Politique du vélo : politique de l'enfant-roi ?
Strasbourg, comme d'autres villes aux mains des écologistes, se couvre, à un rythme effréné, de pistes cyclables, dans tous les sens. Il faut, pour cela, l'espace public n'étant pas extensible, leur faire de la place. On supprime donc des places de stationnement, en nombre considérable. On restreint les voies automobiles, jusqu'à ne garder, comme dans l'exemple devenu nationalement connu, de la rue Mélanie, où le double sens se fait... sur une seule voie, qu'une portion congrue pour les voitures. Parfois même on enlève des places handicapées pour laissez passer les vélos (rue Sainte Catherine par exemple). Partout on dispose des stops pour que les voitures laissent passer les cyclistes. On réduit aussi les trottoirs, sans que cela n'empêchent d'ailleurs certains cyclistes de les emprunter, alors même que la piste cyclable est à côté (Place de la bourse par exemple).
La Ville est donc en train de changer de nature, au profit d'une seule catégorie d'usager : le cycliste. Autant donc s'intéresser tout de suite à la psychologie de cet acteur devenu central. Puisque nous sommes sur ce terrain (la psychologie) je voudrais tout de suite donner un argument ad hominem, pour situer, comme on disait dans le temps en sociologie, « d'où je parle » : je suis un cycliste fervent, expérimenté, je suis monté sur un vélo à 8 ans, et depuis, j'assure l'essentiel de mes déplacements en ville en vélo. Je n'ai donc rien contre, bien au contraire.
J'avoue aussi ne pas garder un mauvais souvenir de la période où les cyclistes devaient partager le même espace avec les automobilistes. De temps en temps, frôlement oblige, on s'engueulait, mais parfois on discutait par delà la vitre ouverte. D'un côté il y avait les vélos et les voitures, de l'autre les piétons, et les deux mondes ne se mélangeaient pas. Cela engendrait du respect mutuel et de la tranquillité pour tous.
Mais force est de constater que quand on monte sur un vélo, dans le contexte actuel, on redécouvre des comportements régressifs. Et je m'inclus dans ce geste. Je sais, peut-être plus que d'autres, à quel point la pratique du vélo relève d'une sorte d'univers infantile. Comme un retour à l'enfance. Une enfance insouciante, joyeuse, où le vélo est synonyme de liberté, de possibilité-d'aller-partout-sans-contrainte. Les obstacles (dans la réalité les piétons) sont des sortes de quilles entre lesquelles on peut slalomer et que l'on peut frôler sans conséquence. Rien n'arrête le vélo. Rien n'arrête l'enfant.
Les pistes cyclables rappellent l'enfance, les petits circuits de jeu, avec des petits panneaux de circulation, un monde miniature sans limite. On y est tellement entre-soi. La seule chose que ne cycliste n'aime vraiment pas, c'est s'arrêter. Ce qu'il adore c'est aller tout droit, quels que soient les obstacles. Et ce qui le rapproche le plus d'un enfant de 6-7 ans, au carrefour de l'Oedipe, comme disent les psychanalystes, c'est qu'il ne supporte pas les lois qui s'opposent à lui, mais que, par contre, quand elles vont dans son sens, il est le premier à revendiquer leur application intégrale. Il grille allègrement les feux rouges, mais hurle quand un piéton veut traverser au passage protégé devant lui.
Bref le cycliste est injuste, irascible, mauvais joueur, revendicatif. Son comportement se résume à celui de l'enfant gâté : il trépigne quand on l'empêche. Son grand jeu est de rester en selle, coûte que coûte. Et gâté, il l'est ! Les travaux sans fin diligenté par le Maire lui ouvre la voie. La Ville toute entière s'offre à lui. On flatte l'enfant en lui. On le pare de toutes les vertus. Il est le sel de la terre. Voyez-vous, il sauve la planète. Rien que cela.
Le pire, ce qui me fait le plus souffrir, est de voir des parents cyclistes apprendre à leurs enfants cyclistes, ce curieux rapport infantile au monde tel qu'il est vu du haut d'une selle de vélo. D'un côté cela fera la fortune ultérieure des cabinets de psychanalyse (comment se révolter contre des parents hors la loi tout en s'identifiant à eux, comment grandir avec des parents toujours plus jeunes que soi : vous en prenez pour 5 ans de divan minimum). De l'autre, les conséquences d'une ville abandonnée à ses enfants-roi seront redoutablement difficile à gérer.
Il faudrait attirer l'attention de nos édiles sur ce point, car d'avoir voulu trop inclure, on a pris le risque de diviser. Les guerres civiles urbaines, celles qui opposent de façon larvée les uns contre les autres et pourrissent la vie de tous, ont parfois des motifs moins consistants. A y réfléchir de plus près, beaucoup de conflits ont pour origine des enfants-roi. La descente de vélo sera un jour nécessaire, mais elle sera rude. Mais ce sera le prix pour redevenir adulte.
Philippe Breton
ovipal
22 juin 2025
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