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Conseils de quartier : comment innover démocratiquement à partir de la loi du 27 février 2002 ?

Conseils de quartier : comment innover démocratiquement à partir de la loi du 27 février 2002 ?

 

Bilan et propositions pour une expérimentation démocratique

 

Philippe Breton

Chercheur au CNRS, Docteur d’Etat

Responsable de l’orientation « Fondements et remises en cause de la démocratie »

UMR CNRS 7043 – Université Marc Bloch, Strasbourg 2.

 

 

 

Quel bilan peut-on faire des conseils de quartier dans la plupart des grandes villes françaises ? Comment peut-on, à partir de là, innover dans ce domaine, en respectant à la fois l’esprit de la loi, et les vicissitudes de l’attachement de nos concitoyens à la démocratie[1] ?

 

Etat des lieux sur les conseils de quartier en France

 

Soyons bref sur le premier point : la plupart de ces conseils mis en place dans le cadre de la loi du 27 février 2002 sur la démocratie de proximité ne suscitent guère, ni a priori, ni a posteriori l’intérêt des habitants et, globalement, ils sont jugés comme fonctionnant de façon insatisfaisante, quand ils fonctionnent réellement.

 

La lettre de la loi est respectée, mais l’esprit très démocratique qui préside à son élaboration peine à s’appliquer quand il n‘est pas le plus souvent vidé de son sens.

 

A la décharge des édiles municipaux, il faut reconnaître que le législateur était sur ce point un peu en avance sur le désir de participation des habitants, plus habitués à soutenir ou, le plus souvent, à critiquer des décisions prises en dehors d’eux, qu’à vouloir véritablement s’y impliquer, même de façon consultative.

 

Il faut vraiment de grands projets urbains très polémiques ou bouleversant radicalement les habitudes de vie, pour qu’on puisse espérer une large mobilisation dans un débat public. Et, dans ce cas, il échappe le plus souvent au conseil de quartier pour investir d’autres structures, notamment celles qui encadrent le débat public associé aux grands projets urbains[2].

 

Le faible désir de participation, même sur un mode simplement consultatif, qui était antérieur à l’institution des conseils de quartier, s’est trouvé ainsi conforté par l’absence de véritables résultats des dits conseils.

 

Beaucoup d’élus municipaux se trouvent donc aujourd’hui en charge d’un outil dont ils ne savent pas trop quoi faire et qu’ils utilisent le plus souvent sur le mode unique de l’affichage, notamment en période de campagne électorale, à travers la promesse de « développer la démocratie locale » ou à travers la critique adressée à leurs prédécesseurs, quand ils sont désormais dans l’opposition, de ne pas l’avoir fait.

 

Un certain nombre d’élus, conscients des possibilités d’élargissement de la démocratie qui s’offrent à eux, s’interrogent cependant sur les réelles potentialités de cet outil. D’où la question posée ici : comment innover démocratiquement, c’est-à-dire suivre l’esprit de la loi, du point de vue des conseils de quartier ?

 

Le bilan : indifférence, frustration, soupçon

 

La réflexion dans ce domaine peut suivre deux axes complémentaires : le premier est de garder en ligne de mire l’esprit profondément démocratique de la loi, le second consiste à s’inspirer du bilan du fonctionnement actuel des conseils de quartier, sans esprit partisan ou polémique, mais dans le souci de faire une évaluation qui permette d’avancer.

 

Commençons par le bilan. Qu’est-ce qui ne va pas ? Le problème essentiel tient sans doute au rapport que les habitants des quartiers entretiennent à ces conseils, à la fois du point de vue de la légitimité des personnes qui y siègent et du point de vue de leur fonctionnement interne.

On distingue de ce point de vue trois ordres de réaction, l’indifférence, la frustration, le soupçon :

 

  • Certains trouvent que ces conseils n’ont aucune utilité, ni même de raison d’être, puisqu’ils ont déjà voté démocratiquement pour désigner ceux qui ont en charge la gestion de la ville. Cette position, notons-le, n’empêche pas que l’on approuve ou que l’on critique, en cours de mandat, les décisions prises. Cette position est celle de l’indifférence.

 

  • Certains ne se sentent pas représentés par ceux qui composent les conseils, le plus souvent des dirigeants de quelques associations présentes dans le quartier, et plus ou moins réellement actives, ou des habitants présents à titre individuels, proches souvent de certains élus ou militants politiques. Cette position exprime donc une frustration.

 

  • Certains ne se reconnaissent pas dans ce dispositif, qui serait selon eux composé de « notables » qui ne font que défendre leurs propres intérêts égoïstes, et qu’ils soupçonnent d’être le lieu de manœuvres politiques destinées à plus ou moins manipuler l’opinion. Cette position est celle du soupçon.

 

L’existence de ces conseils sera sans doute approuvée par un certain nombre d’habitants, mais des enquêtes appropriées montreraient sans doute que cette approbation porte sur le principe plus que sur leurs modalités de fonctionnement.

 

Peu de municipalités ont d’ailleurs mis en place de véritables instances,  non partisanes, d’évaluation de la perception par l’opinion du fonctionnement des conseils de quartiers.

