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La Lune est creuse : fausses informations et sécession sociale

 

Se concentrer, comme on le fait trop aujourd'hui, sur le rôle des réseaux sociaux, dispense de se poser deux questions simples. Y a-t-il une particularité sociologique, ou psychosociologique, de ceux qui diffusent des fausses informations ? Quelle est le statut épistémologique de ces fausses informations ? La principale pertinence, l'intérêt immédiat, des (fausses) informations est d'être en rupture avec le savoir « officiel », de positionner socialement leurs auteurs dans une posture de sécession avec les institutions.

 

 

La diffusion massive de fausses nouvelles (« fake news ») est aujourd'hui un élément important dans la crise globale entraînée par l'épidémie de covid-19.

 

On rappelle souvent que ce phénomène n'est historiquement pas nouveau. De fait, les fausses nouvelles, la désinformation, la manipulation de l'opinion, sont des phénomènes attestés depuis au moins l'Antiquité. Rappelons que la massacre de l'essentiel de la communauté juive à Strasbourg (14 février 1349 – 2000 personnes brûlées vives) se fait dans le cadre de la diffusion d'une fausse information sur la soit disante responsabilité directe des juifs (par le biais du supposé empoisonnement des puits) dans la diffusion de l'épidémie de peste qui approche de la Ville à cette date.

 

Ce rappel sur l'antériorité et la constance du phénomène, permet d'éviter des affirmations trop simplistes sur le rôle et la responsabilité des réseaux sociaux qui, certes, amplifient le phénomène, mais ne constituent pas une rupture qualitative. Se concentrer sur le rôle des réseaux sociaux dispense de se poser deux questions simples. Y a-t-il une particularité sociologique, ou psychosociologique, de ceux qui diffusent ces fausses nouvelles ? Quelle est le statut épistémologique de ces fausses informations ?

 

S'interroger sur ceux qui diffusent les fausses nouvelles, via les réseaux sociaux, mais aussi, surtout, dans leur sphère amicale, familiale ou professionnelle, ou sur la nature de ce qu'ils affirment, ne relève pas ici d'une quelconque volonté de stigmatisation, mais plutôt d'un exercice de compréhension, loin de tout mépris.

 

 

Qui sont les diffuseurs de fausses informations ?

 

Sur le plan méthodologique, nous manquons d'enquêtes de terrain solidement structurées (la sociologie a en ce moment d'autres priorités que la compréhension des phénomènes sociaux) et les quelques reportages médiatiques ne nous renseignent pas beaucoup, faute de profondeur. Je m'appuierai ici sur des travaux anciens, conduit au sein de l'ovipal, Ces travaux portaient sur les électeurs abstentionnistes et sur le phénomène d'oscillation entre l'abstention et le vote extrémiste (Front national ou extrême gauche).

 

De ces travaux j'avais à l'époque conçu la notion de « sécessionnisme », pour désigner la rupture de confiance radicale envers les institutions politiques, religieuses, éducatives, judiciaires et médiatiques. Le résultat le plus intéressant à l'époque, était la corrélation directe entre l'intensité de cette perte de confiance et un facteur apparemment exogène, l'intensité du déplacement physique des personnes concernées. Moins les personnes voyageaient, à la ville, dans la région, dans le pays, à l'étranger, plus elles perdaient confiance dans ce qui disaient les institutions, et plus elles s'abstenaient aux élections ou votaient extrémiste, sans d'ailleurs que cela aient une quelconque signification idéologique (on votait troskiste ou FI un jour, FN un autre).

 

Cette défiance envers les savoirs que produisent les institutions pour expliquer l'actualité et les grands évènements sociaux, est un terreau fertile pour que naissent d'autres savoirs (la culture a horreur, elle aussi, du vide), dont la caractéristique est d'être, eux aussi, en rupture. Le phénomène n'est pas nouveau sur le plan historique, les anciens « savoirs populaires » (un temps magnifiés par les sciences sociales) n'étaient rien d'autre qu'une contre-culture, en négatif des savoirs « officiels », souvent religieux.

