La série « Yellowstone » et le film « La venue de l'avenir » sont-ils les signes avant-coureur d'un retour du conservatisme ?
Sur fond de progressisme à bout de souffle, le conservatisme est-il de retour ? Les signes avant-coureur de ce changement de conception du monde sont visibles, au delà de l'actualité politique, dans certaines œuvres de fiction. La série américaine Yellowstone, du réalisateur Taylor Sheridan, et le film de Cédric Klapisch, La venue de l'avenir, contiennent peut-être les germes d'un autre rapport au passé.
Nous sortons de plusieurs décennies, en Occident, où l'imaginaire progressiste a dominé la vie politique, non seulement à gauche bien sûr, mais aussi au centre et à droite. Bien au delà de la politique, le progressisme a nourri et structuré les différentes cultures européennes et américaines, disons à partir de la fin de la deuxième guerre mondiale. Ses versions radicales, le communisme façon URSS et le gauchisme façon internationale révolutionnaire, ont bien sûr reflué, mais quasiment l'ensemble de l'échiquier politique est resté imprégné par cet imaginaire, à l'exception, de quelques mouvements conservateurs isolés et repliés sur eux-mêmes. La France, avec De Gaulle et l'héritage du gaullisme, constituera une exception provisoire à cette domination du progressisme.
Il faudra un jour faire le bilan des heurs et des malheurs, des profits et des pertes, que l'idéologie progressiste a généré. Ce n'est pas l'objet ici. De nombreux indices, de moins en moins ténus, montre un début de reflux de cette imaginaire organisé autour de la consommation effrénée, du progrès technique, de l'homme nouveau et du transhumanisme, des restrictions pulsionnelles, de la liquidation des traditions, des cultures régionales, du refus de l'histoire comme guide pour l'avenir.
Une nouvelle restauration ?
N'assiste-t-on pas aujourd'hui au retour d'une forme de conservatisme qui se cherche, qui n'est pas encore cristallisé ? Il ressemblerait à une sorte de restauration, notamment par sa sensibilité à des formes traditionnelles de mœurs, de modes de vie, d'expression politique, de valeurs. Il semble s'exprimer dans un premier temps à travers des versions radicales. Par exemple, au wokisme de l'extrême gauche, comme quintessence du progressisme, semble correspondre autour de Trump, notamment aux États-Unis, une sorte de wokisme d'extrême droite qui fonctionne, de façon assez peu créative, en miroir de ce qu'il dénonce. Mais l'enjeu va bien au-delà des incarnations radicales d'un mouvement qui pourrait redevenir majoritaire.
Peut-on discerner des signes avant-coureur d'un éventuel retour du conservatisme, à la fois en politique, mais aussi, plus globalement, comme mode de vie et comme univers de valeurs ? En politique, on trouvera, pour la France, les jalons posés par Eric Zemmour, qui s'affiche explicitement conservateur, mais dont le développement est gêné par la présence massive, sur son segment électoral, du Rassemblement national, qui lui, n'a pas encore choisi son camp, le populisme n'étant ni conservateur ni progressiste.
La popularité spectaculaire de Bruno Retailleau est un autre signe avant-coureur d'un intérêt grandissant de l'opinion pour un autre rapport au passé français que celui que propose le progressisme. Aux Etats-unis, on remarquera l'effondrement massif des Démocrates, du fait de leur identification à un progressisme replié dans les centres intellectuels de la côte Est.
Deux fictions porteuses de signes avant coureur
Mais le monde de la politique est-il le premier ou le seul porteur de ces signes avant-coureur ? Le politique n'est peut-être que la conséquence d'un changement plus global de conception du monde. Aussi il n'est pas inutile de rechercher ces signes là où se construisent les grands récits. Le monde de la fiction, des romans, des films, des séries, a toujours été largement dominé, d'Hollywood jusqu'à Cannes, par le progressisme. C'est aussi que, commerce oblige, il est fondamentalement suiviste. On voit néanmoins apparaître, ici et là, quelques œuvres que l'on pourrait dire d'avant-garde, dans leur capacité à nous faire réfléchir sur les effets de l'éradication du passé.