 

Représentativité et fonctionnement des conseils de quartier

 

Par quelque côté qu’on le prenne, il y a donc fondamentalement un problème à la fois technique et politique de représentativité et de fonctionnement des conseils de quartier, ces deux niveaux étant intimement liés.

 

Cela renvoie évidemment à la question de savoir à quoi servent les conseils de quartier. L’esprit de la loi est clair sur ce point. Ils constituent une instance consultative ayant vocation d’impliquer le plus largement possible la population concernée par une décision donnée.

 

Dans sa grande sagesse – ou dans sa grande prudence – le législateur, pourtant souvent tatillon quant à prévoir la façon dont la loi sera appliquée, est ici resté très vague sur les modalités concrètes d’implication de la population dans les conseils. La loi indique en effet que chaque quartier des communes de plus de 80.000 habitants « est doté d'un conseil de quartier dont le conseil municipal fixe la dénomination, la composition et les modalités de fonctionnement. Les conseils de quartier peuvent être consultés par le maire et peuvent lui faire des propositions sur toute question concernant le quartier ou la ville. Le maire peut les associer à l'élaboration, à la mise en oeuvre et à l'évaluation des actions intéressant le quartier, en particulier celles menées au titre de la politique de la ville. Le conseil municipal peut affecter aux conseils de quartier un local et leur allouer chaque année des crédits pour leur fonctionnement. [3] » Loi n° 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité,  Art. L. 2143-1

 

La loi  laisse donc toute latitude aux élus locaux, d’organiser la représentativité de ces conseils.

 

Toutes sortes de dispositifs de parole consultative sont donc possibles dans le cadre de la loi - même s’ils ne sont pas tous politiquement envisageables…

 

Par exemple :

 

  • Ce cadre est si large qu’il permet légalement d’envisager que le conseil de quartier soit formé par l’assemblée générale des habitants du quartier. Outre le caractère un peu incongru de la chose, on sait que les exercices de démocratie directe de cette nature engendrent la plupart du temps des pratiques contraires à la démocratie (faible participation, manipulation par des minorités, effets démagogiques, donc, in fine, absence de représentativité).

 

  • Ce cadre permet également – le législateur ne l’exclut pas – de régler la question de la représentativité par l’élection au suffrage universel des membres des conseils de quartier. Cette option engendre une contradiction politiquement difficile à résoudre, même si elle est légalement possible : il y a déjà des élus de quartiers, via les élections municipales. Il ne peut guère y avoir deux catégories d’élus, du moins dans la structure actuelle des institutions municipales.

 

  • Ce cadre permet au pouvoir politique municipal, par l’intermédiaire de l’élu de quartier, de désigner, directement ou indirectement, les membres des conseils. C’est ce qui se passe la plupart du temps et qui est sans doute la source principale des difficultés de fonctionnement des conseils et de leur peu de lien avec la population. Le pouvoir politique peut en effet vouloir contrôler les conseils par cette procédure et ainsi s’assurer des avis consultatifs toujours positifs. Il a aussi toujours la possibilité de tenter, dans un esprit démocratique, de composer un conseil de façon représentatif. Le public, le plus souvent, ne voit pas la différence, ce qui nous renvoie au diagnostic de rejet formulé plus haut dans ce texte.

 

Comment sortir de ces difficultés, qui ruinent l’esprit de la loi et augmentent les frustrations de la population ?

 

 

Explorer des pistes nouvelles

 

Le cadre législatif souple qui est celui de la loi sur la démocratie de proximité permet plusieurs autres options. On proposera ici, à titre expérimental, l’option suivante, que l’on nommera celle des « conseils de quartier consultatifs » (pour marquer la différence avec les simples conseils de quartier, tout en restant dans le cadre de la loi – on aurait pu aussi bien parler de « jurys consultatifs de quartier » mais le terme de « jurys » est pour l’instant politiquement inadéquat compte-tenu de son histoire récente).

 

Cette option explore deux pistes nouvelles, sur le plan de la représentativité comme sur celui du fonctionnement des conseils.

 

Comment éviter les critiques dirimantes associées à la nomination ou la cooptation des membres des conseils par les représentants du pouvoir municipal, au recours au volontariat, ou à une hypothétique élection ?

 

Représentativité et tirage au sort

 

L’histoire de la démocratie nous fournit de nombreux exemples où la question de la représentativité est réglée – et bien réglée – par la procédure de tirage au sort.

C’est d’ailleurs cette procédure qui permet de composer les jurys judiciaires dans le cadre des procès criminels.

 

Rappelons que les personnes qui composent ces jurys ont un rôle décisionnel, qu’ils sont tirés au sort sur les listes électorales, que ce tirage a un caractère légalement contraignant, et que, sur le fond, leur compétence comme membre du jury ne tient pas d’une compétence technique sur le plan judiciaire mais d’une autorité comme citoyen. Cette compétence est alors une « aptitude reconnue légalement à une autorité publique de faire tel ou tel acte dans des conditions déterminées[4]. » Le citoyen est ainsi appelé à jouer le rôle qui est le sien en démocratie : celui d’une « autorité publique » comme électeur.

