L'Etat républicain va devoir faire face en Alsace à une amplification des fractures et tensions politiques
Suite à la manifestation du samedi 8 septembre 2018 à Strasbourg qui a rassemblé près de 5000 participants, et à l'évacuation de la "ZAKD" de Kolbsheim, nous avons jugé utile à l'OVIPAL de constituer ce dossier qui vient compléter une couverture médiatique, déjà bien assurée par nos confrères.
Nous le compléterons au fil des événements qui viendront très vite retenir l'attention citoyenne et médiatique ... En effet, la ZAD de Kolsheim peut se transformer -à l'instar des mobilisations de Notre-Dame-des-Landes- en un réel épisode de très forte confrontation entre l'Etat républicain non seulement avec les zadistes, mais aussi avec les élu.e.s et les Alsacien.ne.s.
La Manifestation anti-GCO : 5000 manifestants pour symboliser la mort de la "nature" alsacienne ?
La remise en cause du projet par les experts et la recherche
L'argument pour réaliser ces 24 km d’autoroute à péage repose sur la possibilité de fluidifier la partie urbaine de l’A35 strasbourgeois, en passant dans une zone rurale du Kochersberg avec une emprise foncière d'environ 350 hectares. Cette possibilité de réduire la densité du trafic est très contestée ; voir à ce sujet l'avis très critique du chercheur Urbaniste, Frédéric HERAN, que nous avons interrogé par l'OVIPAL pour lequel "Une nouvelle infrastructure routière n’a jamais réussi à désengorger une agglomération pendant plus de quelques mois" (voir notre interview ci-après ).
Mercredi 11 juillet dernier, la commission d’enquête publique sur le volet SANEF avait rendu un avis défavorable. Ce nouveau avis négatif d'expert était le 7e avis qui ait été émis par des instances indépendantes. Le 27 juin 2018 une autre commission d’enquête publique sur le volet ARCOS avait remis en cause "l’utilité même de l’infrastructure".
Malgré ce tir de barrage impressionnant des experts indépendants, l'autorisation a été donnée le 30 août par le Préfet du Bas-Rhin autorisant le début des travaux du grand contournement ouest. Le concessionnaire, Vinci, est donc autorisé à commencer les travaux de déboisement. Aussi le mouvement anti-GCO Strasbourg a connu hier après-midi sa plus grande manifestation contre le projet de contournement autoroutier car VINCI peut intervenir à tout moment avec son "armée" de bûcherons.
La fronde des élus et le ras le bol des Alsaciens
Par ailleurs, le ras le bol citoyen s'est gravement attisé lors de cette manifestation ; des dizaines de cartes électorales ont été brûlées. Cette contestation prend de multiples formes et génère de nombreuses tensions au sein de la population alsacienne et également chez nombre d' élu.e.s qui se sentent très soudés contre le GCO, et ce, quelles que soient leurs appartenances politiques.
Par exemple, la députée En Marche de la 4ème circonscription, Martine Wonner, très concernée par ce projet (la 4ème Circonscription est à la fois rurale, autour du Kochersberg notamment, et périurbaine puisqu'elle regroupe la périphérie proche de la ville de Strasbourg avec plus de 120 000 habitants) insiste particulièrement depuis le début de son engagement « sur les dangers en termes de santé publique de ce projet ».
Le Président de la République doit ainsi déjà faire face à une opposition au sein même de son propre parti. Opposée au GCO, Martine Wonner est plus que critique "[le GCO] sous couvert d’améliorer la circulation des véhicules dans l’agglomération strasbourgeoise, représente une catastrophe environnementale et sanitaire inédite pour la biodiversité du territoire et ses habitants". Cette divergence au sein de son camp est un premier terrain de conflit en termes d'opposition. Il est complété par bien d'autres champs de tensions au niveau des élus alsaciens : les élu.e.s des 24 communes directement impactées par ce projet se mobilisent notamment sous la houlette du calme et charismatique maire (sans étiquette) de Kolbsheim, Dany Karcher, qui s'emploie à les rassembler. Par ailleurs, la manifestation du 8 septembre dernier réunissait dans ce combat plusieurs formations politiques (Les Verts, Unser land, PCF, France Insoumise, NPA...) mais aussi de nombreux élus sans étiquette, toutes et tous ceints de leur écharpe tricolore.
