Le dégagisme….nouvelle phase dans l’histoire de la cinquième république ?
C’est un lieu commun de considérer en France que les Institutions de la V° république confèrent au détenteur du pouvoir exécutif une stabilité et une autorité dont ne disposent ni le président des Etats-Unis, obligé de composé avec le Congrès, ni les chefs de gouvernement de la plupart des pays européens dirigés par des gouvernements de coalition.
Une mise en perspective historique permet cependant de constater un processus d’affaiblissement du pouvoir politique en France depuis les années 1980 et qui tend à s’accélérer depuis le milieu des années 2010. A cet égard, le mouvement des gilets jaunes et la façon dont il a réussi à faire vaciller le pouvoir macronien constituent un symptôme de cet affaiblissement.
De 1962 à 1981, après la recomposition des années 1958-1962, la stabilité du système partisan français était telle que le jeu politique se traduisait par une absence d’alternance au sommet de l’Etat. Le pouvoir gaullo-pompidolien non seulement disposait d’institutions taillées à sa mesure, mais il bénéficiait par ailleurs d’un soutien de l’opinion publique suffisamment fort pour lui permettre d’être de façon systématique reconduit aux différentes élections présidentielles et législatives qui étaient organisées (1965, 1967, 1968, 1969, 1973, 1974 et 1978). Les rares échecs électoraux (référendum de 1969, échec de Chaban au premier tour de la présidentielle de 1974) n’eurent pas pour effet une alternance droite-gauche mais un simple passage de relai à l’intérieur de la droite.
Au cours de la seconde période (1981-2017), les institutions taillées à la mesure du pouvoir exécutif sont toujours là. Mais à l’exception de quelques courtes séquences « d’état de grâce », le soutien de l’opinion publique est beaucoup moins fort et ne permet pas à l’équipe en place de se maintenir au pouvoir au-delà de la prochaine échéance électorale (présidentielle ou législative). L’absence d’alternance (on reconduit les sortants) de la période 1962-1981 a été remplacée par l’alternance systématique (on sort les sortants), dans un contexte par ailleurs de montée du vote Front national et d’abstentionnisme. A cet égard, les deux mandats que réussirent à effectuer aussi bien François Mitterrand que Jacques Chirac font illusion. L’un et l’autre furent réélus à l’issue d’une période de cohabitation, provoquée par la défaite de leurs partis respectifs aux législatives (1986 pour les socialistes et 1997 pour le RPR), cohabitation qu’ils mirent à profit pour jouer le rôle de principal opposant à la politique menée par leur Premier ministre.
Pendant cette seconde période, l’alternance se produisait certes de façon systématique mais son cadre d’exercice était circonscrit. Le jeu partisan tel qu’il fonctionna de 1981 à 2017 correspondait, si l’on excepte le second tour de la présidentielle de 2002, interprété comme un accident de parcours, à un jeu opposant deux protagonistes principaux qui étaient toujours les mêmes – socialistes et RPR-UMP – les autres partis politiques étant réduits au rôle de parti d’appoint ou de parti hors système. La légitimité des deux principaux partis politiques auprès de l’opinion publique était trop faible pour qu’ils puissent, l’un et l’autre, gagner les élections lorsqu’ils étaient au pouvoir. Mais elle était suffisamment forte pour leur permettre de conserver leur position dominante dans le jeu partisan.
C’est ce cadre qui a disparu avec la présidentielle de 2017. Avec l’affaiblissement concomitant des socialistes et des républicains, les perspectives d’une alternance dans un cadre stable et prévisible ont disparu alors que le rejet du pouvoir politique en place est tout aussi fort qu’avant. Le jeu politique fonctionne désormais sur le mode du « dégagisme ». Ainsi que l’ont montré en 2017 les primaires de la droite et de la gauche ainsi que l’élection présidentielle proprement dite, il fonctionne sur un mode désormais très ouvert et très instable. Et la position du vainqueur (forcément provisoire) n’en est que plus éphémère. Alors qu’Emmanuel Macron, bénéficiaire final du dégagisme de 2017, se voyait, tel le général de Gaulle en 1958, à l’origine d’une recomposition politique devant lui permettre d’assoir son pouvoir de façon durable, il en est désormais la principale cible. Et le « dégagisme » s’exprime non seulement dans les urnes mais désormais également, avec le mouvement des gilets jaunes, dans la rue.
Il n’est évidemment pas possible de prévoir le futur. Mais l’histoire montre qu’en matière de pouvoir, la nature a horreur du vide. Les périodes de délitement constituent en général le creuset de pouvoirs autoritaires, soit par durcissement du pouvoir en place, soit par l’émergence de nouveaux leaders.
12 janvier 2019
Bernard Schwengler
ovipal
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