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Le « nouveau mode de gouvernance » de la CUS : manœuvre politicienne ou avancée démocratique ?

 

 

L’élection de Robert Herrmann à la présidence de la CUS et l’inauguration de ce qui nous est présenté comme un « nouveau mode de gouvernance », appelle une analyse qui dépasse les simples enjeux locaux et la seule critique de la « manœuvre politicienne ». L’Alsace aurait-elle un temps d’avance sur les grandes évolutions nationales qui sont en cours et qui pourraient bien transformer en profondeur le paysage politique français ?

 

 

Rappelons les faits. L’incontestable effet de la vague bleue et de la marée basse de la participation, a bouleversé la donne de l’élection municipale à Strasbourg et dans l’ensemble des communes qui forment la communauté urbaine, future métropole. La coalition socialiste-verts n’y disposait au conseil communautaire, au lendemain du deuxième tour, que d’une majorité politique très fragile, en plus d’une légitimité politique affaiblie par la très forte abstention (voir notre Synthèse des résultats).

 

Au final, c’est bien un socialiste, Robert Herrmann, qui est élu président de la CUS, entouré pour l’essentiel, de vice-présidents à la fois socialistes et issus de la droite, notamment de l’UMP. Cette cohabitation inaugurerait une « nouvelle gouvernance ». Comment peut-on interpréter cette configuration politique pour le moins inédite ? Trois niveaux d’analyse, complémentaires, s’imposent.

 

 

Une habile manœuvre

 

Dans un premier temps, on verra là le succès inespéré d’une manœuvre politique, dont le maître d’œuvre est incontestablement le nouveau président de la CUS, Robert Herrmann. Menacé il y a à peine quelques mois, de redevenir un simple conseiller municipal sans véritable pouvoir, celui-ci se voit maintenant propulsé à une position qui peut rapidement, à terme, le placer en position dominante, y compris par rapport au maire de Strasbourg.

 

Dans ce subtil jeu d’échec politicien, il a utilisé ce que l’on pourrait appeler le « coup Petitdemandge », en hommage à l’ancien adjoint de la mairie de Strasbourg, qui, évincé par le Maire d’alors, Catherine Trautmann, a constitué une liste dissidente, dont les quelques points ont suffit à assouvir sa soif de vengeance en faisant changer la mairie de bord politique. La menace d’une semblable dissidence, brandie cet hiver par Robert Hermann, a suffit pour affoler la place de l’étoile.

 

S’en est suivi un jeu de chaises musicales (le même Herrmann à la présidence de la CUS, et son ancien titulaire, Jacques Bigot, au Sénat, sur promesse de Roland Ries, qui lui laisserait sa place dans l’auguste assemblée). C’était sans compter sur les électeurs, y compris socialistes. Dans les 9000 voix qu’a perdues Roland Ries depuis les précédentes municipales, on sait qu’il faut compter un certain nombre d’abstentionnistes, y compris de militants du PS, qui ont été écoeurés par cette trop lourde cuisine politicienne.

 

Habile tacticien, Robert Herrmann a anticipé la menace de l’échec possible de son élection à la présidence de la CUS en négociant quelques vice-présidences avec la droite communautaire, en échange de son soutien. Le résultat du vote montre, quand même, que certains élus ont pesamment traîné les pieds le jour de l’élection. Une partie des verts, de l’UMP et de gauche du PS ont protesté silencieusement. Les commentaires des strasbourgeois sur les réseaux sociaux ont été ce jour-là très majoritairement acides. Le pari, toutefois, a été gagné et voilà Herrmann flanqué sur la photo de famille par deux seconds, Roland Ries (PS) d’un côté et Yves Bur (ex-UMP) de l’autre, la droite héritant en tout de sept vice-présidences sur vingt et les verts, du coup plus très utiles, réduits à la portion congrue.