 

Un premier survol des réseaux sociaux (à partir d'une veille empirique sur un certain nombre de comptes twitter par exemple) montre une très grande proximité entre les auteurs de comptes proches, sans marquage idéologique fort, de positions extrémistes sur le plan politique (même s'ils récuseraient ce terme « politique ») et les auteurs de fausses informations de toute nature (allant de « la lune est creuse et on nous le cache » à « le vaccin est l'occasion de nous injecter des nanoparticules qui permettront aux Etats de nous tracer partout ».

 

D'où mon hypothèse, ce sont essentiellement les publics sécessionnistes, dont une cartographie sociale pourraient être établie, notamment à partir de leur positionnement électoral, qui sont les principaux relayeurs des fausses informations.

 

Fausse information ou positionnement social ?

 

C'est à ce point que la deuxième question posée plus haut - quel est le statut épistémologique des fausses informations – prend tout son sens. Commençons par pointer un contre sens que nous faisons en général dans l'approche du phénomène. Lorsque nous abordons la discussion sur des énoncés comme « la lune est creuse et on nous le cache » et« le vaccin est l'occasion de nous injecter des nanoparticules qui permettront aux Etats de nous tracer partout », nous cherchons à les rapporter à la question de la preuve, pour en général conclure sèchement qu'il n'y a aucune preuve à l'appui de ces énoncés et que donc ils sont faux. D'où la prolifération dans les médias d'instances de police épistémologique, les traqueurs de « fake news », les décodeurs en tout genre. Cela ne fait pas de mal mais cela passe à côté du problème.

 

Nous supposons en effet que les diffuseurs de fausses nouvelles sont intéressés par la question de la preuve et que l'on peut donc les coincer sur ce terrain. Ceux qui ont une approche rationnelle des faits, croient aux faits dont ils ont la preuve. Dans un sens, ils ont bien des croyances. Ceux qui sont en sécession par rapport aux tenants d'une approche rationnelle, ne croient pas à ce qu'ils disent, au sens strict. La principale pertinence, l'intérêt immédiat, des (fausses) informations qu'ils diffusent est d'être en rupture avec le savoir « officiel », de positionner leurs auteurs socialement en rupture avec les institutions. Ces fausses informations nourrissent en plus un imaginaire, une rêverie qu'interdit en général la science (quel beau thème pour l'esprit que la « lune creuse »).

 

Le statut épistémologique des fausses informations est de n'être pas un savoir, mais l'affirmation d'un positionnement social de rupture, l'affirmation tranchée d'une sécession par rapport à l'ordre établi (1). Succès garanti pour l'oncle qui, au repas de famille, assène qu'il ne se fera pas vacciner et que lui sait pourquoi (voir l'énoncé plus haut sur les nanoparticules). L'oratrice qui, de samedi en samedi, Place de la République à Strasbourg, déclame au micro face aux manifestants attentifs qu' « une secte pédophile gouverne le monde », bénéficie elle aussi d'un beau succès d'estime.

 

L'Oncle en question, si l'on veut bien l'écouter, ne croit pas tant que cela à ce qu'il dit, et peut changer très rapidement de pied sans que cela lui coûte. On se souviendra de la rapidité des rumeurs, dans les milieux sécessionnistes américains, qui ont recadré l'attaque du Capitole comme une manœuvre de l'extrême gauche... La Lune, creuse aujourd'hui, pourra bien redevenir pleine demain, mais par contre hautement radioactive, ou vaisseau extra terrestre camouflé.

 

Inutile donc d'essayer de les convaincre que, mais enfin, la Lune est pleine, ou que la Justice s'emploie bien à traquer les violeurs d'enfants. Peine perdue. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y ait pas une autre stratégie de discussion. L'important est de continuer à parler.

 

 

Philippe Breton

31 janvier 2021

 

(1)

Une approche psycho-linguistique des fausses informations montrerait d'ailleurs rapidement que leur mécanisme de fabrication obéit, derrière une apparente complexité, à des mécanismes simples, qui en facilitent d'ailleurs grandement la diffusion. Les fausses informations sont souvent l'inverse des « vraies » informations. Elle dévoilent ce que l'on nous cache. Elles sont un négatif. La lune creuse est le négatif de la Lune pleine. Le vaccin réprime au lieu de soigner, le vaccin tue au lieu de guérir, les élites bien pensantes, chrétiennes, ou juives, sont en fait « satanistes et pédophiles ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



31/01/2021
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