. . . . OVIPAL - OBSERVATOIRE DE LA VIE POLITIQUE EN ALSACE . . . .

Dans la configuration électorale française du scrutin uninominal à deux tours, la question du report des voix entre le premier et le deuxième tour est cruciale. Cette règle générale vaut d'autant plus dans la situation actuelle où la question est de savoir s'il y aura une majorité ou pas à l'Assemblée nationale. Rappelons que ce système électoral a été conçu justement pour construire des majorités et éviter l'instabilité qui était celle de la IVe République, ou les dérives supposées du scrutin proportionnel.

 

Dans cette perspective, peut-on en savoir plus sur la façon dont les voix des électeurs qui s'étaient portés sur des candidats qui ne sont pas présents au deuxième tour se reportent sur les candidats en lice au deuxième tour ? Et aussi, sur la façon dont les électeurs maintiendront leurs choix de premier tour, lorsque leur candidat est présent au deuxième tour ? Et, en prime, comment seront suivies les consignes de vote ?

 

 

L'étude spécifique de ces reports et de ces maintiens est utile à la fois pour prédire le résultat des élections, mais, après les élections, pour essayer de mieux comprendre le comportement et surtout les déterminants du vote des électeurs. Nous partons ici du présupposé selon lequel ces déterminants sont à la fois politiques (la raison) et psychologiques (les affects).

 

Plusieurs enquêtes publiées ces jours-ci nous fournissent quelques clés de compréhension du comportement électoral de ceux dont le candidat n'est pas au deuxième tour. De façon très synthétique, voici les quelques variables qui permettraient d'établir une sorte d'équation de report :

 

 

1. Dans un sondage Odoxa-Backbone pour Le Figaro, réalisé quelques jours avant le premier tour, plus de la moitié des Français (51 %) prévoyaient en effet de ne pas tenir compte des recommandations des forces politiques pour le second tour.

    

2. Selon une enquête Ifop parue le mardi 2 juillet, les deux tiers (66 %) des électeurs qui ont voté pour la majorité sortante au premier tour souhaiteraient une victoire d’un candidat Insoumis face à la formation nationaliste.

    

3. Toujours selon l’IFOP, Huit électeurs du NFP (84 %) sur dix disent préférer la victoire d’un macroniste face au RN.

 

 

On remarquera que les variables 1 et 3 sont en apparence contradictoires puisque selon l'IFOP les électeurs sont plus fidèles aux consignes de vote que dans le sondage Odoxa-Backbone (encore parle-t-on pour l'IFOP d'une préférence et non d'une intention de vote).

 

 

A ces variables typique des sondages, j'ajouterai quatre autres variables d'ordre politologique.

 

 

• La notion de « faire barrage au RN » n'est-elle pas aujourd'hui très affaiblie par le changement d'image du RN auprès des électeurs, quant nombre d'entre eux ne voient plus le RN comme un parti « d'extrême droite » ? Cela autoriserait une plus grande fluidité des votes (notamment dans la droite républicaine et la droite du macronisme).

   

• La deuxième variable fait appel au principe de cohérence, qui place l'électeur dans une grande difficulté à la fois logique et psychologique, lorsqu'on lui demande de voter dimanche pour un parti qu'il a honni dimanche dernier... Cela vaut notamment pour les électeurs macronistes appelés à voter NFP et vice-versa. Cela autoriserait une décote abstentionniste (ou vote blanc, qu'il faudra surveiller) dans les deux camps.

   

• La troisième variable est peu connue (nous en avons déjà parlé à l'ovipal) : certains électeurs votent non pas en fonction de la couleur du parti, mais en fonction de son degré de radicalité (mettant ainsi en avant des considérations plus psychologiques que politiques au sens strict). Pour certains d'entre eux le vote LFI ou RN est équivalent dans l'échelle de la radicalité et ils passent sans difficulté, d'un tour à l'autre, d'un camp vers l'autre. Des déplacements de voix inédits risquent donc de se produire, notamment dans le passage de voix LFI vers le RN.

   

• Quatrième variable qui tient au dynamisme des campagnes électorales de chaque camp. Autant le RN et LFI ont maintenu une dynamique très forte, dans les médias et sur le terrain, autant le camp présidentiel a vu son envol plombé par la division interne, le manque de visibilité et une certaine atonie d'une campagne conduite souvent à reculons. Cela implique une possibilité d'abstention importante des électeurs de ce camp.

