La subjectivation de la vérité et de l’éthique
Beaucoup le disent : le temps présent est le règne de la subjectivité. Les soucis de factualité, d’objectivité et de vérité sont abandonnés au profit de l’opinion et du ressenti. C’est ce qui explique la prégnance contemporaine de la « réalité alternative », du baratin (bullshit) et du mensonge dont Trump est le champion.
Mais l’abandon de ces substrats de l’idéal de rationalité chère aux Lumières gangrène des sphères d’activités plus ordinaires. En voici deux exemples tirés de l’actualité québécoise. Sans doute ne serait-il pas bien difficile de repérer des exemples français semblables.
Gilbert Rozon, ex-producteur et fondateur du festival Juste pour rire qui a aussi été un temps membre du jury de l’émission La France a un incroyable talent est poursuivi par un groupe de neuf femmes pour viol et agressions sexuelles. La défense qu’il présente pour éviter un jugement défavorable est que certaines de ses accusatrices « se sont inventé une vérité » et que lui fait valoir la sienne.
Ce n’est pas la première fois que la vérité est ainsi réduite à une perception construite. Une thèse de ce type est même avancée, depuis l’avènement du post-modernisme, dans certaines théories en sciences humaines et en philosophie. Mais dans l’exemple de Rozon, la dislocation de toute teneur un peu ferme du vrai est poussée jusqu’à la caricature : à suivre son plaidoyer, le juge aura non pas à déterminer qui dit vrai, mais à choisir une vérité parmi un bouquet multiple.
Le second exemple est celui-ci. Les élus de la Ville de Québec se voient offrir la possibilité de se porter acquéreur, au tarif courant et à leurs propres frais, des billets invendus pour les spectacles du Festival d’été alors que les autres citoyens peuvent faire cet achat seulement s’ils sont sélectionnés dans une pige aléatoire. (Antérieurement, les élus recevaient ces billets gratuitement.) La question a été posée dans les quotidiens de Québec : la pratique est-elle éthique? Un « expert en gestion des risques éthiques » soutient que même si on ne peut préjuger que le privilège biaisera le jugement des élus, « une personne raisonnable [peut être amené] à penser » que c’est le cas et que, donc, les élus auraient dû ne pas s’en prévaloir pour une raison éthique.
En généralisant ce point de vue, on en arrive à considérer que la décision d’agir ou de ne pas agir devrait avoir pour motivation ce que les autres personnes en pensent plutôt qu’une exigence d’égalité. Le caractère éthique d’une action ne dépendrait pas d’une valeur ou d’un principe moral, quelle que soit sa justification, mais de sa réception.
Gilles Gauthier
ovipal
15 juillet 2025
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