L’attribution de haine : une arme rhétorique
Dans une intervention récente (« Un équilibre royal », 26 mai 2015 »), Jean-François Nadeau, chroniqueur au quotidien québécois Le Devoir écrit : « Aux États-Unis, le président Trump vient de s’employer, selon son mode opératoire habituel, à dénigrer Pete Buttigieg, l’ancien secrétaire aux Transports. Que reproche le président à cet homme qui, entre autres choses, a constaté le retard des États-Unis en matière de protection des piétons et des cyclistes ? Tout simplement ceci : « Il se rend au travail à vélo. » Un vrai crime, sans doute. Et Trump d’insister : « Il prend un vélo pour aller au travail, vous vous imaginez ? Il est à la tête du plus grand système aérien du monde et il prend un vélo pour aller au travail. » À entendre Trump et ses semblables, si vous vous déplacez à vélo, vous êtes tout simplement un abruti. À croire que la haine du vélo est devenue, pour certains, un marqueur d’identité. »
Trump a-t-il, à cette occasion, tenu un « discours de haine » ? Il s’agit là d’un exemple plutôt anodin d’un phénomène aujourd’hui assez répandu d’attribution de haine : on fait reproche à un acteur social, le plus souvent un opposant, d’être animé par un sentiment de détestation. Cette affectation fait problème.
Une première difficulté tient à la détection de la haine. Comment fait-on pour déterminer qu’un sujet est habité par ce sentiment? La haine est un état psychologique qui peut certes être exprimé par une parole, un geste, une action ou une attitude. Mais il n’est pas possible d’établir en toute certitude qu’une parole un geste, une action ou une attitude est une manifestation de haine.
La difficulté de marquer une corrélation est particulièrement nette pour ce qui est de l’expression discursive de la haine. Les définitions proposées du hate speech sont de trois ordres : l’intention d’un propos d’inciter à la discrimination à l’égard d’un groupe de personnes en fonction d’une caractéristique descriptive (race, religion, orientation sexuelle, etc.), la production effective de cet effet ou un contenu susceptible de le produire. Ces trois traits définitionnels s’avèrent déficients pour identifier un discours haineux à un niveau satisfaisant de généralité. Une relation de causalité entre un discours et un effet discriminatoire n’est pas vérifiable empiriquement. Il n’y a pas moyen, non plus, de s’assurer qu’un locuteur a l’intention de produire cet effet.
Quant au contenu d’un discours, le seul mode expressif permettant d’affirmer de façon certaine qu’il exprime de la haine est lorsque le locuteur l’exprime explicitement (en disant « Je vous hais » ou « Je vous déteste) ou encore lorsqu’il affirme ressentir l’état psychologique de haine (par exemple en disant « Je ressens de la haine à votre endroit »). En dehors de ces deux cas dont l’usage est très limité, il n’est pas possible de certifier qu’un propos est haineux. Bien sûr, des propos racistes, antisémites, islamophobes, homophobes, etc. peuvent être tenus accompagnés de l’expression d’un sentiment de haine. Mais ils peuvent aussi tout à fait être exprimés sans état d’âme haineux.
La plupart du temps, l’attribution de haine repose que sur des propos dont on ne peut pas établir en toute certitude s’ils véhiculent ou non une telle expression. C’est de façon incertaine qu’on impute un sentiment de haine. Il est fort probable que cette assignation soit le plus souvent abusive; que, comme dans le cas de Nadeau qui prête à Trump une haine du vélo, ce soit sans un fondement solide qu’on fasse une attribution de haine. Il est hasardeux parce qu’arbitraire de prétendre que Trump tient un discours de haine.
On peut penser que le procédé est utilisé stratégiquement pour diaboliser un adversaire. À tout le mois, c’est le résultat de son emploi. Dans une représentation manichéenne, l’opposant est présenté comme motivé par la malveillance. On peut aussi penser que l’attribution immotivé de haine alimente une indignation et une colère propices à la polarisation.
Gilles Gauthier
ovipal
1er juin 2025
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