 

 

Peut-on appliquer concrètement ces variables ? L'exercice est complexe et demanderait du temps... On peut tenter quelques hypothèses concrètement sur plusieurs circonscriptions alsaciennes. Entendons-nous, il ne s'agit pas ici de prévoir le résultat des élections de dimanche.... Mais de réfléchir plus modestement, à travers les reports et les déplacements de voix, à ce qui détermine le vote des électeurs, question-clé de la politologie.

 

Prenons le cas de trois circonscriptions en Alsace, la 4ème du Bas-Rhin (Strasbourg campagne), la 1ère du Haut-Rhin (Colmar et environs) et la 3ème du Haut-Rhin (St Louis-Altkirch). Tous les calculs correspondants sont détaillés en annexe.

 

 

 

Pour la 3ème du Haut-Rhin (St Louis-Altkirch), on a la répartition des voix suivantes :

 

21 791 pour le RN

13 980 pour Ensemble (Macronistes)

21 569 pour toutes les autres formations qui ne sont pas au deuxième tour, dont NFP pour 7119 voix.

 

On voit tout de suite ici l'importance des déplacements et des reports de voix.

 

Une hypothèse qui partirait :

 

• d'une décote vers l'abstention du camp Ensemble, par exemple de 20 %

• d'un report de 20 % des voix « radicales » du NFP vers le RN,

• d'une répartition des autres voix (pour les petits candidats) du style 1/3 abstention, 1/3 Ensemble, 1/3 RN

   

donnerait la victoire à coup sûr du RN dans cette circonscription avec environ 28 000 voix, pour environ 22 000 pour Ensemble.

 

 

 

Le RN resterait gagnant, avec 26 000 voix environ, même s'il n'y avait aucun transfert de voix NFP vers le RN et que la décote abstentionniste n'était que de 10%.

 

(Encore une fois, je ne dis pas ici que ce sera le résultat, mais que ce sera le résultat dans le cas où les variables indiquées sont les bonnes)

 

Dans le cas de la 1ère du Haut-Rhin, nous avons la répartition suivante au premier tour :

 

16 833 pour le RN

14 945 pour Ensemble (Macronistes)

17 387 pour toutes les autres formations, dont 8 727 électeurs qui ont voté NFP

 

La même hypothèse qui partirait :

 

• d'une décote vers l'abstention du camp Ensemble, par exemple de 20 %

• d'un report de 20 % des voix « radicales » du NFP vers le RN,

• d'une répartition des autres voix (pour les petits candidats) du style 1/3 abstention, 1/3 Ensemble, 1/3 RN

 

 

donnerait cette fois la victoire au RN avec 19 282 et 18 944 pour Ensemble, avec un rôle clé dans ce résultat très tangent aux électeurs de LR, qui pourraient ne pas se reporter massivement sur Ensemble pour des raisons locales.

 

Il faudra surveiller le taux d'abstention dimanche prochain. Plus il serait inférieur au taux de dimanche dernier, plus les variables retenues ici par hypothèse seraient effectives et plus le RN serait proche de la victoire.

 

 

Pour la 4ème du Bas-Rhin (Strasbourg campagne), on a la répartition des voix suivantes :

 

22 625 pour le RN

22 107 pour Ensemble (Macronistes)

23 593 pour toutes les autres formations, dont 14 297 pour le NFP

 

 

La même hypothèse qui partirait :

 

• d'une décote vers l'abstention du camp Ensemble, par exemple de 20 %

• d'un report de 20 % des voix « radicales » du NFP vers le RN,

• d'une répartition des autres voix (pour les petits candidats) du style 1/3 abstention, 1/3 Ensemble, 1/3 RN

 

donnerait cette fois la victoire à la candidate Ensemble, avec plus de 32 000 voix, pour 28 500 environ au candidat RN.

 

L'ensemble des calculs qui viennent d'être proposés (et merci au lecteur d'avoir suivi jusque là, surtout pour les annexes) ne valent que si trois variables sont observées.

