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Le saccage des espaces naturels en zone urbaine : ou l’émergence d’un « dogmatisme » écologiste à l’échelle de l’Eurométropole strasbourgeoise ?

L’écologisme municipal de l’Eurométropole est-il vraiment un « accélérateur » de transition écologique ? Un an après leur succès dans plusieurs grandes villes, les édiles écologistes commencent à mettre en place leurs premières mesures. Certes il s’agit dans les discours accompagnant ces mesures de conjuguer justice climatique et sociale, mais comment est-il possible d’expliquer que détruire des espaces naturels - surtout quand ils se situent en zone urbaine - puisse correspondre avec une politique écologiste digne de ce nom?

 

 

 

 

[Photo de Roland Burckel /source : archi-wiki.org]

Le Parc historique « Saint Charles », un poumon dans la ville de Schiltigheim

où la municipalité prévoit de détruire bientôt 21800 m² d’espace végétalisé.

« Plus vaste jardin privé de la ville, avec quelques arbres remarquables »

(Service de l’Inventaire du Patrimoine de la Région Alsace / https://inventaire-strasbourg.grandest.fr/)

 

 

 

L’urbanisme, les transports et l’énergie sont les thématiques les plus concernées par le changement souhaité par les nouveaux élus municipaux écologistes de 2020 en France. Une bifurcation politique qui se veut synonyme de changement radical d’orientation : toutes les villes à majorité écologiste partagent l’effort en matière de « végétalisation »  de leurs rues et leurs places, afin de lutter contre les îlots de chaleur. Elles défendent l’objectif du « zéro artificialisation », c’est-à-dire la fin de la bétonnisation. L’objectif est d’interdire, d’ici à 2026, toute construction sur des espaces de nature préservés.

 

À Annecy, Besançon, Bordeaux, Lyon, Marseille, mais aussi Tours ou Poitiers, les conseils municipaux ont pris dans ce sens leurs premières décisions. Il semble que la politique de l’Eurométropole soit à contre-courant, notamment à Strasbourg (affaire du « Bois de Buissière ») et plus récemment à Schiltigheim où il est prévu que 21800 m² d’espace végétalisé au sein du Parc historique « Saint Charles » disparaissent en vue d’un aménagement piéton et cycliste.

 

L’affaire du « bois de Bussière » à Strasbourg : un signe manifeste de faiblesse politique face à la densification urbaine

 

En septembre dernier, les riverains du quartier de la Robertsau avaient attaqué en justice la décision de la mairie écologiste d’accorder un permis de construire de raser les 35000 m² d’une parcelle boisée du « bois de Bussière », la construction de deux immeubles (29 logements dont une dizaine en logement social ) et d’une maison individuelle.

 

Les habitants soulignent dans une pétition en ligne signée par plus de 35 000 citoyens que la densification urbaine ne se justifie pas et qu’il n’y a pas eu de concertation. Comble de l’ironie politique, ils ont appris deux semaines plus tard après cette prise de décision que le bois devait être protégé, une modification du Plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi) considérant que cette partie doit faire partie « d’une continuité écologique et d’une trame verte et bleue » à protéger.

 

 

 

A droite de la chaussée, le Bois de Buissière qui doit être coupé pour partie

(Capture d’écran sur Google Street View)

 

 

Le promoteur (Nexity) ayant sollicité un certificat d’urbanisme dès 2020, celui-ci n’a pas à suivre une nouvelle modification du PLUi. La municipalité a donc préféré accorder un permis de construire au promoteur immobilier qui a su jouer du droit de l’urbanisme (et de ses failles) en sa faveur. Plus symptomatique, la municipalité a décidé ne pas préempter alors que cela aurait pu produire aux yeux des habitants de l’Eurométropole un signal positif montrant une détermination en faveur de d’une écologie politique respectueuse des écosystèmes naturels et contre la densification.

 

La situation se joue désormais en partie sur le plan juridique : les riverains ont effectué plusieurs recours gracieux et espèrent qu’un recours contentieux puisse aboutir. Après la décision du « Bois de Buissière », une deuxième affaire de nature similaire voit le jour à Schiltigheim dans un autre contexte au Parc « Saint Charles » : 21800 m² doivent connaître un sort identique, une bétonnisation en vue de créer une voie piétonne et cycliste d’une largeur de 5 mètres entrainant la destruction d’une vaste étendue végétalisée avec l’abattage d’arbres, souvent centenaires.

 

Le projet du ‘‘Parc Saint Charles’’ à Schiltigheim : une aberration écologique et politique

 

Le ‘‘Parc Saint Charles’’ à Schiltigheim semble constituer, après l’affaire « Buissière » de la Robertsau, une deuxième aberration écologique et politique de taille au sein de l’Eurométropole. Du point de vue de la démocratie locale, les citoyens schillickois, riverains du Parc n’ont pas été consultés, tout comme dans le cas précédent du « bois de Buissière ». Les nouveaux élus ont choisi d’agir à la va-vite et sans concertation alors que leurs décisions auront de profondes répercussions sur les modes de vie des habitants dans leur vie quotidienne et sur le long terme. A Schiltigheim, les riverains ont également effectué quelques recours gracieux.

