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Manifestation « nationale » des gilets jaunes à Strasbourg (27 avril) : anthropologie d’un désordre tranquille

Tentons un regard, sinon objectif, du moins distancié, sur cet objet anthropologique si particulier qu’est une manifestation de rue, en l’occurrence la manifestation des gilets jaunes qui s’est déroulée à Strasbourg le 27 avril 2019 (« Acte 24 »). Deux éléments de contexte la différencient des actes précédents. D’une part elle intervenait le surlendemain de la conférence de presse du Président de la République, d’autre part elle était annoncée comme « nationale », voire « internationale ». Cette dernière annonce laissait présager, du moins dans les annonces du Préfet, la présence de casseurs étrangers, dans la lignée de l’ancien, mais très mauvais souvenir des manifestations contre le sommet de l’OTAN en 2009, où les « blacks blocs » venus de toute l’Europe avait commis des dégâts considérables dans le quartier du Port du Rhin.

 

On notera au passage que les observateurs, en l’occurrence les journalistes présents sur le terrain, craignaient d’être ciblés par une potentielle violence. Les rédactions avaient donc fait appel à des sociétés spécialisées dans la sécurité et la protection rapprochée.

Dans un tel contexte, les premiers moments de la manifestation donnent le ton. Comme on le voit dans les deux photos suivantes, l’ambiance est plutôt détendue… Les policiers de la compagnie d’intervention de la sécurité publique (policiers locaux entraînés au maintien de l’ordre, mais distincts des unités mobiles comme les CRS et les Gendarmes mobiles) « taillent la bavette » tranquillement avec les gilets jaunes (on remarquera le carré rouge dans le dos de certains policiers, qui est une couverture anti-feu en cas de jet de cocktail Molotov – on trouvera un modèle similaire pour sa cuisine chez IKEA, au premier étage).

 

 

 

Les trois gardes du corps (en avant-plan) des journalistes de radio et de télévision présents au milieu de la foule (en arrière-plan) ne semblent pas particulièrement stressés. Aucun mouvement hostile envers les journalistes ne semble d’ailleurs avoir été enregistré pendant la manifestation, pas plus d’ailleurs qu’ils n’ont été pris à partie par les policiers ou les gendarmes.

 

 

Manifestation internationale ? On distingue bien ici et là quelques drapeaux allemands, mais la seule présence bien visible d’une participation étrangère structurée est celle des secouristes d’un mystérieux mais très organisé groupe de « demo-sanitäter rescue », arborant une croix rouge, en l’occurrence un emblème ici usurpé, car réservé par les conventions internationales aux sociétés nationales de Croix-Rouge. Place de Bordeaux, où les gendarmes mobiles ont, après sommation, tiré abondamment des gaz lacrymogènes, les secouristes germanophones (allemands, suisses ?) semblent surtout occupés à se prendre en charge eux-mêmes.

 

 

Que dire de la manifestation elle-même ? Un trajet était visiblement prévu, et respecté, qui a conduit les 2000 participants à emprunter un itinéraire longeant les zones interdites par arrêté préfectoral, jusqu’à la Place de Bordeaux, où les forces de l’ordre ont stoppé leur progression vers le secteur du Parlement européen. Jusque là on a vu quelques organisateurs discrets guider le cortège dans les rues de Strasbourg, avec, à la manœuvre, un moins discret, car très connu, militant d’extrême gauche qui a connu toutes les « luttes » depuis 68. Sauf une cinquantaine, tout au plus, de personnes excitées, en tête de cortège et visiblement venus pour provoquer les forces de l’ordre, assez jeunes et qu’on aurait qualifié à une autre époque de « wackes » (non alsacianisant s’abstenir), on trouvait là un peuple paisible de gilets jaunes, peu sensible dans leurs invariables slogans, à la rhétorique de la conférence de presse du Président de la République.

 

 

Entre les très paisibles, remarquables car ils cherchent toujours à diriger le cortège loin des forces de l’ordre, et les wackes de la ligne de tête (comme on le voit sur la vidéo à la fin de l'article), il y a quelques rangs d’hommes ou de femmes, entre trente et quarante ans, criant avec véhémence des slogans, mais dont l’agressivité apparente ne débouche pas véritablement sur des actes concrets d’hostilité.