Une zone de tensions politiques émerge très clairement au sein de l'Eurométropole
L’adjoint au maire écologiste Alain Jund sait qu'il peut compter sur les élus de la majorité de Schiltigheim, la 2ème commune de l'Eurométropole (et inversement). Opposés au GCO, la maire écologiste Danielle Dambach, son adjointe socialiste Nathalie Jampoc-Bertrand et son conseiller délégué communiste Antoine Splet, avaient cosigné une tribune dans les DNA avant la mafestation (voir le lien DNA en bas de page). Nous avons pour notre part recueilli pour l'OVIPAL, l'intégralité de l'intervention prononcée par Mme Danielle DAMBACH, Maire de Schiltigheim devant les manifestants. Aucune ambiguïté dans ses propos : "Quand un projet suscite autant d’opposition, il est plus sage de remettre le métier à l’ouvrage et d’ouvrir la porte à une réelle concertation dans la recherche d’un consensus" (...). Nous demandons un moratoire immédiat pour stopper les travaux (...). Même les décideurs reconnaissent que le GCO ne règlera pas le trafic pendulaire vers Strasbourg.'' (voir le document que nous reproduisons dans son intégralité).
La Maire et Conseillère de l'Eumétropole lance un appel :''Elus, citoyens, collectifs, associations, syndicalistes, monde économique, scientifiques, agriculteurs, mettons-nous autour d’une table; Il n’est jamais trop tard pour examiner sérieusement les solutions alternatives moins coûteuses ''. Nul doute que les débats autour des dossiers transports de l'Eumétropole comme celui relatif à la deuxième ligne de Tram à Schiltigheim seront affectés par cette lutte anti-GCO qui sera à la fois un point d'appui et une référence... mais également une profonde source de tensions puisque le GCO est soutenu par – Robert Herrmann, président de l’Eurométropole et depuis 2014 par le Maire de Strasbourg, Roland Ries ; les deux élus se retrouvent aux côtés de la CCI de Strasbourg et la société Arcos, filiale de Vinci Concessions pour défendre le projet de contournement.
Les associations et les collectifs citoyens dénoncent le « déni de démocratie »
Les propos d'un zadiste rapportés par les DNA exprimaient la détermination pour beaucoup d'habitants de cette partie du Kochersberg qui se sentent très concernés par la destruction de leur environnement : « La ZAD est le dernier rempart contre Vinci, a dit au micro un zadiste juste avant la fin de la manifestation. On est quinze à la ZAD, et ici aujourd’hui, on est 5 000. Venez dimanche, venez lundi matin à 5 h à la ZAD ». Le Maire de Kolbsheim partageait également cette position d'occupation de la zone et verrait bien que les bois de Kolbsheim deviennent une "zone à défendre" . Il va s'en dire que le spectre de Notre-Dame-des-Landes plane sur cette mobilisation avec laquelle l'Etat risque à nouveau d'avoir à jouer la carte de l'intervention policière.
Cela viendrait compliquer d'autant plus sa position non seulement sur ce dossier, mais cela pourrait être aussi affecter sa démarche sur bien d'autres dossiers pour lesquels l'Etat républicain est perçu comme arbitraire et autoritaire comme par exemple avec la mise en place de la Région Grand Est. Cette ombre risquerait d'entacher le projet de fusion des départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin qui semble pourtant faire figure d'avancée certaine sur ce sujet régional. Les Alsaciens ressentiraient une intervention par la force à nouveau comme le déni de la prise en compte de leur parole, de leur terroir et en conséquence, de ce qui porte leur(s) identité(s), la spécificité de ses habitant.e.s.
Samedi dernier, les manifestants anti-GCO se sont à nouveau allongés devant l’opéra, place Broglie pour un ''die-in''. Certains d'entre-eux portaient le baillon du « déni de démocratie », expliquait Maurice Wintz, vice-président d’Alsace Nature. C'est bel et bien la poursuite du dialogue politique et citoyen qui est en jeu à cette étape de cette moblsation contre le GCO. Le 30/08/18, l'association Alsace Nature adressait au préfet de région Grand Est un courrier expliquant que l'association ferait la grève des instances participatives qu' ''Il s’agirait notamment de réviser sérieusement les modalités de participation citoyennes et associatives afin de les rendre crédibles, notamment au regard de la Convention d’Aarhus''. La référence dans ce courrier à une convention (de 1998) insiste sur la nécessité d'améliorer l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel ainsi que l'accès à la justice en matière d'environnement, bref la référence à cet accord international visant la « démocratie environnementale » et la manifestation du 08 septembre dernier soulignent le fait que le dialogue citoyen avec l'Etat républicain vient d'être rompu sur ce plan en Alsace.
Pascal Politanski
Ovipal
9 septembre 2018
Notes
La chronologie et l'histoire du GCO : https://gcononmerci.org/tout-sur-le-gco/historique/collectif (source collectif GCO Non Merci !)
La tribune des élu.e.s schilikois: « GCO : il n’est pas encore trop tard, les alternatives existent ! » : https://www.dna.fr/edition-de-strasbourg/2018/09/06/gco-la-majorite-schilikoise-se-mouille (source Dernières Nouvelles d'Alsace)
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