La poursuite de l'abstention des électeurs issus de l'immigration va-t-elle peser lourdement sur les élections municipales de 2020 ?
Le comportement électoral de plus en plus fortement abstentionniste des électeurs issus de l'immigration, analysé ici à Strasbourg, montre que le processus d'intégration tend à s'inverser. La gauche, en continuant à perdre ces électeurs risque de poursuivre sa descente aux enfers aux prochaines élections municipales. Mais c'est aussi l'ensemble des partis « non-extrémistes » qui risquent de souffrir de la défection de cet électorat spécifique, qui, par son attitude sécessionniste, donne plus de poids au vote extrême.
Cette étude porte sur plusieurs bureaux de vote de la ville de Strasbourg, dont on étudie les résultats aux élections municipales de 2014, au premier tour ds élections législatives de 2017, aux élections européennes de 2019.
Son objet est de formuler plusieurs interrogations sur les plans suivants :
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le comportement différentiel des électeurs vis-à-vis de l'abstention
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le comportement électoral comme facteur d'intégration – ou non – des populations françaises issues de l'immigration
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le poids politique des choix électoraux de ces mêmes populations, notamment dans le cadre des élections municipales à Strasbourg
Le comportement différentiel des électeurs vis-à-vis de l'abstention
Il est coutume d'entendre exprimer, sur le mode de la plainte par exemple, que l'abstention progresse et qu'elle est le signe d'un affaiblissement démocratique.
Il est un fait que l'abstention progresse, avec plus ou moins de force selon la nature des élections, les cantonales appelant moins de participation que les présidentielles par exemple.
On ne saurait cependant comprendre l'abstention si on ne la rapporte pas à des facteurs sociologiques, comme l'origine sociale ou l'origine nationale.
Ainsi, en s'appuyant sur le terrain de Strasbourg, par exemple aux européennes de 2019, on constate que le pourcentage de votants rapporté au nombre d'inscrits, est de 49,94 %
Mais, pour prendre les extrêmes, on trouvera :
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18% de votants dans le bureau 303 ( Ecole maternelle Paul Langevin 1) et
-
68% de votants dans le bureau 508 (Institution Sainte-Clotilde)
Pour systématiser un peu l'observation, on forme un bloc de 7 bureaux de vote fortement abstentionnistes, et, à l'inverse, un bloc de bureaux de vote faiblement abstentionnistes.
On obtient les listes suivantes :
Bloc de bureaux de vote fortement abstentionnistes
BV |
BV |
% de votants E 2019 |
0603 - Ecole maternelle Paul Langevin 1 |
303 |
18 |
0611 - Ecole élémentaire Catherine |
311 |
28 |
0614 - Ecole élémentaire Karine 1 |
314 |
28 |
0616 - Ecole maternelle Gustave Stoskopf |
316 |
25 |
0618 - Gymnase de l'école élémentaire Eléonore |
318 |
26 |
1004 - Ecole élémentaire Guynemer |
617 |
25 |
1005 - Ecole élémentaire Guynemer |
620 |
21 |
|
|
|
Bloc de bureaux de vote faiblement abstentionnistes :
BV |
BV |
% de votants E 2019 |
0402 - Institution Sainte-Clotilde |
508 |
68 |
0404 - Pavillon Joséphine |
514 |
67 |
0412 - Institution Sainte-Clotilde |
512 |
65 |
0502 - Ecole élémentaire de la Robertsau |
402 |
64 |
0503 - Ecole élémentaire de la Robertsau |
403 |
62 |
0509 - Ecole élémentaire de la Robertsau |
409 |
63 |
0510 - Gymnase de l'école de la Niederau |
405 |
65 |
1012 - Institut médico-éducatif IRIS |
626 |
65 |
Le premier bloc de bureau de vote renvoie à des quartiers populaires, à faible revenu et à habitat social, composés d'une population pour une grande part issue de l'immigration, souvent extra-européenne et dont une partie sont de nationalité française, donc potentiellement électeurs.
Le second bloc de bureau de vote renvoie à des quartiers aisés, à fort revenu, composé de populations de souche, d'origine alsacienne ou de France de l'intérieur.
Il est intéressant de constater que, si l'on regarde les élections précédentes, l'abstention augmente dans le premier bloc, et qu'elle tend à diminuer dans le deuxième bloc. Pour le montrer, prenons, pour les mêmes bureaux de vote, deux types d'élections différentes en 2014 et 2017, les municipales et les législatives :
Bloc de bureaux de vote fortement abstentionnistes :
BV |
BV |
% de votants M2014 – 2 |
% de votants L2017 – 1 |
% de votants E 2019 |
0603 - Ecole maternelle Paul Langevin 1 |
303 |
25 |
|
18 |
0611 - Ecole élémentaire Catherine |
311 |
35 |
29 |
28 |
0614 - Ecole élémentaire Karine 1 |
314 |
34 |
30 |
28 |
0616 - Ecole maternelle Gustave Stoskopf |
316 |
32 |
31 |
25 |
0618 - Gymnase de l'école élémentaire Eléonore |
318 |
30 |
32 |
26 |
1004 - Ecole élémentaire Guynemer |
617 |
31 |
36 |
25 |
1005 - Ecole élémentaire Guynemer |
620 |
31 |
37 |
21 |
On constate que le nombre de votants diminue constamment. Et que nous avons le résultat inverse avec
Bloc de bureaux de vote faiblement abstentionnistes :
BV |
BV |
M2014-2 |
L2017 – 1 |
E 2019 |
0402 - Institution Sainte-Clotilde |
508 |
60 |
66 |
68 |
0404 - Pavillon Joséphine |
514 |
60 |
62 |
67 |
0412 - Institution Sainte-Clotilde |
512 |
60 |
62 |
65 |
0502 - Ecole élémentaire de la Robertsau |
402 |
63 |
62 |
64 |
0503 - Ecole élémentaire de la Robertsau |
403 |
61 |
60 |
62 |
0509 - Ecole élémentaire de la Robertsau |
409 |
63 |
59 |
63 |
0510 - Gymnase de l'école de la Niederau |
405 |
60 |
59 |
65 |
1012 - Institut médico-éducatif IRIS |
626 |
60 |
61 |
65 |
Nous constatons donc une abstention différentielle, y compris dans la dynamique d'évolution.