 

Pour ces deux affaires, c’est le principe même du « zéro artificialisation » qui est bafoué venant masquer, notamment pour Schiltigheim, l’absence de véritable aménagement cyclable pour les principaux axes routiers à l’Est et à l’Ouest de la ville ce qui est pourtant le véritable problème pointé par tous les usagers cyclistes. L’autre point commun pour ce deux affaires tient au fait que les municipalités écologistes se plaisent à faire la promotion des promoteurs. Un comble qui traduit, dans une certaine mesure, le darwinisme politique traversant les nouvelles pratiques politiques dites « écologistes ».

 

 

Pour revenir en termes écologiques, à l’affaire du ‘‘Parc Saint Charles’’, il s’agit d’une bétonnisation en créant un aménagement routier sur un espace de naturel préservé ce qui devrait être contraire au principe même de l’écologie… fusse pour un aménagement piéton et cycliste.

 

 

 

 

[Plan de zonage du Parc Saint Charles. Extrait du PLUi ; en ⓹ l’emprise bétonnée

pour la voie de 5 mètres qui détruira le réseau d’arbres et les pelouses côté Sud ]

Un manque de bon sens total, puisque pour

réaliser un passage Est-Ouest, il suffirait simplement de créer un portillon à l’emplacement SCH 12

sans aucune bétonnisation, le cheminement existant étant déjà largement opérationnel.

 

 

Un vrai programme écologique : ré-aménager prioritairement avec de vraies pistes cyclables les axes Est et Ouest les plus saturés

 

Sachant que l’objectif affiché est d'améliorer les liaisons Est-Ouest entre les quartiers de Schiltigheim et d’encourager les déplacements à pied et à vélo, une collectivité qui souhaite créer des cheminement en modes actifs devrait d’abord se concentrer sur les axes principalement concernés par les déplacements motorisés, car ce sont ces axes justement peu appropriés aux modes actifs, notamment pour les enfants, qu’il convient de transformer radicalement et de sécuriser.

 

Telle est d’ailleurs la première priorité (guidée aussi par le bon sens) qu’indiquent les chercheurs en mobilités urbaines dans leurs travaux : tout aménagement pour ce type de projet de mobilités douces passe, en priorité, par le ré-aménagement des axes environnants les plus saturés. Le projet de piste cyclable pour ce « Parc Saint Charles » ne doit pas masquer l’évidence : les cyclistes sont en danger depuis des décennies sur les principaux axes routiers de Schiltigheim - la route du Général de Gaulle et la route de Bischwiller - qui connaissent une circulation motorisée intense sans véritables aménagements cyclables sécurisés et intégrés.

 

« La paille et la poutre » des élus écologistes

 

Si pour les élus écologistes, il aurait fallu suivre à tout prix l’avis négatif émis par la commission d’enquête publique lors de la décision de construction du Grand Contournement Ouest (GCO) de Strasbourg, il n’en va plus de même lorsque des avis négatifs concernent leurs propres projets. L’avis négatif émis par la Commission d’Enquête Publique est réfuté et considéré comme sans importance. Tout comme les avis de l’ensemble des personnes qui se sont manifestées durant la procédure d'enquête publique, la commission d'enquête publique a émis un avis défavorable et demande la suppression totale du projet..

 

Son avis est le suivant : « Considérant que les aménagements à réaliser dans le cadre de I’ER-SCH 149 seront conséquents, qu'un passage au sein du parc de la Fondation de Paul perturbera le quotidien des pensionnaires (personnes fragiles) et des riverains et que l'espace arboré sera impacté, la Commission d'Enquête émet un avis défavorable à ce point de modification. … Elle recommande de mener une réflexion pour permettre la réalisation du cheminement mode actif sécurisé sur la rue Jean-Jaurès située à moins de 30 mètres de distance. »

 

L’émergence d’un « dogmatisme » révélé par une posture écologiste rigidifiée

 

L’avis commission d'enquête publique repose aussi sur du bon sens. Comme dans de nombreux endroits de la ville, le ‘‘Parc Saint Charles’’ connaît actuellement une très forte densification avec la construction de deux nouveaux bâtiments côté Ouest…

 

 

[Photo Pascal Politanski / 2 nouveaux bâtiments sont en cours de construction]

 

 

… alors que la maire écologiste (Mme Danielle Dambach) s’était engagée contre les politiques de densification urbaine à Schiltigheim, déjà lors de sa première élection en avril 2018, puis en mai 2020.

