique ne peut être surmontée que par l’action symbolique, notamment le discours : recherche d’effets d’annonce, reconstruction des perceptions, restructuration des attentes.

 

« Quand “dire” en politique, c'est “faire croire qu’on fait” » …

 

En conclusion, les jeux de stratégie de communication menés par la représentation politique font de la démocratie sa principale victime. Le « sécessionniste politique » en résulte comme conséquence avec ses formes les plus variées : abstentionnistes polymorphes, radicalités et extrémismes, extension du spectre des violences politiques et de leurs manifestations ...

 

Par un constat simple la communication politique repose aujourd’hui sur une parole “performative” : « Quand dire, c'est faire » écrivait déjà en 1962 le philosophe et théoricien des actes de langage John Langshaw Austin (2). L’exemple de Jean Rottner en matière de communication en constitue l’illustration parfaite. Pour un homme politique la question de la crédibilité demeure un enjeu permanent et conduit vite au centre d’un dilemme complexe, soit tenir un discours mesuré avec des objectifs très limités, soit proposer un vaste projet aux engagements ambitieux, parfois teintés d’utopies.

 

En l’état, nous n’avons ni l’un, ni l’autre mais une simple stratégie de communication politique. Ce sur-investissement en communication exprime le fait que les politiciens d’aujourd’hui ont construit un nouveau rapport à la politique qui repose sur leur prise de conscience, venant illustrer l’adage “gouverner, c’est forcément décevoir”.

 

Mais dans avec ce nouveau rapport à la construction du politique, l’adage devient “gouverner par la communication, c’est forcément décevoir la démocratie et ses citoyens ! ”

 

Pascal POLITANSKI

OVIPAL

25/06/2021

 

BON Frédéric, Les discours de la politique, textes réunis et présentés par Yves Schemeil , Paris, Economica, 1991 et BON Frédéric, « Médias et politique » et « Langage et politique », in GRAWITZ Madeleine, LECA Jean (éd.), Traité de science politique, Paris, Presses universitaires de France,1985)

AUSTIN john langshaw, Quand dire, c'est faire, 1962 (trad. fr. 1970, rééd. Seuil, coll. « Points essais », 1991).

 

 



01/07/2021
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