L’ascension de Philippe Richert ou l’art du revirement
Ces dernières années, Philippe Richert a connu une ascension politique importante. Sa carrière politique avait pourtant commencé mezza voce. Elu conseiller général du canton de la Petite Pierre en 1982, sénateur en 1992, président du conseil général du Bas-Rhin en 1998, sa carrière politique semblait ne pas pouvoir dévier d’une trajectoire rurale et départementale, si l’on excepte sa tentative infructueuse de conquérir la ville de Strasbourg en 1995.
C’est à partir de 2010 qu’elle changea de dimension. Elu président du conseil régional d’Alsace en mars 2010 (ce qui fut considéré comme un exploit car le PS l’avait emporté dans toutes les autres régions métropolitaines de France), nommé dans la foulée – en novembre 2010 - secrétaire d’Etat dans le gouvernement Fillon chargé des collectivités territoriales, il est depuis 2016 président de la région Grand-Est et président de l’association des régions de France. Et ce n’est pas fini puisque Nicolas Sarkozy lui aurait promis un poste important dans son futur gouvernement, en échange de son soutien à la primaire de la droite et du centre.
En fait ce n’est pas tant le rythme de son ascension qui attire l’attention que la trajectoire choisie, pleine de virages et de retournements. Cette façon d’agir fut particulièrement visible entre 2012 et 2015, à l’époque des projets successifs de réformes territoriales. Subissant déconvenues sur déconvenues, il réussit au bout du compte à les surmonter toutes par la technique du revirement.
Après l’échec du projet de conseil unique en 2013, il adhéra à l’idée de fusion Alsace-Lorraine puis se rallia en fin de compte au projet de très grande région, après avoir cependant pris la tête de la mobilisation contre ce projet. Et ceci tout en affirmant qu’il restait fidèle à ses convictions. Au bout du compte ses virages successifs lui permirent de parcourir la distance située entre la présidence d’une petite région située entre les Vosges et le Rhin et celle d’une très grande région de plus de 400 kilomètres de long, grande comme deux fois la Belgique. S’il n’y avait pas eu de sa part tant de convulsions intermédiaires, on serait tenté de dire « bravo l’artiste ».
Il en va de même pour son soutien actuel à Nicolas Sarkozy à la primaire de la droite et du centre, qui ne cadre pas du tout avec le positionnement politique qui était le sien jusqu’à maintenant. Philippe Richert, à l’image de ses prédécesseurs Adrien Zeller et Danièle Hoeffel, fait partie de cette génération d’hommes politiques qui ont conquis leur premier mandat électoral en battant au second tour un candidat gaulliste, qui était en tête au premier tour, grâce à un report de voix de gauche (cf. document annexe au bas de l’article).
Par la suite, avec la généralisation du clivage droite-gauche en Alsace, ils ont représenté la composante centriste de la coalition RPR-UDF, qui, du fait de la prédominance électorale de l’UDF sur le RPR dans l’Alsace des années 1980 et 1990, détenait en permanence la présidence du conseil régional ainsi que des deux conseils généraux. Il y eut ainsi successivement Marcel Rudloff puis Adrien Zeller à la présidence de la région, Daniel Hoeffel puis Philippe Richert à la présidence du Bas-Rhin et Jean-Jacques Weber puis Constant Goerg à la présidence du Haut-Rhin, tous UDF.
Certes en 2002, la plupart des bataillons UDF passèrent avec armes et bagages à l’UMP, en Alsace ainsi que dans le reste de la France. Mais les références au centrisme perdurèrent chez de nombreux élus alsaciens, dont notamment chez Philippe Richert. Au moment de sa nomination dans le gouvernement Fillon en 2010, il s’était cru obligé de déclarer être resté un « centriste invétéré ».
A cet égard, son soutien à Nicolas Sarkozy à la primaire de la droite et du centre constitue un nouveau revirement. En effet, parmi les principaux candidats à la primaire de la droite et du centre, le candidat qui joue le rassemblement, la modération et qui incarne le mieux le centrisme, c’est Juppé, le girondin, et non Sarkozy, qui fait exactement l’inverse, qui s’efforce de cliver et de déporter le débat politique vers la droite.
Philippe Richert devrait pourtant se souvenir des régionales de 2015. Alors qu’il était largement distancé au premier tour des régionales de 2015 par le Front national, son sauvetage organisé par la plupart des partis politiques, dont les socialistes et les écologistes, sur le thème « il faut sauver le soldat Richert », l’avait amené au soir du second tour à prendre de la hauteur et à prononcer les paroles de rassemblement suivantes :
« Cette victoire nous engage et nous oblige »
Que reste-t-il de ces belles paroles prononcées il y a moins d’une année ? Certes, l’art du revirement a eu de brillants théoriciens - « Paris vaut bien une messe » disait Henri IV - « Ce n’est pas la girouette qui tourne mais le vent » renchérissait Edgar Faure. Il a eu également des praticiens virtuoses avec Charles de Gaulle pour l’Algérie française ou François Mitterrand avec le tournant de la rigueur en 1983.
Et la différence entre s’adapter aux circonstances et tourner sa veste n’est pas toujours facile à établir. Elle réside probablement dans la façon de négocier les virages, dans l’art de l’exécution. Elle est pourtant fondamentale.
Le 1° novembre 2016
Bernard Schwengler
OVIPAL
Annexe
Aux élections cantonales de 1982 dans le canton de la Petite Pierre, Philippe Richert était candidat avec l’étiquette Initiatives Alsaciennes, un mouvement régionaliste centriste, crée et présidé par Adrien Zeller. A premier tour il obtint 40 % des voix contre 43% au candidat sortant, gaulliste. Les candidats écologistes, socialistes et communistes eurent respectivement 8%, 7% et 1% des voix. Au second tour il l’emporta dans un duel contre le candidat gaulliste avec 51% des voix.
L’élection d’Adrien Zeller comme député dans la circonscription de Saverne en 1973 eut lieu avec une configuration analogue. Avec 39 % des voix, il fut distancé au premier tour par le candidat sortant gaulliste (45% des voix) et il fut élu au second tour grâce au report des voix des candidats socialiste et communiste, qui n’avaient pas pu se maintenir.
Il en alla de même de Daniel Hoeffel aux cantonales à Strasbourg-Meinau, qui était par ailleurs secrétaire d’Etat dans le gouvernement de Raymond Barre. Distancé par André Bord au premier tour, il fut élu au second tour par l’apport des voix de gauche, les candidats de gauche ayant été éliminés. Sa victoire contre André Bord lui permit dans la foulée de lui succéder à la présidence du conseil général du Bas-Rhin.
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