 

 

La grande équivoque au cœur de ce genre de manifestation est ce cycle global de provocation-répression dont chacun ne voit qu’une partie. En clair, la première ligne jette des projectiles aux forces de l’ordre qui répliquent légitimement par des tirs longs de grenades qui tombent en milieu de cortège. Les manifestants du milieu n’ayant pas vu leur première ligne lancer des projectiles, croient qu’ils sont agressés sans raison par les forces de l’ordre et pestent contre le traitement qui leur serait infligé gratuitement. Malentendu permanent qui alimente le sentiment « anti-flics », et qui fait reculer les foules paisibles comme ici dans cette vidéo tournée allée de la Robertsau, où les gaz lacrymogènes ont fait pleurer beaucoup de manifestants qui n’avaient rien vu, rien fait et rien compris. Ils n’en sont pas moins persuadés qu’on a atteint avec violence à leur droit de manifester, ce qu’ils étaient aussi venu dénoncer.

 

 

 

Que dire de l’attitude des forces de l’ordre, participants, par profession, à la scène globale de la manifestation de rue ? On distinguera ici trois séquences, globalement marquées par un grand professionnalisme. La première où, de la Place de l’Etoile à la Place de Bordeaux, les forces de l’ordre se contentent de défendre l’accès au périmètre interdit par l’arrêté préfectoral. Une petite grenade ça et là, quand la première ligne s’approche trop (Pont du corbeau, Passerelle de l’abreuvoir). Rien de grave (voir vidéo en fin d'article ou ici : https://youtu.be/jIF1ZDr8x88)

 

 

 

Une deuxième séquences, allée de la Robertsau, quand, la manifestation ayant échappé au contrôle des organisateurs, elle va buter contre le barrage de gendarmes mobiles qui défend l’accès aux instituions européennes (voir video en fin d'article ou ici : https://youtu.be/XUQ-GU4jTI0). Là, visiblement, les autorités décident de sectionner la manifestation en la faisant habilement repousser, par mouvement successifs de barrages  de CRS, gendarmes et policiers de la compagnie d’intervention, très mobiles, vers les quartiers excentrés de l’orangerie, de l’avenue de la Marne, puis de l’Esplanade. Comme le dit ironiquement un manifestant : « très bien, comme cela les bourgeois sentiront aussi l’effet du gaz lacrymogènes ».

 

 

 

 

 

Peut-être, mais en tous cas la manifestation perd dans ces petites rues, une partie non négligeable de ses participants. Pas besoin d’être spécialiste du maintien de l’ordre pour constater que la manœuvre des forces de l’ordre est remarquablement conduite (aidée par la présence continuelle d’un hélicoptère de la gendarmerie qui, lui, avait une vue globale des choses), à la fois techniquement et humainement, car sans brutalité excessive. Il n’y aura d’ailleurs aucun blessé dans cette séquence.

 

 

 

 

La troisième séquence est plus problématique, car les 200 manifestants qui restent de cette vaste manœuvre de dispersion, vont constituer un noyau dur et mobile qui donnera du fil à retordre aux forces de l’ordre dans la Krutenau (plusieurs blessés légers de part et d’autre) et, surtout, réussira à pénétrer dans le centre ville interdit, jusqu’à la Place Kléber.

 

 

 

 

Ce sont eux qui sauveront l’honneur des manifestants, jusque là jouets de la belle manœuvre d’éloignement et de dispersion conduite par les autorités, et qui marqueront le dernier but (juste avant que Rennes ne fasse la remontée que l’on sait, mais c’est une autre histoire…).

Au final, un désordre plutôt tranquille, des manifestants qui ont pu s’exprimer, et force est resté à la loi. En somme, un modèle réduit de démocratie bien française…

 

 

 

 

 

Philippe Breton

ovipal

28 avril 2019

 

(Photos et vidéos : Philippe Breton)

https://youtu.be/XUQ-GU4jTI0

 

 

 



28/04/2019
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