Nous faisons ici l'hypothèse, compte-tenu de l'importance numérique des électeurs issus de l'immigration dans le bloc correspondant, que ces électeurs ont de plus tendance à s'abstenir de participer aux élections.
Si l'on veut bien admettre que la participation aux élections est un indice d'intégration à la société française, on peut faire l'hypothèse que le processus d'intégration des électeurs issus de l'immigration tend, dans le cas étudié, à s'inverser. On pourrait même parler dans ce cas de « dés-intégration ».
Plusieurs objections pourraient être faites à cette hypothèse. On pourrait par exemple soutenir que les électeurs issus de l'immigration se répartissent, dans l'abstention ou dans la participation, de façon équivalente aux électeurs de souche et qu'ils n'ont pas un comportement électoral différent.
Un indicateur nous permet d'invalider cette objection : l'importance du vote RN parmi les votants. Sauf à considérer, ce qui serait improbable, que le vote RN se répartit de façon égale selon les catégories d'électeurs, on peut conclure que ce vote n'est pas issu des électeurs issus de l'immigration, dont le poids parmi les votants est ainsi diminué d'autant.
Pour mention, voici les chiffres du vote FN, puis RN, dans les trois élections considérées :
BV |
BV |
% de votants RN 2014 |
% de votants RN 2017 |
% de votants RN 2019 |
0603 - Ecole maternelle Paul Langevin 1 |
303 |
9,4 |
|
18 |
0611 - Ecole élémentaire Catherine |
311 |
8,2 |
9 |
15 |
0614 - Ecole élémentaire Karine 1 |
314 |
11,9 |
11 |
16 |
0616 - Ecole maternelle Gustave Stoskopf |
316 |
15,7 |
13 |
28 |
0618 - Gymnase de l'école élémentaire Eléonore |
318 |
9,9 |
6 |
16 |
1004 - Ecole élémentaire Guynemer |
617 |
16 |
9 |
25 |
On constate que la très forte augmentation du vote RN en 2019 va de pair avec une baisse de la participation. L'argument va dans le sens de l'hypothèse selon laquelle ce sont bien les électeurs issus de l'immigration qui manquent le plus à l'appel électoral.
Un autre argument pourrait être tiré d'une étude plus fine d'un bureau de vote qui connaît une forte évolution sociologique, le 523 – Ecole du Rhin. Quartier d'abord presque exclusivement populaire et immigré, il accueille maintenant une population à revenus plus élevés, du fait de la nature de l'urbanisation dont il est l'objet. Le nombre de votants, qui était bas (33%) en 2014, progresse régulièrement et atteint 43% en 2019.
Quel est le poids politique des choix électoraux de ces mêmes populations, notamment dans le cadre des élections municipales à Strasbourg ?
Lors d'une étude publiée après les élections municipales de 2014 (et disponible sur ce site), nous arrivions aux conclusions suivantes :
« La chute importante de la participation électorale enregistrée au premier tour des municipales de 2014 par rapport aux précédentes élections concerne essentiellement les bureaux de vote des quartiers où les électeurs populaires sont issus pour une part importante de l’émigration extra européenne et qui jusque là votaient essentiellement à gauche. »
La majorité municipale conduite par Roland Ries n'avait été reconduite que de justesse, du fait de ce déficit lié à l'abstention d'une population qui jusque là lui avait été fidèle. Cette population est depuis restée dans l'abstention, là où le vote RN progressait.
Peut-on à partir de là faire des prévisions concernant les élections municipales de 2020 ?
L'hypothèse d'une inversion du processus de dé-intégration peut toujours être envisagée, mais elle est peu probable. Le repli communautaire ne semble pas être en mesure de s'inverser en l'état actuel des choses.
Sa poursuite est probable, et il faudra vérifier ce point sur pièces. Encore est-il difficile d'envisager que la participation puisse tomber plus bas que 18%...
Cela signifie aussi que la gauche (hors France Insoumise, qui pose un problème spécifique) risque de poursuivre sa descente aux enfers et que la tentative désespérée de Roland Ries, de construire, peut-être localement, un pôle à gauche aux côtés de LREM risque de manquer de troupes électorales. C'est l'ensemble des partis « non-radicaux » qui risquent de souffrir de la défection de cet électorat spécifique, qui, par son attitude sécessionniste, donne plus de poids au vote extrême.
Philippe Breton
ovipal
22 octobre 2019
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