 

Une base électorale élargie

 

Au delà de l’analyse qui met en avant la dimension politicienne de l’affaire, reste un deuxième niveau où on se demandera malgré tout s’il ne s’agit pas d’une victoire de la démocratie, victoire modeste certes, mais appréciable par les temps qui courent. Les élections municipales ont dévoilé deux problèmes, l’atonie du PS, parti que certains observateurs politiques décrivent comme « en voie de décomposition », au niveau national comme au niveau local, et le déficit majeur de participation (le maire de Strasbourg, rappelons-le, est à la fois élu de justesse, avec à peine 25 % des inscrits – voir l’article Retour sur le fameux "hasard statistique").

 

L’alliance politique inédite qui a permis à Robert Herrmann d’être élu, a l’immense avantage de lui donner une légitimité, à la fois politique et électorale, accrue. Même si l’électorat de droite n’a pas réellement voté pour que ses élus… votent à gauche aux élections communautaires, il n’en reste pas moins que le nouveau président, grâce à son équipe « plurielle », bénéficie d’une base électorale très élargie. Bien sûr, comme l’a déclaré immédiatement l’intéressé dans son discours d’investiture, « ce pari n'interdit pas que chacun garde sa sensibilité », mais il n’en reste pas loin que les destins de la droite et de la gauche sont ici liés par la manoeuvre politicienne qui les a réunis.

 

C’est à ce point précis qu’il faut tout de suite enclencher le troisième niveau d’analyse et quitter le terrain local. Strasbourg et sa future métropole n’inaugurent-ils pas une évolution à laquelle la France est, si l’on peut dire, condamnée ? N’y a-t-il pas là matière à réflexion pour l’avenir ? Ne sommes-nous pas en position de capitaliser une expérience utile au pays ?

 

Chacun s’accorde à sentir que la situation actuelle ne peut plus durer très longtemps, et que le blocage des forces qui composent le pays, va bientôt libérer l’énergie d’un tremblement de terre. L’abstention, de ce point de vue, est la mesure exacte de cette sismologie politique. C’est peu de dire que les compteurs sont au rouge. Osons dans ce contexte un peu de politique-fiction. Deux options majeures (on exclura celle, pourtant toujours possible, de l’entropie économique incontrôlable, de l’émeute sociale et du désordre généralisé) se présentent à nous à moyen terme.

 

Première option, sur fond de crise économique et sociale généralisée, le Front national et une partie de la droite (la « droite nationale », qui pèse quand même plusieurs dizaines de député) font alliance sur un programme qui a un semblant de cohérence, et prennent le pouvoir à l’occasion d’un scrutin législatif majoritaire. Le PS vole en éclat, l’extrême gauche vocifère mais reste impuissante, les verts retournent dans l’ombre. Ce n’est pas le cas le moins probable, tant le désir est grand dans l’électorat de faire l’expérience de la virginité politique et de l’exploration des chimères.

 

Deuxième option, les forces réformatrices et libérales du PS et de l’UMP trouvent un terrain d’entente, suite par exemple à une crise sociale ponctuellement violente dans la rue ou dans les banlieues, et forment un hybride politique, sous forme d’une fédération par exemple, que les centristes n’ont d’autres choix que de rejoindre. Le Front national reste fort mais il est contenu dans les marges par cet « UMPS » qu’il craint, à raison, plus que tout. L’extrême gauche se renforce de la partie gauchiste du PS, qui n’accepte pas la nouvelle donne, mais elle n’a toujours rien à proposer de concret. Les verts, trop identifiés au sectarisme, à l’utopie et surtout à l’impôt, disparaissent de la carte. La nouvelle coalition n’en a de toute façon pas besoin, car sa base électorale est suffisamment élargie pour conduire les réformes radicales dont le pays a besoin.

 

Cette option, remarquons-le, est celle qui décrite comme souhaitable dans la remarquable analyse que fait l’ancien ministre Hubert Védrine (http://www.hubertvedrine.net/accueil/).

 

A sa manière, c’est bien cette option-là qui se profile derrière la « nouvelle gouvernance » dont Robert Herrmann fait la promotion à Strasbourg. C’est tout le ressort et la puissance spécifique de la démocratie, qui transmute comme par magie la manœuvre politicienne en mouvement de fond évitant constamment à un pays au bord de l’abîme d’y sombrer totalement.

 

Philippe Breton



22/04/2014
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