 

 

 

Une possibilité est que ce chiffre de 80 % du report anti-FN des électeurs soit sur-estimé, notamment pour les zones rurales et péri-urbaines. Rappelons que le sondage Odoxa-Backbone pour Le Figaro, réalisé quelques jours avant le premier tour, plus de la moitié des Français (51 %) prévoyaient en effet de ne pas tenir compte des recommandations des forces politiques pour le second tour... Nous avions déjà constaté, lors de précédentes élections, qu'il pouvait y avoir une perméabilité entre les extrêmes, et que des électeurs pouvaient passer du vote pour le FN au vote d'extrême-gauche, d'un tour à l'autre.

 

Les motivations de leur vote relèvent dans ce cas d'un facteur psychologique l'emportant sur le facteur politique, leur inscription en haut d'une échelle de radicalité, quelque soit la couleur du parti.

 

L'une des fragilités du raisonnement est la répartition, dans ce modèle, des autres voix, ceux des « petits candidats » selon la clé des trois tiers (abstention, Macron, RN) , mais, en même temps ils comptent peu numériquement dans l'ensemble. Une part de ces voix sont des voix LR, parti qui n'a pas donné de consigne de vote, ce qui va dans le sens de cette clef des trois tiers.

 

En conclusion ll faudra analyser les résultats des élections la semaine prochaine pour voir quelles hypothèses ont été les plus pertinentes et notamment surveiller l'abstention.

 

 

En conclusion, on peut supposer que plusieurs facteurs influenceront, in fine, la composition de l'assemblée nationale : un facteur psychologique : le choix de l'électeur en fonction de l'intensité de la radicalité et non de la couleur politique qui lui est affecté, ce qui perturberait le report des voix du NFP, et un facteur politico-psychologique, celui de la perte de dynamisme pour le camp présidentiel, ressenti comme un motif d'abstention ou de déplacement des voix.

 

A ces deux variables, il faut ajouter la perte d'intensité de la perception du RN comme d' « extrême droite », qui autorise la fluidité des déplacements de voix, notamment vers le RN.

 

L'importance prise par ces trois facteurs déterminera le fait que le RN dispose d'une majorité absolue ou relative.

 

Pour l'Alsace, en tout cas, l'application de ce modèle indiquerait que le RN est en mesure de l'emporter dans au moins 5 circonscriptions (jamais le politologue ne devrait se risquer à faire ce genre de prévision, mais comme je l'ai déjà faite sur France 3, tant pis...).

 

 

 

Philippe Breton

ovipal

4 juillet 2024

 

 

 

 

 

 

Annexe

 

 

 

3ème du Haut-Rhin :

 

 

 

Sur 87 359 inscrits, 57 340 ont voté dimanche dernier :

21 791 pour le RN

13 980 pour Ensemble (Macronistes)

21 569 pour toutes les autres formations

 

 

 

Ce sont évidemment ces 21 569 qui nous intéressent. Que vont-ils voter et selon quels critères ?

 

 

7119 électeurs ont voté NFP

selon la variable 3, huit sur dix souhaitent plutôt la victoire d'un macroniste que celle d'un RN.

Cela nous ferait 5695 voix qui se reporterait sur ensemble

Reste 1424 voix NFP à caser, soit dans l'abstention ou le vote blanc, soit pour le RN

 

 

 

Nous voilà à ce stade avec deux options :

 

 

 

	A	B
RN	21 791 1 424 23 215	21 791   21 791
Ensemble	13 980 5 695 19 675	13 980 5 695 19 675

 

 

 

Reste 14 450 voix qui s'étaient portés sur les autres candidats (donc hors RN, macronistes et NFP) dont la moitié pour un candidat DVD.

 

Ce sont ces électeurs qui ont la clé des élections. Difficile à ce stade de faire des hypothèses. Osons celle d'une répartition en trois de ces électeurs : 1/3 abstention ou blanc, 1/3 RN, 1/3 Ensemble. Ce n'est pas la plus absurde, compte-tenu du poids électoral du candidat divers droite.

 

Cela donnerait le tableau suivant, qui conclue dans tous les cas à la victoire du RN dans la 3ème du Haut-Rhin.

 

 

	A	B
RN	21 791 1 424 4 813           28 028	21 791 4 813             26 604
Ensemble	13 980 5 695 4 813       24 588	13 980 5 695 4 813       24 588

 

 

 

Dans l'hypothèse B, il suffirait d'un déplacement de 1000 voix pour donner la victoire à Ensemble.

 

Mais à ce stade, il faut faire entrer la variable de la décote de 20 % vers l'abstention pour les électeurs ensemble.

