Oradour, ou le réveil des vieux démons
La mort de ce grand témoin et grand homme, que fut Robert Hébras, le dernier survivant du massacre d'Oradour, a réveillé, un peu, la question de la présence d'Alsaciens parmi les bourreaux du village martyr.
Les médias réactivent, à cette occasion, une représentation faussée de l'Alsace, "complice des nazis" qui semble plonger dans les profondeurs de l'Histoire. Elle est certes ancienne mais elle ne remonte pas à l'immédiat après-guerre, où les alsaciens apparaissent plutôt comme les victimes, qu'ils ont été, de la barbarie nazie. Je fais ici l'hypothèse que l'incompréhension fondatrice de cette représentation date de 1953 et, plus précisément, du procès de Bordeaux où furent jugés les exécuteurs du massacre d'Oradour, pour partie de jeunes alsaciens, enrôlés de force dans la division SS Das Reich.
Le procès de Bordeaux marque un véritable tournant dans la représentation que les français de l'intérieur se sont fait de l'Alsace et des alsaciens. Le problème, insoluble, est que ceux qui sont jugés au procès d'Oradour sont à la fois victimes car enrôlés de force, et coupables car ayant participé au massacre. Dans l'impossibilité de voir stigmatiser à travers eux l'ensemble des malgré nous, c'est à dire une grande partie de sa jeunesse, l'Alsace, quasi unanime, choisit à l'époque de voir dans les inculpés du procès de Bordeaux des victimes, là où la France de l'intérieur verra en eux des coupables, chacun ayant raison. Le piège s'est refermé sur une Alsace qui n'avaient que deux choix, tous les deux mauvais : abandonner les siens ou les soutenir.
Et tout cela dans un contexte, comme le rappelle l'historienne Sarah Farmer*, où le massacre d'Oradour, sur lequel on avait peu insisté jusqu'à là, est promu au début des années cinquante, comme symbole fort d'une unité de la France globalement victime du nazisme. Grâce, si l'on peut dire, à Oradour , se trouvaient effacées les années de division et de rancoeur qui pourrissaient le climat national depuis 1945.
Du coup le débat national a changé d'axe et les français, tous victimes, se voyaient opposés aux Alsaciens, tous doublement coupables, d'un massacre, d'une part, du soutien massif aux massacreurs d'autre part. Il n'en fallait pas plus pour que l'image de l'Alsace, pourtant si choyée par l'opinion française depuis 1870 et les deux annexions allemandes, se transforme radicalement. C'est de ce moment, 1953, de cette incompréhension fondatrice, à mon sens, que date la représentation d'une Alsace suspecte en permanence d'entretenir de vieilles sympathies nazies.
Le fait que cette histoire date de plus de 70 ans ne change rien à l'affaire. Ceux qui aujourd'hui reproduisent cette représentation négative, et qui la réactivent à chaque événement dramatique, ne connaissent probablement rien à cette histoire. Ils la répètent donc sans comprendre, comme dans ces vieilles vendettas dont on a oublié l'origine, mais qui continuent à dresser les uns contre les autres.
Philippe Breton
ovipal
12 février 2023
* Sarah Farmer, Oradour, 10 juin 1944, Tempus, Editions Perrin, 2007. Un livre qu'il faut vraiment recommander pour ceux qui s'intéressent encore à cette période, car très objectif, loin des passions française, Sarah Farmer étant une chercheuse californienne reconnue.
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