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Regrouper les régions – supprimer les départements : la réforme paradoxale

Le projet de réforme territoriale comporte une face obscure. Paradoxalement, il pourrait conduire à la pérennisation de la place des départements dans l’organisation territoriale de la France.

 

15 juillet 2014

 

Le projet de réforme territoriale engagé par le gouvernement depuis mars 2014 consiste en un regroupement des régions qui serait suivi à terme par une suppression des départements. Ce projet cependant semble difficilement réalisable dans sa globalité et comporte une face obscure. Autant en effet le regroupement des régions (le premier volet de la réforme) semble réalisable, autant la suppression des départements semble hors de portée.

 

Supprimer les départements nécessite une réforme constitutionnelle. Une telle réforme suppose un vote en termes identiques à l’Assemblée nationale et au Sénat suivi d’une ratification qui peut se faire soit par un vote au Congrès à la majorité des 3/5 soit par un référendum. D’une façon générale il est toujours difficile pour un exécutif de faire adopter une réforme de la Constitution dans la mesure où il est rare qu’il dispose d’une majorité des 3/5 au Congrès. Les exemples de projets de réformes constitutionnelles qui n’ont pas abouti faute de majorité pour les ratifier sont nombreux. En ce qui concerne la suppression des départements s’ajoute une difficulté supplémentaire résultant du fait que les sénateurs sont traditionnellement des défenseurs du département.

 

Suite au rapport Attali de 2008 qui préconisait la suppression des départements[1], le Président Sarkozy avait contourné l’obstacle constitutionnel en faisant adopter une réforme des collectivités territoriales, opérée par la loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010, qui établissait la fusion de la représentation élue des régions (Conseil régional) et des départements (Conseil général) en une assemblée unique constituée de Conseillers territoriaux. Avec cette loi, les départements n’étaient certes pas supprimés mais ils n’avaient plus de représentation élue spécifique. Cette réforme devait s’appliquer pour la première fois en 2014. Or les dispositions de cette loi relatives aux conseillers territoriaux ont été abrogées par la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013 votée sous la présidence Hollande, loi qui a rétabli la représentation spécifique des départements avec l’institution d’un conseil départemental. Par rapport à ce rétablissement datant de 2013, l’annonce d’une suppression des départements l’année suivante relève d’une logique difficile à comprendre.

 

Une autre option serait non pas de supprimer les départements mais de réduire leur influence en transférant certaines de leurs compétences aux régions. Mais une opération de ce type est également difficile à réaliser d’un point de vue politique. Comparativement à la région, de création relativement récente, le département bénéficie d’une légitimité forte dans l’opinion publique ainsi que d’un fort soutien politique. Les différentes lois de décentralisation votées depuis les années 1980 ont certes eu pour effet d’augmenter les compétences et les moyens financiers des régions mais elles n’ont pas remis en cause la prééminence des départements en termes de volume des compétences exercées et de moyens financiers. Et les différents projets de fusion des départements au profit de l’institution régionale ont échoué, aussi bien en Corse (en 2003) qu’en Alsace (en 2013). Ces projets concernaient pourtant des régions ayant une identité régionale forte et pour lesquels il ne s’agissait de supprimer que deux départements. Face au projet gouvernemental de réforme territoriale, l’Assemblée des départements de France a voté en juillet 2014 une motion à l’unanimité affirmant son opposition au projet de réforme territoriale et demandant un transfert vers le département de compétences actuellement exercées par l’Etat ainsi que par les régions. D’une façon générale le courant d’opinion en faveur de la défense des départements et de leurs compétences est fort en France.

 

Et surtout, avec de grandes régions, la légitimité du département en tant qu’instance de proximité sera renforcée par rapport à la situation actuelle. En effet, une réforme qui se traduit par une diminution de la proximité de l’instance régionale entraine nécessairement une demande plus forte vers les départements. A cet égard, il est difficile d’imaginer une organisation territoriale de la France dépourvue de niveau intermédiaire entre de grandes régions, de 40 000 kilomètres carré en moyenne, et l’échelon communal (commune et regroupements de communes), notamment en zone rurale. A titre de comparaison, une telle organisation n’existe ni en Allemagne, ni en Italie, ni en Espagne. En Allemagne c’est l’arrondissement qui se situe entre le Land et les communes. Et Italie et en Espagne, c’est la province qui constitue le niveau intermédiaire entre respectivement la région ou la communauté autonome et les communes (cf. sur ce point : « le regroupement des régions – une réforme en trompe l’œil ? »)

 

Depuis plusieurs décennies existe en France un courant d’opinion favorable à une réduction de l’influence des départements et à une organisation territoriale basée sur les 3 niveaux de compétence constitués de l’Etat, des régions et des territoires (communes et regroupements de communes). Dans sa présentation, le projet de réforme territoriale engagé par le gouvernement s’inscrit dans cette logique. Dans les faits cependant, il est fort probable qu’il aura pour effet une pérennisation de la place des départements dans l’organisation territoriale de la France.

 

Bernard Schwengler

Docteur en Science politique

OVIPAL

 


[1] Rapport de la Commission pour la libération de la croissance française. Sous la présidence de Jacques Attali. 2008. La documentation française. Ce rapport proposait de « faire disparaître en 10 ans l’échelon départemental » (décision 260)



13/07/2014
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