 

Cela donnerait :

 

 

	A 1	B 1
RN	21 791 1 424 4 813           28 028	21 791 4 813             26 604
Ensemble	11 184 5 695 4 813       21 692	11 184 5 695 4 813       21 692

 

 

 

Dans cette hypothèse, le RN est gagnant à tous les coups.

 

 

 

1ère du Haut-Rhin :

 

Sur 78 987 inscrits, 49 165 se sont exprimés dimanche dernier :

 

16 833 pour le RN

14 945 pour Ensemble (Macronistes)

17 387 pour toutes les autres formations

 

 

 

Ce sont évidemment ces 17 387 qui nous intéressent. Que vont-ils voter et selon quels critères ?

 

 

 

8 727 électeurs ont voté NFP

selon la variable 3, huit sur dix souhaitent plutôt la victoire d'un macroniste que celle d'un RN.

Cela nous ferait 6 981 voix qui se reporterait sur ensemble

Reste 1745 voix NFP à caser, soit dans l'abstention ou le vote blanc, soit pour le RN

 

 

 

Nous voilà à ce stade avec deux options :

 

 

 

	A	B
RN	16 833 1 745 18 518	16 833   16 833
Ensemble	14 945 6 981 21 926	14 945 6 981 21 926

 

 

Reste 8 660 voix qui s'étaient portés sur les autres candidats (donc hors RN, macronistes et NFP) dont 6 547 pour un candidat LR et 2 113 pour les autres candidats.

 

 

 

Supposons une répartition en trois de ces 2 113 électeurs (704) : 1/3 abstention ou blanc, 1/3 RN, 1/3 Ensemble.

 

 

 

Cela donnerait le tableau suivant :

 

 

	A	B
RN	16 833 1 745 704 19 282	16 833 704       17 537
Ensemble	14 945 6 981 704 22 630	14 945 6 981 704 22 630

 

 

 

Cela ne change pas le rapport de force à ce stade favorable à Ensemble.

 

 

 

Mais si l'on tient compte de l'hypothèse d'une décote vers l'abstention pour Ensemble, on obtient le résultat suivant :

 

 

 

 

 

 

	A1	B1
RN	16 833 1 745 704     19 282	16 833 704       17 537
Ensemble	11 956 6 981 704 18 944	11 956 6 981 704 18 944

 

 

 

De plus, compte-tenu des particularités locales, ce sont les électeurs LR qui ont la clé des élections. Difficile à ce stade de faire des hypothèses, mais le résultat sera très tangent.

 

 

 

4ème du Bas-Rhin :

 

 

 

Sur 99 049 inscrits, 68 325 ont voté dimanche dernier :

22 625 pour le RN

22 107 pour Ensemble (Macronistes)

23 593 pour toutes les autres formations

 

 

 

Ce sont évidemment ces 23 593 qui nous intéressent. Que vont-ils voter et selon quels critères ?

 

 

 

14 297 électeurs ont voté NFP

selon la variable 3, huit sur dix souhaitent plutôt la victoire d'un macroniste que celle d'un RN.

Cela nous ferait 11 437 voix qui se reporteraient sur Ensemble

Reste 2 859 voix NFP à caser, soit dans l'abstention ou le vote blanc, soit pour le RN

 

 

 

Nous voilà à ce stade avec deux options :

 

 

 

	A	B
RN	22 625 2 859 25 484	22 625   22 625
Ensemble	22 107 11 437 33 544	22 107 11 437 33 544

 

 

 

 

 

 

Reste 9 296 voix qui s'étaient portés sur les autres candidats (donc hors RN, macronistes et NFP), que l'on répartit par tiers. On applique également la décote de 20 % pour les électeurs Ensemble du fait de la perte de la dynamique présidentielle

 

 

 

Cela nous donne, avec donc l'ensemble des variables, le résultat suivant :.

 

 

 

 

 

 

	A	B
RN	22 625 2 859 3 099     28 582	22 625 3 099       25 724
Ensemble	17 685 11 437 3 099 32 221	17 685 11 437 3 099 32 221

 

 

 

 

 

 

Plus de 4 000 voix d'écart ! Il faudrait un sacré bouleversement pour que la candidate Ensemble ne soit pas élue (toujours dans la perspective où les variables proposées ici seraient effectives : ce calcul, je le rappelle, n'est pas une prévision de résultat).