 

On peut donc imaginer que les membres d’un conseil de quartier soient tirés au sort sur les listes électorales des bureaux de vote du territoire concerné.

 

Cette procédure soulèverait plusieurs problèmes, essentiellement de nature politiques, on distinguera un problème de légitimité de cette procédure et un problème de nature technique dans le mécanisme de tirage au sort[5].

 

On pourra par exemple contester la compétence des personnes ainsi désignées. L’analogie avec les décisions judiciaires montre qu’il ne s’agit pas là d’un obstacle de fond mais d’une question d’explication pour assurer la légitimité politique de l’opération. Dans le cas présent des conseils de quartier, tout tient à la façon dont les membres ainsi désignés de ces conseils, seront informés sur les dossiers sur lesquels on leur demandera leur avis. Cela renvoie donc à la question du fonctionnement de ces conseils.

 

On pourra arguer de problèmes techniques qui pourraient survenir dans la désignation : refus des intéressés (il faudrait alors procéder à plusieurs tirages, car il est évidemment exclu d’en faire une obligation légale), manque de temps pour participer aux conseils (faut-il prévoir un dédommagement financier, un aménagement du temps ?), probabilité de tirer au sort des personnes impliquées d’une façon ou d’une autre dans la gestion municipale ou associative (une procédure de récusation devrait régler ce problème).

 

Au delà des problèmes techniques, facilement solvables, et de la question de la défense par le politique de la légitimité de l’opération, l’expérience du tirage au sort[6] montre que cette procédure présente des bénéfices très importants, notamment :

 

  • Forte identification (en proportion d’ailleurs de l’ « incompétence technique » des tirés au sort) du public aux personnes qui les représentent.

 

  • Forte écoute et grande adhésion potentielle aux décisions ou avis rendus dans un tel contexte.

 

  • Absence totale de contestation de la représentativité, absence de soupçon de manipulation politique.

 

Le conseil de quartier comme instance d’audition et de consultation

 

Une fois la question de la représentativité résolue, reste à l’articuler sur le fonctionnement des conseils proprement dit. L’angle d’attaque est d’ici d’inverser le rapport habituel aux élus municipaux qui ne peuvent pas être juges et parties dans un processus de consultation qui concernent leurs propres décisions (ce point est évidemment une source importante de délégitimation des conseils sous leur forme actuelle).

 

Les conseils de quartier consultatifs devraient donc fonctionner, à l’instar des jurys judiciaires, comme des instances qui entendent le point de vue de toutes les parties pour se former leur propre opinion.

 

Concrètement ils auraient le pouvoir d’auditionner, quand il est question d’un projet donné, ou encore en cas de saisine du conseil par les habitants du quartier, élus concernés, techniciens et fonctionnaires territoriaux ou d’Etat, représentants des associations ou des partis politiques, ou toutes personnes qu’il serait jugé nécessaire d’interroger.

 

Les travaux de ces conseils de quartier consultatifs seraient animés non par un élu municipal, mais par un « médiateur » indépendant (journaliste, communiquant, universitaire), assisté éventuellement d’un secrétariat, rémunéré spécifiquement pour cette tâche. Cet animateur travaillerait en étroite concertation avec l’élu de quartier.

 

Les séances de travail et d’audition pourraient être publiques (sauf les séances de délibération).

 

Les avis consultatifs rendus seraient ainsi à la fois indépendants du pouvoir politique, informés par des experts de toute nature, et pris par un conseil tout à fait représentatif des habitants du quartier.

 

La lettre et l’esprit de la loi seraient ainsi respectés et on pourrait attendre de cette innovation une fluidification des rapports entre le politique et les habitants ainsi que le développement d’un véritable esprit démocratique dans les quartiers.

 

Comme dans toute innovation, une expérimentation préalable de ce dispositif , avec une évaluation indépendante, permettrait d’affiner la proposition afin de la rendre politiquement réaliste et techniquement envisageable.

 

 

 

 



[1] Les analyses et propositions présentées dans ce texte s’inspirent des conclusions de l’ouvrage « L’incompétence démocratique, aux sources du malaise dans la parole politique », La découverte, 2006, ainsi que des travaux de recherche collectifs au sein de l’UMR 7043 sur le « débat argumenté » et sur le « débat public ».

[2] Voir ce thème, les analyses de Pierre Zémor, conseiller d’Etat, ancien président de la commission nationale du débat public, avec qui les idées présentées ici sont en débat.

[3] Loi n° 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité,  Art. L. 2143-1

 

[4] Cette ancienne définition juridique sert de base ici à Alain Rey pour proposer cette définition dans le Dictionnaire culturel de la langue française, sous la direction d’Alain Rey, page 1715

[5] Voir par exemple l’article de Patrick Schmoll, « Le tirage au sort, un paradigme pour repenser la démocratie », in Sciences de l’Homme et sociétés, n° 51, 2005

 

[6] Voir notamment « Analyse d’un débat public argumenté expérimental » Tiré à part, 2008.



24/02/2014
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