. . . . OVIPAL - OBSERVATOIRE DE LA VIE POLITIQUE EN ALSACE . . . .

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L'extrême droite serait-elle, en France, en voie de disparition ?

A l'ovipal, nous travaillons depuis longtemps sur l'extrême droite, en Alsace et ailleurs. L'ovipal a d'ailleurs succédé au GREDA, groupe de recherche sur l'extrême droite en Alsace. Dès les années 2000, nous avons réalisé plusieurs études, dont l'une auprès des électeurs du FN, pour mettre à jour les déterminants de leur vote, et aussi une vaste campagne d'auditions de personnalités alsaciennes, pour recueillir leur expertise sur le sujet.

 

Cette histoire ne fait pas de nous, ni de moi-même, des experts sur le sujet, mais elle nous place quand même comme des observateurs attentifs et constants de ce courant politique.

 

Pour ce qui me concerne, et je parle maintenant en mon nom propre, sans engager mes collègues, qui réagiront à leur manière, je pense qu'il est temps de faire un bilan global de l'évolution de ce courant (l'extrême droite) et, peut-être, de rendre compte des évolutions rapides et des bouleversements dans ce domaine.

 

Je voudrais partir d'une hypothèse assez radicale, qui, comme toutes les hypothèses radicales, gagne à atténuer sa rudesse au fil de la démonstration. Elle n'en permet pas moins d'engager la réflexion sous un autre angle que celui qui valait pour le passé et de saisir la spécificité du moment.

 

Cette hypothèse est la suivante : l'extrême droite, en France, est aujourd'hui en voie de disparition.

A cette hypothèse, j'en ajoute une autre, subsidiaire en quelque sorte : la radicalité et la violence qui caractérisaient ce courant politique, les pulsions destructrices dont il était le vecteur, n'ont pas cessé d'exister pour autant, et se sont déplacées, dans le champ politique mais aussi dans le champ social, vers d'autres destins.

 

 

RN et reconquête sont-ils d'extrême droite ?

 

Trois courants politiques actuels sont désignés, par habitude ou par paresse intellectuelle, mais aussi, depuis Mitterrand, par stratégie, comme relevant de l' « extrême droite ». Le Rassemblement national, parti issu, mais en rupture partielle, avec le Front national. Le parti créé par Eric Zemmour, Reconquête. Et, troisième courant, moins homogène car constitué d'une myriade de groupuscules, les petits groupes néo-nazi, fascistes, partisan d'un « ordre nouveau » ou d'une « révolution nationaliste ».

 

Le RN est-il d'extrême droite ? A la différence des groupuscules fascisants, le RN nie farouchement relever de cette catégorie. Il y a certes en son sein, des nostalgiques du vieux FN mais, purge interne après purge interne, ceux-ci disparaissent progressivement du tableau. Les nouveaux recrutements, de cadres comme d'élus, se font sur une base idéologique très différente, bien loin de l'extrême droite, dans laquelle, sauf cas rares et rapidement exfiltrés, ils ne se reconnaissent absolument pas.

 

Le RN aspire au pouvoir et à la respectabilité. Et, surtout, comme tout parti populiste, il a pris le risque, pour avancer, d'être le parti de ses électeurs et d'en adopter les motivations. Depuis longtemps, même au temps de Jean-Marie Le Pen, ses électeurs sont beaucoup moins marqués par une idéologie ou des principes associés à l'extrême droite, que par une attitude « sécessioniste », un sentiment d'exclusion, une frustration, tout sentiments qui s'exprimaient dans ce vote radical. Nombre de ces électeurs, hier comme aujourd'hui, se tenaient eux aussi explicitement à l'écart de l'extrême droite, du moins de ce qu'ils en savaient.

 

En Alsace, première terre d'élection du FN, avec sa percée aux élections régionales de 1994, l'horreur vécue de l'occupation nazie a clairement empêché que ce vote soit, dans l'esprit des électeurs FN, un vote d'extrême droite (ce que nos enquêtes avaient montré déjà à l'époque).

 

On serait bien en peine aujourd'hui, dans le programme du RN, de trouver des marqueurs forts d'un positionnement à l'extrême droite. Reste l'hypothèse, dernier rempart à la réflexion, pour ceux qui craignent le retour de la bête, que le RN « cache bien son jeu ». On remarquera, dans l'histoire des partis d'extrême droite en Europe qui sont parvenus au pouvoir, depuis Hitler, Mussolini et Franco, qu'aucun d'entre eux n'avaient caché son programme et ses intentions, bien au contraire, et c'est pour cela qu'après avoir pris le pouvoir, ils l'ont gardé.

 

Le parti d'Eric Zemmour serait-il lui, l'héritier, le dépositaire des idées de l'extrême droite ? Peu de gens, notamment parmi ceux qui clament que Zemmour est bien un parangon d'extrême droite, ont pris la peine de lire ou d'écouter ses propos et son programme. Ils y auraient pourtant vu que ce qui caractérise l'engagement des zémouriens c'est fondamentalement un conservatisme assez radical et clairement de droite. Rien de moins, mais rien de plus.

 

On pourrait faire la même remarque pour ce pauvre Renaud Camus, élégant écrivain affublé du costume du démon absolu, pour sa théorie, toujours critiquée, mais jamais lue, du « grand remplacement ». Camus occupe une position originale dans le monde des idées politiques, pour défendre un conservatisme radical, absolu, bien loin de toute position d'extrême droite, qu'il dit d'ailleurs abhorrer.