 

 

Comme le note l’avis négatif de la Commission d’Enquête, nous avons pu constater que dans la zone d’aménagement prévue par cet aménagement que ce sont les usagers, (personnes âgées de la Maison de retraite, personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer, enfants souffrant de troubles du langage de l’Institut thérapeutique éducatif et pédagogique (ITEP), jeunes sous protection judiciaire, personnes en situation de précarité …) qui ne pourraient plus profiter en toute quiétude de ce Parc, sans oublier les riverains qui seraient exposés aux nouvelles nuisances induites, telles que les passages d’engins deux-roues motorisés qui n’hésiteront pas à utiliser ce passage (cf. photo).

 

 

 

[Photo Pascal Politanski /

La quiétude menacée pour les usagers de tous âges du Parc]

 

 

 

Une mise scène de grands récits écologiques qui ne tient pas face aux diagnostics faits par les citoyens

Une approche écologique véritable supposerait que les éléments des environnements sociaux, tant de proximité (la famille, la parenté, le voisinage) qu'institutionnels (l'école, l'hôpital, les services sociaux, les commerces aussi, les lieux associatifs, culturels, les accès aux transports en commun) qui sont étroitement articulés aux besoins humains des habitants, soient considérés en fonction des véritables enjeux analysés par les citoyens.

 

Ces environnements jouent un rôle important dans la genèse des problèmes sociaux comme pour l’élaboration de leurs solutions. Les problèmes, dans les deux cas précités, montrent qu’ils ne sont pas envisagés comme étant le produit d'interactions sociales concrètes. Ce que les élus écologistes proposent, reste totalement inadapté, tant dans la recherche de la satisfaction des besoins des riverains, que pour l'accomplissement des tâches quotidiennes des habitants. Dans cette approche, et pour le dire autrement, il faut croire que les élus veulent faire du « chiffre écologiste à tout prix » qui puisse être à afficher en fin de mandat… quitte à bétonner de la nature en zone urbaine pour dérouler du Km en voies cyclables ou piétonnes par exemple.

 

Finalement, comme dans cette approche les habitants sont considérées comme des personnes qui ne se déplacent pas suffisamment à vélo, alors il faut créer des pistes cyclables, parfois en dépit du bon sens. La personne - dans cette perspective - est d’abord considérée comme mal éduquée voire déficiente dans ses usages de circulation ; elle est plutôt définie comme un malade à soigner, alors qu’il faudrait plutôt la penser comme une personne mal adaptée à son environnement et inversement, bien sûr. L'attention d’une véritable politique écologiste supposerait des interventions politiques visant à rétablir des transactions satisfaisantes et appropriées entre la personne et ses environnements sociaux. Or, ce sont les habitants qui comprennent le mieux ce qui se passe dans leurs environnements et ceux-ci ne sont pas entendus.

 

Les récentes décisions prises par le nouvel exécutif « écologiste » de l’Eurométropole, dans les communes de Strasbourg et de Schiltigheim, semblent devoir donner raison à l’expression forgée par le philosophe Domique Lecourt qui écrit que la « nature est [devenue] une fiction  ». Au nom de l’urgence climatique, les premières décisions des élus écologistes de l’Eurométropole relatives à la politique de la zone à faibles émissions (ZFE) est assez symptomatique à ce sujet : à partir du 1er janvier 2028 quatre communes (Strasbourg, Schiltigheim, Ostwald et Holtzheim) des 33 communes qui la composent interdiront à terme les voitures Crit'Air 2 (véhicules immatriculés entre le 1er janvier 2006 et le 31 décembre 2010).

 

La conclusion est simple : les riches auront vite fait de s’acheter de belles voitures ultra-performantes, chères car non polluantes ; les pauvres devront, quant à eux, se mettre rapidement au vélo, même si cela ne correspond pas à leur besoins sociaux et économiques … alors que nous continuons à vivre dans un monde toujours organisé par l’industrie de la voiture à l’échelle mondiale, qu’on le veuille ou pas. « Small is beautifull » à l’échelle locale lorsque les projets sont vraiment adaptés, mais le combat écologique n’est-il à porter à un autre niveau plus macro-économique d’abord ?

 

Pour faire le « bien » sur les terrains climatique, alimentaire, sur celui des mobilités, etc., l’orientation politique de la nouvelle majorité de l’Eurométropole paraît plutôt guidée par un « dogmatisme » résistant à l’épreuve des réalités humaines : à travers les cas du « bois de Buissère » et du « Parc Saint Charles », non seulement ces politiques détruisent la nature en zone, mais surtout vont contribuer à propager par ces projets « irrationnels » et inadaptés, tout un ensemble de considérations culpabilisantes autour de leurs pratiques écologiques, notamment pour les habitants les moins intégrés socialement.

 

 

Une politique risquant de contribuer à exaspérer un peu plus le sentiment démocratique d’une population flouée par les « déficiences » du politique.

 

Pascal Politanski.

ovipal

28 novembre 2021.

 

 

 



30/11/2021
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