Car au fond c'est bien de cela qu'il s'agit, le progressisme et le conservatisme étant tous les deux des mouvements de pensée organisé autour du rapport au passé. Ces oeuvres sont représentatives d'un moment charnière, dans l'hypothèse d'un effacement du progressisme, comme fond culturel de nos sociétés.
J'en citerai deux, sans autre rapport entre elles qu'une puissante interrogation sur le rapport au passé : la série Yellowstone, du réalisateur américain Taylor Sheridan, diffusée sur Netflix (plate-forme initialement progressiste, mais qui hume régulièrement l'air du temps pour voir où le vent va souffler) et le film, qui vient de sortir sur les écrans français, La venue de l'avenir, du réalisateur Cédric Klapisch.
Dans la première, le spectateur attentif fait la découverte d'une culture à part entière (au sens anthropologique), celles des grands ranchs américains, qui tentent, contre les vents et les marées de la modernité, de maintenir un mode de vie, un système de valeur, une forme d'honneur et de justice. Le ranch Yellowstone, fondé en 1883, survit, à travers une sorte de tunnel temporel, en restant fidèle à ses valeurs d'origine, forgées à partir d'un mélange de la culture européenne des immigrants et du traumatisme de la conquête de l'Ouest (c'est l'objet d'une autre série du même réalisateur : 1883). La série est détestée par les progressistes, qui y voient un exemple honni de la « société patriarcale », mais aussi par les trumpistes, qui la trouve trop hostile à la finance.
L'intérêt de la série est de mettre en scène le rapport au passé, enroulé autour cette valeur centrale que représente la fidélité à l'origine, qu'entretient cette culture originale, spécifique, hors du temps et de la modernité. Son scénario s'organise autour de la lutte de cette culture contre tous les assauts de la modernité, la vénalité des promoteurs, la civilisation des loisirs, la poussée consumériste, le légalisme formel. La série sert donc de révélateur des travers du progressisme, en même temps qu'elle fait l'apologie des vertus d'une certaine forme de conservatisme.
Le film de Cédric Klapisch pose la question du rapport au passé sur un autre registre. Il n'en constitue pas moins un indice fort, même si ce n'est peut-être pas l'intention de l'auteur, d'un certain retour du conservatisme. Il met en scène une famille partie à la recherche d'une de ses ancêtres, elle-même, dans le passé, à la recherche de ses parents. L'entrelacement du XIXème siècle et de la période présente n'est pas tout à fait à l'avantage de cette dernière. On y découvre une période, plus libre, plus enthousiaste, plus créative sur un plan artistique, moins hypocrite, sur le plan des mœurs. Là où le progressisme actuel est bien représenté dans la scène où le vêtement porté par une mannequin de mode ne ressortant pas suffisamment devant un tableau classique, l'équipe de tournage propose de modifier au montage plutôt la couleur du tableau.
L'un des personnages, englué initialement dans cette forme vulgaire de la modernité (le shooting d'influenceuses de mode), donne la clé du film lorsqu'il déclare : « j'ai toujours regardé devant, mais maintenant je vais regarder en arrière ». Pour un coup, Cannes, où le film était présenté « hors compétition », n'a rien vu venir. Ce qui n'est pas le cas de la critique du journal Les Inrockuptibles, qui a bien remarqué, en guise de pêché mortel du film, que, « la morale œcuménique du film est qu’on est mieux armé·e pour appréhender l’avenir si on a su apprendre du passé ».
Ces deux exemples empruntés à l'univers de la fiction sont sans doute loin d'être les seuls, même s'ils sont dissimulées derrière les fracas de l'effondrement du progressisme et des radicalités fin de règne qui l'accompagne. La capacité du conservatisme à proposer un récit mobilisateur tiendra, paradoxalement, à ce qu'il apparaîtra comme une nouveauté, là où le progressisme aura épuisé toutes les ressources du désir d'avenir.
Philippe Breton
ovipal
7 juin 2025
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