 

Reste nos groupuscules, divers et variés, qui eux sont explicitement nostalgiques du racisme d'antan, du nazisme, du franquisme et du Mussolinisme. La sécurité intérieure estime, pour la France, a environ 3000 membres de ces tendances, qui souvent se déchirent entre elles et pratiquent l'art de la scission interne jusqu'à la perfection. De plus, une partie d'entre eux sont sans doute d'authentiques indicateurs de police, tant ces mouvements sont infiltrés de longue date. De temps en temps, ils taguent une croix gammée ici, ou jettent une tranche de jambon sur le palier d'une mosquée. Le danger qu'ils représentent pour la sécurité de l'Etat est pratiquement inexistant, leur influence politique proche de rien. Eux sont clairement d'extrême droite.

 

 

Le marqueur de l'antisémitisme

 

Un marqueur fort permet de soutenir l'hypothèse que, à part les groupuscules violents mais folkloriques, l'extrême droite est en train de disparaître, est l'antisémitisme1. L'antisémitisme a toujours été l'un des principaux déterminant de l'extrême droite. Cela est bien connu, pas la peine d'y revenir.

 

L'antisémitisme est aujourd'hui absent, à tous les niveaux, des projets et des actions du RN. Les derniers relents ont disparu dans les purges récentes. Là aussi l'idée que le RN « cacherait » son antisémitisme en attendant de pouvoir l'exprimer, paraît absurde. De plus le RN est probablement le parti qui a le plus fermement pris position, après les massacres terroristes du 7 octobre, pour la défense des juifs français.

 

Du côté de Reconquête, un procès en antisémitisme ne trouverait pas le moindre début d'instruction, Zemmour étant lui-même d'origine juive, comme sa compagne et nombre de ses cadres et électeurs. Bon, on peut bien tenter le coup de l' « extrême droite juive » mais, dans le cas français, l'oxymore est trop criant.

 

Les groupuscules néo-nazis eux, par contre, ne cachent pas leur antisémitisme. Certains groupes n'hésitent pas à proclamer leur sympathie pour le Hamas, à leurs yeux meilleurs éradiqueurs de juifs du moment. Eux au moins répondent bien au critère central de l'extrême droite et ne s'en cachent pas.

 

Sans la constance avec laquelle certains partis politiques et certains médias continuent d'entretenir l'idée qu'il existe une vaste nébuleuse d'extrême droite, englobant le RN, Reconquête, les groupes fascistes et néo-nazi, prête à prendre le pouvoir demain matin et menaçant libertés et démocratie, parlerait-on encore aujourd'hui d'extrême droite ? Il est probable que non.

 

 

La montée de l'agressivité sociale

 

Reste une question : où sont passées les pulsions violentes, autre marqueur de l'extrême droite, si elles ne peuvent plus trouver, dans ces partis, un support d'expression ? Deux destins sont possibles pour cette violence désormais sans support. Le premier serait un déplacement de l'investissement de la violence en politique vers l'extrême gauche.

 

Une personne qui choisit aujourd'hui une implication politique en fonction d'une appétence pour la radicalité ne trouvera guère sa place au RN, pas plus qu'à Reconquête, même si ce dernier parti affiche, plus que le RN, une certaine agressivité dans le débat. Devenir néo-nazi n'étant guère une option facilement socialisable, même en cas de poussée pulsionnelle forte, reste, sur l'échiquier politique, le choix de la France insoumise, parti aujourd'hui le plus en rupture par rapport à des mœurs politiques pacifiées.

 

Les gens agressifs qui veulent s'exprimer en politique ont la ressource de s'identifier aux leaders les plus agressifs, et, de ce point de vue, Mélanchon est un bon candidat à cette identification. Vu sous l'angle strict de l'apparence, le coordinateur de la France insoumise, Manuel Bompard est, lui aussi, un bon représentant de l'agressivité fait homme politique. Quant à Rima Hassan, qui propose ni plus ni moins que l'éradication de l'Etat d'Israel grâce à l'action armée, est elle aussi à même de mobiliser les pulsions agressives, en les dirigeant, de plus, contre les Juifs.

 

Vidés de leur agressivité politique, les partis qualifiés d'extrême droite perdent ainsi leur capacité d'attraction des personnes qui recherchent la conflictualité radicale. On le voit bien quand on regarde les nouveaux électeurs du RN, qui appartiennent à des catégories sociales peu enclines au « combat », cadres et personnes âgées.

 

L'agressivité politique, toutefois, ne se reporte pas entièrement sur l'extrême gauche. Un deuxième destin est possible, certes plus hypothétique, mais qui vaut qu'on s'y arrête. Faute d'investissement dans le politique, l'agressivité qu'il absorbait jusque là se trouve peut-être d'autres objets. On aurait l'explication d'une partie de la remontée de la violence générale dans les mœurs (remontée qui a bien d'autres sources).

 

La fin de l'extrême droitisation de nos sociétés est donc peut-être aussi responsable, paradoxalement, d'une augmentation de la violence sociale, désormais privée de relais dans le politique, à l'exception de la France Insoumise, qui occupe désormais la place, par un étrange retournement historique, de ceux qu'elle dénonce avec violence comme « d'extrême droite ».

 

 

 

Philippe Breton

ovipal

11 mai 2024

 

 

 

 

 

 

(1) L'antisémitisme n'est pas le seul marqueur (par ailleurs non exclusif à l'extrême droite). On pourra aussi compter l'autoritarisme, le nationalisme (à distinguer du patriotisme), et le recours à la violence comme mode d'action.

 



11/05/2024
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